mercredi 26 juillet 2017

L’OQLF ouvre les vannes /1


Réflexions sur la nouvelle politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois de la langue française


C’est en lisant l’appel à communications d’un colloque sur les anglicismes qui doit avoir lieu l’année prochaine à Sherbrooke que j’ai appris que l’Office québécois de la langue française avait adopté, en janvier, une nouvelle version de sa Politique de l’emprunt linguistique. On lisait dans cet appel : « En janvier 2017, l’Office québécois de la langue française assouplissait sa politique relative aux emprunts pour se conformer davantage à leur légitimation dans l’espace public. »


Le moins qu’on puisse dire, c’est que le document de l’Office est sorti sans tambour ni trompette puisqu’il a fallu six mois pour que j’en entende parler. Pourtant il y aurait eu de quoi battre du tambour et faire sonner trompettes et clairons : l’OQLF s’occupera désormais de légitimer les anglicismes dans l’espace public.


Dans une série de billets, je vais vous faire partager mes réflexions sur ce document de réorientation.

*   *   *

D’abord un court commentaire liminaire. Si le mot sociolinguistique apparaît à plusieurs endroits dans l’énoncé de politique, il n’est aucunement fait mention d’une quelconque enquête sur le terrain. Pourtant, il existe une enquête d’opinion portant justement sur le jugement des Québécois envers les anglicismes, enquête publiée par l’Office lui-même et, à ma connaissance, la seule du genre (pour un résumé, cf. mon billet « Les interprètes autoproclamées de la norme sociolinguistique »). Il est vrai que, pour la mentionner, il aurait fallu citer mon nom, que je suis persona non grata et que mon nom est conséquemment nomen non citandum.

*   *   *

À plusieurs reprises, le document mentionne qu’un emprunt est acceptable s’il est « intégrable au système linguistique du français ». Avant même la publication de la nouvelle politique de l’emprunt, la question de l’intégrabilité au système linguistique du français était devenue la tarte à la crème du GDT. J’ai déjà montré dans quelques billets que cela ne voulait rien dire. Pour ne prendre qu’un exemple, voici ce que j’écrivais le 18 juillet 2011 :

[Le GDT affirme que] l’emprunt tray « s’intègre mal au système morphologique du français ». Vraiment ? Il est du genre masculin (comme gré et pré) et il suffit d’ajouter un s pour former son pluriel. La difficulté d’intégration est affirmée, elle n’est pas démontrée.

Par ailleurs, il est clair que l’emprunt tray, prononcé « tré », s’intègre aussi très bien phonétiquement puisqu’il vient s’ajouter à la série cré (pop.), gré et pré.

Voyons aussi ce que disait des emprunts le grand linguiste Antoine Meillet :

Les faits de vocabulaire dépendent des influences qui s’exercent sur la civilisation et sont pour une large part indépendants de la structure de la langue.
– Antoine Meillet, Linguistique historique et linguistique générale, tome 2, Paris, Klincksieck, 1938, p. 105


Le seul cas de difficulté d’intégration qui me vienne spontanément à l’esprit est celui de queer (traité dans le billet précédent). Non qu’il s’intègre mal au système morphologique ou phonétique mais parce que son orthographe ne correspond pas aux règles de correspondance phonèmes-graphèmes du français. Selon ces règles, le mot devrait se prononcer [kɛR], [kəɛR] ou [keɛR] ; ou on devrait adapter son orthographe aux règles du français : couir. Mais le GDT rejette du revers de la main cet emprunt sans même soulever ce point, qui pourrait justifier sa décision au moins en partie. Pour une fois qu'il y a un problème d'intégrabilité, fût-il léger, on le passe sous silence.


Bref, dans le GDT, les difficultés d’intégration au système linguistique sont affirmées mais le plus souvent indémontrables.



À SUIVRE

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire