La langue de Molière a-t-elle des
limites qui ouvrent la porte aux emprunts ? Cet été, Le Devoir se
penche sur certains mots anglais récents de plus en plus utilisés en français
et qui n’ont pas trouvé d’équivalent juste dans notre langue.
Aujourd’hui : queer.
Depuis le coming out de Coeur de
pirate, dans la foulée du triste attentat d’Orlando, en juin 2016, le mot queer
est devenu mieux compris au Québec dans son rejet des normes des genres et de
l’hétérosexualité. En même temps, le mot s’est aussi ancré dans le quotidien,
sans qu’aucune des traductions françaises proposées n’ait de succès. […]
En France, on peut lire parfois le néologisme « transpédégouine », qui reproduit cette même réappropriation de
l’insulte. Chez nous, le mot « allosexuel » est accepté par l’Office
de la langue française en guise de traduction pour queer. Mais
cette traduction n’a pas la même force de frappe, note Bruno Laprade, doctorant
en sémiologie. « Le mot n’a pas remporté de véritable
succès dans la population. L’adoption du mot queer
parle beaucoup de notre
américanisation et des limites du français à rendre compte de ses fondements
sexistes. Les langues fonctionnent par incorporation. Il n’y a pas de raison
pour laquelle le français ne pourrait pas inclure le mot queer dans son vocabulaire sans avoir à le
traduire », répond
le jeune chercheur.
–
Sophie Chartier, « ‘Queer’, un flou clair pour les minorités sexuelles »,
Le Devoir, 20 juillet 2017
À la
lecture de cet article, j’ai eu, bien sûr, l’idée d’aller vérifier ce qu’il
pouvait bien y avoir dans la fiche « queer » du Grand Dictionnaire terminologique
(GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).
Je découvre d’abord qu’il y a deux fiches « queer »,
l’une portant comme domaine d’emploi « sociologie », l’autre « sociologie /
appellation de personne », la première de 2005, la seconde de 2015, les
deux avec essentiellement le même contenu : on propose comme équivalents
français allosexuel et altersexuel. Ce dédoublement n’étonnera
pas les habitués du GDT. On ajoute des fiches (cela s’appelle « enrichir »
le GDT) sans jamais se préoccuper des doubles emplois.
Mais il y a mieux.
Les hellénistes seront étonnés d’apprendre
que le « préfixe allo‑
[…] signifie ‘qui est d'une nature différente’ ». En réalité, le grec ἂλλος, qui a donné le préfixe
allo‑, signifie tout simplement « autre ».
L’auteur
de la fiche ajoute une autre note : « Le
terme altersexuel (et sa variante en
genre altersexuelle) est formé à
partir du préfixe alter‑, qui
signifie ‘autre’ ». Ce qui n’est pas tout à fait exact. En latin, alter signifie « l’un de deux »
ou « l’autre de deux »; quand il y a plus de deux personnes ou deux
choses, on emploie alius. En d’autres
termes, le latin fait une distinction entre l’autre de deux (alter) et l’autre de plusieurs (alius). La même distinction existe en
grec : ἂλλος
signifie l’autre de plusieurs et ἕτερος
l’autre de deux. Bref, étymologiquement, la proposition altersexuel du GDT signifie la même chose qu’hétérosexuel !
Or, les queers rejettent précisément la binarité sexuelle. Belle contradiction ! Et que d’ignorance !
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