mardi 23 août 2022

StatCan et la dynamique des langues

  

Mon ancien collègue, le démographe Michel Paillé, a fait paraître ce matin une tribune dans Le Devoir dans laquelle il dénonce la façon dont Statistique Canada traite les données linguistiques du recensement. En voici un extrait :


« 85,5 % de la population québécoise a déclaré parler français à la maison au moins régulièrement » et que « [p] rès de 1 personne sur 5 au Québec (19,2 %) parlait anglais à la maison au moins régulièrement ». Ainsi, avant même de considérer les Québécois parlant au moins régulièrement une langue tierce, nous en sommes déjà à 104,7 % ! L’ajout des langues tierces, soit 15,6 %, porte le total à 120,3 % !

Face à cet étonnant total nettement au-dessus de 100 %, la question qu’il faut se poser s’énonce ainsi : d’abord, d’où vient ce 1,7 million de personnes qui pousse le total au-delà des 8,4 millions dénombrées au Québec en 2021 ; ensuite, que signifient les résultats obtenus ?

[…]

On chercherait en vain dans les manuels de statistiques sociales un justificatif de cette manière de procéder. Rien de mieux qu’un tout petit exemple pour montrer l’inadmissibilité de ces deux façons de faire. Si parmi 1000 propriétaires d’une résidence principale on en trouvait 100 possédant aussi une résidence secondaire, l’addition de ces deux nombres nous ferait passer de 1000 propriétaires à 1100 propriétés. De plus, si la plupart de ces propriétés étaient faites de bois ou de briques, nul ne proposerait de compter deux fois celles dont le revêtement est de bois ET de briques.

 

À la défense de StatCan on peut faire valoir que le nombre de locuteurs bilingues dans une population donnée ne diminue en rien la force numérique de chaque langue en présence. La connaissance des langues n’est pas un jeu à somme nulle. Cela est particulièrement vrai du point de vue synchronique, c’est-à-dire à un instant T de l’histoire.

 

Mais le rôle de StatCan est d’aider à évaluer les effets des politiques publiques, ce que donne une politique linguistique, une démarche qui s’inscrit nécessairement dans le temps, dans la diachronie. Il y aura nécessairement des pertes et des profits. Au fil du temps, l’usage de certaines langues diminuera, l’usage d’autres langues s’accroîtra. C’est alors que la connaissance des langues tend à devenir un jeu à somme nulle. Les enfants et les petits-enfants d’un couple bilingue ou trilingue se poseront la question de savoir s’il faut faire l’effort de maintenir l’usage de deux ou trois langues. Le traitement des données linguistiques par StatCan ne rend pas compte de la dynamique des langues sur le marché linguistique.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire