mercredi 5 octobre 2016

Le style, c’est la femme



[…] le style n’est que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées […] Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre ; c’est avoir en même temps de l’esprit, de l’âme et du goût. Le style suppose la réunion et l’exercice de toutes les facultés intellectuelles ; les idées seules forment le fonds du style ; l’harmonie des paroles n’en est que l’accessoire, et ne dépend que de la sensibilité des organes. […] le style est l’homme même.
– Buffon, Discours sur le style (1753)



Après mon billet du 21 septembre, me voici encore à commenter la prose de madame Francine Pelletier, chroniqueuse du Devoir. « Étiez-vous parmi les millions de spectateurs qui ont syntonisé le débat Trump-Clinton ? » demande-t-elle dans l’édition de ce matin. Syntoniser, pour le Larousse, c’est « réaliser une syntonie », c’est-à-dire un « état résultant de l’accord ou de l’égalité des fréquences de plusieurs appareils ou phénomènes. ». C’est « accorder deux circuits oscillant sur une même fréquence » pour se mettre plus facilement à l’abri des brouillages » (Trésor de la langue française informatisé). Pour le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, syntoniser, c’est « régler une fréquence donnée sur un récepteur radio ». Le Trésor de la langue française au Québec n’offre que trois attestations du verbe syntoniser. On se demande pourquoi la chroniqueuse utilise ce verbe, inapproprié dans les circonstances, plutôt que de demander plus simplement à ses lecteurs s’ils ont regardé le débat Trump-Clinton.


Mais peut-être faut-il voir dans l’utilisation du verbe syntoniser un lapsus freudien : les deux candidats n’étaient pas sur la même longueur d’onde et la chroniqueuse aurait préféré qu’ils se syntonisassent.


Plus loin, la chroniqueuse écrit : « J’ai souvent dit qu’il était difficile pour les femmes publiques de trouver le bon ton.» Le contexte indique que les femmes publiques ici mentionnées ne sont ni des lorettes ni des cocottes ni des poules. Pour autant il est encore un peu risqué de voir dans l’expression femme publique la simple féminisation d’homme public. Même si, un peu partout sur la planète, des hommes publics se vendent au plus offrant.


Dans sa chronique précédente, Francine Pelletier avait écrit : « Des hommes à 95 % qui ont souffert de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, du déplacement de la main-d’œuvre vers l’étranger, de la disparition du secteur manufacturier en faveur de l’innovation technologique. » Cette féministe préférerait-elle donc des machos, des hommes à 100 %? Encore une fois, il s’agit d’une maladresse de style. Il aurait fallu écrire, le plus simplement du monde : des hommes qui, à 95 %, ont souffert de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail


N’hésitons pas à féminiser le discours de Buffon : le style, c’est aussi la femme.


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