dimanche 4 mars 2012

Élémentaire, mon cher Watson !




Contrairement à ce que l’on peut penser, dans mon analyse des fiches du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, je m’attache plus à relever les contradictions et les insuffisances méthodologiques qu’à imposer à tout prix une norme exogène. Même si je me suis déjà exprimé sur le sujet (par exemple, dans le billet « Ni petit-boutien ni gros-boutien »), il n’est sans doute pas inutile que je le répète encore.


 

 

Je n’ai pas de « religion » sur les « ronds-de-poêle » et les « éléments » de la cuisinière dont je vais traiter aujourd’hui mais je suis à même de faire un certain nombre de constatations.

 

 

D’abord sur la fiche « foyer de cuisson » (anglais : element). Dans Le Visuel, le terme anglais est non pas element mais surface element ; on trouve ailleurs stove heating element. La fiche ayant été rédigée en 1971, on comprend que le rédacteur n’ait pu tenir compte du Visuel (dont la première édition date de 1982) et que la documentation était plus difficile à trouver alors qu’à l’ère d’internet. La date de la rédaction explique aussi pourquoi « rond de poêle » est considéré comme un « terme à éviter ». Il y a fort à parier que si la fiche avait été rédigée dans les années 2000, années où se manifeste la dérive dénoncée dans le manifeste « Au-delà des mots, les termes » de dix-neuf anciens terminologues de l’OQLF, on aurait accolé au « rond de poêle » la marque « [langue courante] » et qu’on l’aurait rangé parmi les synonymes.



Plus intéressante est l’autre fiche anglaise element (car il y en a deux), celle qui – fait de plus en plus rare dans le GDT – a une définition anglaise (« Resistance wire in an electric heater ») et dont l’équivalent français est tout bonnement … « élément » (fiche de 1990). Cela est déjà suffisant pour éveiller l’attention de tout traducteur. Ne s’agirait-il pas d’un faux ami ? D’autant que Le Visuel nous offre une illustration très claire où l’« élément » en question est appelé « serpentin ». Et nos soupçons sont renforcés par la note de la fiche : « On ne trouve dans aucun des dictionnaires consultés une définition adéquate de 'élément' au sens de 'résistance'. Le mot est toutefois utilisé couramment dans ce sens (normes et publicité). » N’insistons pas sur la dernière phrase; s’il avait fallu que l’Office n’intervînt jamais dans le cas des anglicismes et impropriétés couramment répandues, la francisation du Québec n’aurait pas fait de grands progrès. Mais notons tout de même l’apparition d’un argument qui deviendra la tarte à la crème des fiches rédigées dans les années 2000.


On trouve dans la revue Protégez-vous : « Les cuisinières à serpentins côtoient toujours les modèles à vitrocéramique dans les grands magasins » (Protégez-vous, mars 2010). Le magazine Décormag utilise aussi le mot « serpentin » (http://www.decormag.com/Achats/guidedachat/choisir-la-bonne-cuisiniere-n16707448p1.html). Plusieurs entreprises utilisent l’expression « cuisinière à serpentins » dans leur publicité : Home Depot, Future Shop, Canadian Tire, etc. Je n’ai pas trouvé grand-chose du côté des grandes surfaces françaises, sans doute parce que, là-bas, les gazinières sont beaucoup plus courantes que les cuisinières électriques (lesquelles sont plus souvent à induction ou en vitrocéramique, comme de plus en plus chez nous). En tout cas, sur ce point, on ne pourra guère m’accuser de prôner un modèle exogène.


Conclusion : l’Office devrait réétudier ces fiches. Et surtout ne pas en profiter pour introduire, une fois de plus, la sotte notion de « [langue courante] » qui n’a guère à voir dans un dictionnaire terminologique.


http://www.homedepot.ca/produit/cuisiniere-electrique-a-serpentins/918510


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire