lundi 4 mars 2019

Adieu à une linguiste militante



Je viens d’apprendre le décès, le mois dernier, d’Aina Moll i Marquès, figure marquante du combat linguistique catalan.



Preuve de l’importance historique d’Aina Moll, l’actuel président de la Generalitat de Catalogne, Quim Torra, a assisté à ses obsèques :



La philologue Aina Moll était la fille aînée de Francesc de Borja Moll qui collabora avec le chanoine Antoni M. Alcover (prêtre, linguiste, folkloriste, architecte de plusieurs églises, journaliste : excusez du peu !) au Diccionari català-valencià-balear, aussi connu sous le nom de Dictionnaire Alcover-Moll. Elle aida son père à terminer l’œuvre d’Alcover.



J’ai rencontré Aina Moll pour la première fois à Mexico en août 1982 à l’occasion du Xe Congrès mondial de sociologie. C’est alors que j’appris que, pour les Catalans, le mot normalisation ne signifiait pas l’officialisation d’un terme par sa publication à la Gazette officielle, comme au Québec, mais la récupération de l’usage normal d’une langue victime d’un processus séculaire de minoration. À l’époque, on ignorait au Québec que la Catalogne avait entrepris la rédaction d’une loi linguistique qui aurait autant d’importance historique que notre Charte de la langue française.

J’ai eu l’occasion par la suite de revoir Aina Moll lors des quelques séjours qu’elle a faits au Québec.

Aina Moll à l'époque où je l'ai connue


Aina Moll a été la première directrice générale de la politique linguistique de la Generalitat de Catalogne.


Elle est à l’origine de la première campagne de sensibilisation pour lancer le projet de normalisation de l’utilisation du catalan. Rappelons le contexte, semblable à celui qui est vécu à Montréal : la population catalanophone avait pris l’habitude de passer au castillan (c’est-à-dire à l’espagnol) dans ses relations avec les personnes parlant cette dernière langue et ce, tant dans services publics que dans les relations privées avec les voisins, les commerçants, etc. Dès qu’un catalanophone était en présence d’un inconnu, l’usage de l’espagnol s’imposait. Et la raison invoquée le plus souvent pour justifier ce comportement était le besoin de se montrer poli et respectueux de la langue de l’autre. Quant aux hispanophones, ils s’adressaient en espagnol à tout le monde, même aux personnes de langue maternelle catalane. Quand on leur demandait de justifier leur comportement, ils répondaient que, s’ils ne voulaient pas parler catalan, c’était par peur de commettre des fautes. Pour contrecarrer ces habitudes, les autorités catalanes ont lancé une campagne de sensibilisation basée sur le personnage d’une petite fille impertinente appelée Norma, prénom qui évoquait évidemment la normalisation linguistique souhaitée (en fait, la petite fille s’appelait « la Norma », car, en catalan, on utilise l’article avec les prénoms). La publicité utilisait un slogan mobilisateur : « le catalan, c’est l’affaire de tout le monde » (« El català, cosa de tots »).



La petite Norma, fillette d’une douzaine d’années, est apparue dans des publicités filmées, des bandes dessinées, des émissions de radio et un court-métrage où elle véhiculait un message critique et souvent impertinent. Comme me l’a expliqué Aina Moll, ce type de message critiquant le comportement des adultes aurait été inacceptable dans une publicité traditionnelle émanant des pouvoirs publics mais il perdait son caractère offensant dans la bouche d’une petite fille présentée comme impertinente. C’est ainsi qu’elle se permettait de demander à son père pourquoi il parlait espagnol plutôt que catalan avec des inconnus.



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