mardi 1 avril 2014

Lettre écrite à une Provinciale*



Le chanoine T***, qui fut de nombreuses années archiviste du Petit Séminaire de Québec, m’a montré l’autre jour une lettre, fort ancienne d’aspect et dont un érudit local a déjà attribué la rédaction à Pascal sans qu’aucune preuve solide vînt appuyer cette opinion. Avec la permission du bon chanoine, j’en ai pris copie pour pouvoir vous faire part de cette curiosité.


*   *   *

Ma Révérende Mère,


Dans un petit mémoire que vous présentâtes en la Sorbonne Nouvelle, vous soutîntes la proposition : quod distinguire verbos cismarinos et verbos ultramarinos non potest quia verbi cismarini et ultramarini in sermone quebecensi intricantur.


Voilà, ma Mère, qui est admirable. L’absence de distinction est subtile et habile, j’en conviens, et j’avoue que je ne m’y attendais pas. Par votre adresse, vous évitez les cavillations dans lesquelles tombent si souvent les jésuites et leur école de Molina, n’en déplaise à votre confesseur, le P. Bérézina, que je vous engage à traiter avec respect sinon avec crainte et défiance comme il convient de tous les jésuites. Il m’est revenu justement l’autre jour que, jusque dans la Cour de Rome, le seul nom du P. Bérézina fait craindre les plus grands malheurs**.


Distinguire non potest. Que ne vous tîntes-vous avec fermeté dans la même position tout au long de votre écrit !


Mais il fallut que vous réintroduisissiez quelques pages plus loin l’étonnante distinction entre mots cismarins et ultramarins, dont vous veniez pourtant avec éclat de montrer l’inanité, et que vous la maintinssiez dans le reste de votre opuscule.


En terminant, Révérende Mère, je vous conseille de vous garder de vous trop confire en dévotion car voilà un sirop qui assez communément tourne à l’aigre.


Je vous prie de transmettre mes salutations à votre confesseur.

__________
Notes philologiques :
* Dans l’Église de Rome, la Provinciale est une sorte d’higoumène ou d’archimandrite féminin ayant autorité sur plusieurs couvents de nonnes.

** À en croire cette lettre, on aurait tort de voir dans la défaite napoléonienne l’origine de l’expression « c’est la bérézina ».


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire