Réflexions sur la nouvelle politique de l’emprunt linguistique
de l’Office québécois de la langue française
C’est
en lisant l’appel à communications d’un colloque sur les anglicismes qui doit
avoir lieu l’année prochaine à Sherbrooke que j’ai appris que l’Office
québécois de la langue française avait adopté, en janvier, une nouvelle version
de sa Politique de l’emprunt linguistique.
On lisait dans cet appel : « En
janvier 2017, l’Office québécois de la langue française assouplissait sa
politique relative aux emprunts pour se conformer davantage à leur légitimation
dans l’espace public. »
Le
moins qu’on puisse dire, c’est que le document de l’Office est sorti sans tambour
ni trompette puisqu’il a fallu six mois pour que j’en entende parler. Pourtant
il y aurait eu de quoi battre du tambour et faire sonner trompettes et clairons :
l’OQLF s’occupera désormais de légitimer les anglicismes dans l’espace public.
Dans une série de billets, je vais vous faire partager mes réflexions sur
ce document de réorientation.
* * *
D’abord
un court commentaire liminaire. Si le mot sociolinguistique apparaît à
plusieurs endroits dans l’énoncé de politique, il n’est aucunement fait mention
d’une quelconque enquête sur le terrain. Pourtant, il existe une enquête d’opinion
portant justement sur le jugement des Québécois envers les anglicismes, enquête
publiée par l’Office lui-même et, à ma connaissance, la seule du genre (pour un
résumé, cf. mon billet « Les interprètes autoproclamées de la norme sociolinguistique »). Il est vrai que, pour la mentionner, il aurait fallu
citer mon nom, que je suis persona non
grata et que mon nom est conséquemment nomen
non citandum.
* * *
À
plusieurs reprises, le document mentionne qu’un emprunt est acceptable s’il est
« intégrable au système linguistique du français ». Avant même la
publication de la nouvelle politique de l’emprunt, la question de l’intégrabilité
au système linguistique du français était devenue la tarte à la crème du GDT. J’ai
déjà montré dans quelques billets que cela ne voulait rien dire. Pour ne
prendre qu’un exemple, voici ce que j’écrivais le 18 juillet 2011 :
[Le GDT affirme que] l’emprunt tray « s’intègre
mal au système morphologique du français ». Vraiment ? Il est du
genre masculin (comme gré et pré) et il suffit d’ajouter un s pour
former son pluriel. La difficulté d’intégration est affirmée, elle n’est pas
démontrée.
Par ailleurs, il
est clair que l’emprunt tray, prononcé « tré », s’intègre
aussi très bien phonétiquement puisqu’il vient s’ajouter à la série cré (pop.),
gré et pré.
Voyons
aussi ce que disait des emprunts le grand linguiste Antoine Meillet :
Les
faits de vocabulaire dépendent des influences qui s’exercent sur la
civilisation et sont pour une large part indépendants de la structure de la
langue.
– Antoine Meillet, Linguistique historique et linguistique
générale, tome 2, Paris, Klincksieck, 1938, p. 105
Le
seul cas de difficulté d’intégration qui me vienne spontanément à l’esprit est
celui de queer (traité dans le billet précédent). Non qu’il s’intègre mal au système morphologique ou phonétique mais
parce que son orthographe ne correspond pas aux règles de correspondance
phonèmes-graphèmes du français. Selon ces règles, le mot devrait se prononcer
[kɛR], [kəɛR] ou [keɛR] ; ou on devrait
adapter son orthographe aux règles du français : couir. Mais le GDT rejette du revers de la main cet emprunt sans
même soulever ce point, qui pourrait justifier sa décision au moins en partie. Pour une fois qu'il y a un problème d'intégrabilité, fût-il léger, on le passe sous silence.
Bref,
dans le GDT, les difficultés d’intégration au système linguistique sont
affirmées mais le plus souvent indémontrables.
À SUIVRE
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