jeudi 1 janvier 2015

Dire la norme


Dans le billet précédent il était question de la séquestration du jury dans certains procès au Canada. Une simple vérification sur Google montre à quel point l’expression est courante dans les médias du Québec. Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue français considère que cette expression est un anglicisme (fiche de 2007). On trouve dans les archives de l’Office cette capsule linguistique :


« ... les jurés ne sont pas séquestrés. »
Dans certains procès, le jury est isolé du monde extérieur le temps de délibérer pour en arriver à un verdict. Cet isolement est souvent très strict, les jurés devant être tenus éloignés de toute influence extérieure et surtout médiatique. C'est d'ailleurs pourquoi ils sont en général surveillés de très près et confinés dans des lieux (généralement un hôtel) où ils n'ont aucun contact avec l’extérieur (ni radio, ni journaux, ni télé), ne peuvent parler à d'autres personnes que les membres du jury, et ce, pendant toute la durée de leurs délibérations qui peut aller de quelques heures à plusieurs jours.
L'anglais to sequester et son dérivé sequestration ne doivent pas être rendus en français par séquestrer et séquestration. Ces termes n'ont pas ce sens en français, on emploiera plutôt isoler ou isolement, et pour insister sur le caractère très strict de cet isolement, on pourra préciser que le jury est coupé du monde extérieur, gardé sous surveillance policière, tenu dans un lieu sans contact avec l’extérieur, etc., ou parler d’isolement total, complet ou absolu.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter les fiches isoler et isolement de notre Grand dictionnaire terminologique ainsi que la capsule Des jurés qui composent un jury dans les archives des chroniques.
Source : http://www.oqlf.gouv.qc.ca/actualites/capsules_hebdo/actualites_terminolinguistique/luetentendu_sequestre_20070712.html


Selon le Trésor de la langue française informatisé, la séquestration est l’« action de priver une personne de sa liberté en la maintenant enfermée, isolée du monde extérieur ». En droit pénal, c’est l’« action de priver illégalement et arbitrairement quelqu'un de sa liberté, ce qui constitue un délit ou un crime. Synon. détention* arbitraire, internement arbitraire. » Même si la séquestration peut aussi être, par analogie et au figuré, le « fait d'être isolé ou de s'isoler, de se maintenir à l'écart de quelque chose », il me semble qu’il serait abusif de se servir de séquestration en parlant d’un jury maintenu incommunicado puisque, dans le domaine du droit, le mot a déjà un tout autre sens.


La fiche du GDT entre en contradiction avec le Dictionnaire de droit québécois et canadien de Hubert Reid :









Le juge dit le droit. L’Office est censé dire la norme. Dans le cas de l’expression séquestrer un jury, à qui se fier ?

On trouvera d’autres exemples de conflits de normes dans les billets suivants :

Clash de normes

Banderilles / 17



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