mardi 17 septembre 2019

Un inquisiteur d’autrefois


En faisant quelques recherches cet été pour préparer les billets que j’ai consacrés à la disparition de Jean Marcel, j’ai découvert qu’il y aurait 20 ans ce mois-ci qu’était décédé un autre essayiste, Gilles Leclerc. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était justement à l’occasion d’un repas avec Jean Marcel.


Plusieurs croient que c’est Maurice Lecavalier qui a francisé le vocabulaire du hockey. Et ils n’ont pas complètement tort. Mais comme me l’a révélé Jean Marcel, c’est Gilles Leclerc qui est à l’origine des traductions françaises qui ont été lancées par Maurice Lecavalier sur les ondes de Radio-Canada. Le Québec doit beaucoup à un artisan obscur.


Gilles Leclerc a donc travaillé à Radio-Canada pendant les années 1950. Il a refusé de franchir les piquets lors de la grève des réalisateurs (29 décembre 1958 au 7 mars 1959). On lui reverra cette attitude courageuse lors de la grève des occasionnels de l’Office (alors la Régie) de la langue française (mars 1975) : il sera l’un des deux seuls employés permanents à refuser de franchir sous escorte policière les piquets. Car, entretemps, Gilles Leclerc était devenu le premier employé de l’Office de la langue française.


Gilles Leclerc a publié en 1960 un essai, le Journal d’un inquisiteur, que Gilles Labelle résume ainsi (dans Mens, revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, 3/2, 2003) :

La pensée de Gilles Leclerc (1928-1999) n’a jamais été véritablement reçue dans les milieux intellectuels et littéraires québécois. Pourtant, le Journal d’un inquisiteur, publié en 1960 (et réédité en 1974 et 2003), constitue un ouvrage qui a certainement sa place dans l’histoire des idées au Québec. Gilles Leclerc y expose une conception du passage de la société québécoise à une forme de modernité radicale qui accorde une grande place aux effets imprévus engendrés par ce qu’il nomme le « système ethno-théologico-politique ». Pour lui, la liberté nouvelle qu’il sent poindre à l’aube de la Révolution tranquille se confond avec la « licence » et ne pourra ainsi conduire qu’à une société fondée sur l’utilitarisme et l’hédonisme. Au bout du « système ethno-théologico-politique », en somme, se profile l’« intégration pan-américaine », assortie d’une tentation « nihiliste » (première partie). Cette conception s’appuie sur une anthropologie et une philosophie de l’histoire cohérentes et très élaborées, qui reposent sur une analyse des rapports qui doivent s’établir entre l’« Esprit » et l’« Histoire » (deuxième partie).


Je trouve, dans un texte du Devoir (12 décembre 2009) dont je ne parviens pas à identifier l’auteur, ce jugement qui me paraît bien résumer l’homme que j’ai connu :

Son énergie de révolté péremptoire « né en pays maudit » paraît inépuisable pour dénoncer tout ce qui l'irrite. Sa misanthropie, sa haine de soi (« J'écris pour moi — et contre moi »), ses couplets bilieux déclinés sur l'air du « Québec me tue », sa détestation quasi obsessive de la politique, des politiciens, et même de la démocratie, semblent ici sans limites et se mêlent à sa « honte » de devoir gagner sa vie comme rédacteur sportif à Radio-Canada. Des pages lourdes et tendues où la lucidité s'oppose au malheur personnel.


Gilles Leclerc a eu comme ami le chanteur Georges Dor (je me rappelle qu’il était présent à ses funérailles) et il a longtemps eu comme compagnon de travail à l’OLF l’auteur-compositeur-interprète Stéphane Golmann, personnalité emblématique du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre, surtout connu pour sa chanson La Marie-Joseph.


Gilles Leclerc avait des convictions syndicales, on l’a vu, et c’était un indépendantiste profondément pessimiste et allergique à l’à-plat-ventrisme de nos élites bilingual-bilingues. Je n’ai jamais parlé avec lui de Pierre Falardeau, du moins je ne me le rappelle pas, mais je crois qu’il aurait partagé la vision du Québec que le cinéaste présente dans Le temps des bouffons (même si Leclerc n’aurait jamais eu recours aux mots vulgaires que l’on peut entendre dans le film, son juron le plus fort étant bordel de merde) :



Pour moi, cet éditorial de Micheline Lanctôt a des accents qui me rappellent Gilles Leclerc :




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