mardi 7 juillet 2020

Abus de trope*


Ce n’est pas la première fois qu’une lecture trop rapide me fait louper une énormité dans une fiche du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Cette fois-ci, j’avais lu sans faire de vérification la note suivante de la fiche « réveil (réveille-matin) » dont j’ai parlé dans le billet précédent :


Le terme cadran, parfois employé par métonymie au Québec pour désigner le concept de « réveil », est déconseillé en ce sens. 


La métonymie n’a rien à voir dans toute cette histoire. La première définition de cadran que donne le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) est la suivante :

Surface plane carrée disposée verticalement ou horizontalement sur laquelle sont gravés ou peints les chiffres des heures sur lesquels le soleil (ou la lune) projette l'ombre d'un style


Et le TLFi cite l’exemple suivant :

Quand vers 1600 apparurent les premières « montres », il s'agissait dans la plupart des cas, de petits cadrans solaires portatifs.
E. VON BASSERMANN-JORDAN, Montres, horloges et pendules, 1964, p. 102.


Vers 1600, les montres n’étaient donc que de petits cadrans solaires. Dans la 8e édition du dictionnaire de l’Académie on lit : « [cadran] signifie absolument Cadran solaire. Allez voir au cadran l'heure qu'il est. » Et dans la 4e édition on trouve l’exemple suivant : « Regarder au cadran quelle heure il est ».


Dans le lexique québécois mis en ligne par Denis Cousineau, on lit : « Toutes les horloges sont des cadrans ». Et, en effet, le mot cadran ne désigne pas au Québec que des réveils, à preuve quelques exemples tirés du Trésor de la langue française au Québec : « lorsque minuit sonna au cadran de l’Église Molson » (1898), « soudain quatre coups vibrent au cadran de la grande salle voisine » (1912), etc.


L’emploi de cadran au Québec au sens de « réveille-matin » ou d’« horloge » ne relève pas d’une métonymie mais s’explique tout simplement par la conservation du sens premier. Pas de métonymie, un simple archaïsme.

Résumé
Du point de vue synchronique, l'explication par la métonymie que donne le GDT est tout à fait valable. Mais si on fait l’histoire du mot, on se doit de constater que le sens québécois de cadran perpétue le premier sens de ce mot dans les années 1600.

Il est curieux que nos endogénistes du GDT, qui tentent de valoriser vidanges en se basant sur l’argument que le mot apparaît dans le dictionnaire de l'Académie de 1762, n'aient pas vu qu'ils pouvaient se servir de l'argument historique pour « légitimer » cadran.



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*Trope : Figure par laquelle un mot prend une signification autre que son sens propre (TLFi).


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