mercredi 12 mars 2014

La limonade endogéniste / 4


Suite de ma critique de la fiche « limonade = lemonade » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).


On lit sur la fiche :

En Amérique du Nord, le terme limonade et son équivalent anglais lemonade désignent une boisson non gazéifiée, alors que dans le reste du monde, ces termes se réfèrent plutôt à une boisson gazéifiée.


Voilà un curieux de raisonnement (on a le même sur la fiche détour au sens de « déviation »). C’est un raisonnement qui justifie l’emploi de tous les anglicismes au Québec : en Amérique du Nord, on dit hydrant, alors disons hydrant au lieu de borne d’incendie. Après tout, le mot a l’air français et on le prononce à la française. Allons plus loin : on dit bumper, windshield et wiper partout en Amérique du Nord ? Alors disons bumper, windshield et wiper ! Ce sont tous des anglicismes anciens en français du Québec.


Ce genre de raisonnement contredit la doctrine sur laquelle se basent plusieurs autres fiches du GDT. Ainsi on lit sur la fiche fin de semaine (week-end) : « […] une acceptation officielle de l'emprunt ne pourrait qu'encourager la généralisation du terme anglais et même, éventuellement, le remplacement du terme français fin de semaine […] ». Il y a quand même là une contradiction gênante.


C’est bien la peine d’avoir une politique sur l’emprunt linguistique si l’on n’uniformise pas les fiches en conséquence. La fiche « limonade = lemonade » est en contradiction tant avec la politique de l’emprunt de 1980 qu’avec celle de 2007.


Le rédacteur de la fiche a perdu de vue ce qui motivait l’action de l’Office québécois de la langue française :

L’action de l’Office a été une entreprise de décolonisation. On doit la mettre dans la même perspective que la publication de Nègres blancs d’Amérique ou du Journal d’un colonisé de Memmi. À l’époque de la création de l’Office, les Québécois se resituaient en tant que majorité maîtrisant ses propres institutions. On s’est trouvé dans l’obligation de décoloniser la langue tout comme les institutions publiques, l’économie, etc. Il a donc fallu franciser les entreprises et faire un ménage dans nos anglicismes. Par exemple, le mot bumper doit disparaître non pas parce que c’est un mot anglais, mais parce qu’il fait partie de la logique de la colonisation anglaise. Cette colonisation, nous en sommes toujours menacés. Il faut être vigilant, sinon on va un jour ou l’autre passer à l’anglais.
Jean-Claude Corbeil cité par Pierre Turgeon, « La bataille des dictionnaires », L’Actualité, avril 1989, p. 22.




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