jeudi 27 juillet 2017

L’OQLF ouvre les vannes /2


Réflexions sur la nouvelle politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois de la langue française

J’en viens maintenant à ce qui sera sans doute aux yeux de plusieurs la proposition la plus contestable de la nouvelle politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF :

Un emprunt en usage en français au Québec est accepté :
a) s’il est non récent, généralisé, implanté et qu’il est légitimé;
L’emprunt peut être intégrable ou non au système linguistique du français, et être en coexistence ou non avec un équivalent français.
[…]
b) s’il est récent et qu’il est intégrable au système linguistique du français. (p. 10)


Réglons d’abord un problème de formulation : un emprunt est accepté s’il est « généralisé, implanté, etc. ». Si un emprunt est généralisé, c’est qu’il est implanté, non ? C’est une tautologie, pour une pas dire une totologie*.


L’anglicisme sera donc accepté s’il est « non récent ». Le document nous apprend plus loin qu’un emprunt non récent est un « emprunt linguistique qui, au moment de son analyse, est en usage depuis plus d’une quinzaine d’années. » C’est le cas de la quasi-totalité des anglicismes répertoriés dans le Colpron. C’est aussi le cas des centaines d’anglicismes répertoriés par Wallace Schwab dans les textes juridiques québécois (Wallace Schwab, Les anglicismes dans le droit positif québécois, 1984).


L’énoncé de politique précise que l’emprunt doit aussi être « légitimé ». Qu’est-ce à dire ? À la page 25, on nous apprend qu’un emprunt légitimé est un « emprunt linguistique reçu dans la norme sociolinguistique d’une langue, accepté par la majorité des locutrices et des locuteurs d’une collectivité donnée. » Je reviendrai dans un autre billet sur le flou que représente la norme sociolinguistique telle que la définit le document. Je me contenterai pour l’instant de noter que, si les mots ont un sens, les anglicismes qui apparaissent depuis des décennies dans des textes de loi et dans des textes normatifs (pensons aux conventions collectives) doivent être considérés comme légitimés. S’il en est autrement, c’est que l’OQLF n’utilise pas le bon terme dans son énoncé de politique. Ou, si le terme est le bon, il faut en accepter les conséquences.


Il est vrai que, dans sa définition d’« emprunt partiellement légitimé », l’OQLF fait intervenir le recours aux ouvrages normatifs pour juger de la légitimité. Ce faisant, l’Office se place dans un cercle vicieux puisque son propre Grand Dictionnaire terminologique est un ouvrage normatif dont on se servira pour déterminer la légitimité des anglicismes qui y seront acceptés…


Bref, les vannes sont ouvertes. Mais il y a assez de flou dans cette Politique de l’emprunt linguistique pour les fermer au cas par cas.


Dans Le Devoir de ce matin, le journaliste Stéphane Baillargeon pose la question suivante que je ne peux m’empêcher d’appliquer à la nouvelle politique de l’OQLF sur les anglicismes :

Quelque chose vient-il même de craquer dans la société franco-québécoise ? La conjoncture politique dénationalisante et le bilinguisme croissant combinés à la grande numérisation où l’anglais règne annoncent-ils de nouveaux rapports décomplexés aux emprunts comme aux anglicismes ?
— Stéphane Baillargeon, « L’avenir du ‘post’ », Le Devoir, 27 juillet 2017.
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* Pour les lecteurs étrangers : Toto : Fam. Personne idiote, niaiseuse (Dictionnaire québécois d’aujourd’hui).

À SUIVRE


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