Debout derrière son comptoir, le jeune homme,
en me servant mon café, me lance candidement : « Preniez-vous du
lait ? » Sur le coup, je demeure perplexe. « Quand
ça ? », ai-je envie de lui répondre.
[…]
Cela n’est qu’un exemple, et s’il s’était agi
d’un cas isolé, je ne me serais pas inquiétée, mais il s’est avéré depuis que,
quel que soit le commerce où je me présente, il se trouve toujours un caissier
ou une serveuse pour me demander si j’avais la carte de fidélité de
l’établissement ou si je voulais de la mayonnaise dans mon sandwich.
–
Andrée A. Michaud, « Alerte à l’imparfait ! », Le Devoir, 28 novembre 2020
Avant de lire ce texte, je n’avais pas
conscience de cet usage de l’imparfait qui serait en train de se propager à
Montréal tel un coronavirus. Il est vrai que je vis à Québec.
L’article a suscité de nombreux
commentaires sur le site Internet du Devoir.
D’habitude, quand il est question d’un mot ou d’une tournure, les opinions
exprimées sont pour la plupart inintéressantes, des lieux communs. Dans ce
cas-ci, quelques lecteurs ont tenté d’expliquer le phénomène. L’un a suggéré qu’il
s’agirait d’un « imparfait forain » (ou imparfait des commerçants).
Cette notion ne figure pas dans mon édition de Grevisse mais elle est mentionnée
dans la Grammaire critique du français
de Marc Wilmet : « qu’est-ce qu’elle voulait, la petite dame ? »
Cet usage se rapproche de ce que l’on appelle l’imparfait d’atténuation.
Un lecteur a écrit que l’imparfait forain
serait courant dans le Bas-du-fleuve, un autre qu’il l’avait entendu en
Abitibi. Pour ma part, j’ai entendu hier, dans une série néo-zélandaise doublée en France, « saviez-vous
où se trouve Untel ? » signifiant clairement « savez-vous ? ».
Ce qui amène à se demander si, compte tenu
de la situation sociolinguistique de Montréal, cet usage de l’imparfait dit
forain ne serait pas plutôt un calque de l’anglais, comme l’ont d’ailleurs
suggéré quelques lecteurs. J’ai trouvé ce commentaire grammatical sur le site du
Cambridge Dictionary :
In formal contexts, we sometimes use past forms in
questions, invitations and requests in the present so as to sound more polite:
Did you want another coffee?
I thought you might like some help.
We were rather hoping that you would stay with us.
In shops and other service situations, servers often use past verb forms
to be polite:
Assistant:
What was the name please?
Customer:
Perry, P-E-R-R-Y.
Assistant:
Did you need any help, madam?
Customer:
No, thanks. I’m just looking.