jeudi 10 septembre 2020

Roman graphique


Avant aujourd’hui, j’avais entendu à quelques reprises l’expression roman graphique, en particulier à l’émission Plus on est de fous, plus on lit, mais je n’y avais guère porté attention. Cette fois-ci, j’ai pensé aller voir si le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait traité le terme. Eh bien, figurez-vous que oui et dès 2006.


Mais voilà que, pour une fois, le GDT fait montre d’une pudeur de gazelle devant un calque et le retoque : « le calque de l'anglais roman graphique est déconseillé, puisqu'il ne s'agit en rien d'un roman soutenu par un art graphique, mais bien d'un type de bande dessinée. » Au début, en anglais, le terme pouvait même être équivoque : comme l’écrit un chroniqueur du New York Times, « when I mentioned to a friend that I was working on an article about graphic novels, he said, hopefully, ''You mean porn?'' » Mais rien de tel en français.


Larousse accepte le terme, avec la définition : « bande dessinée, généralement pour adultes, d'une longueur comparable à celle d'un roman, caractérisée par la grande place accordée au texte. (Les œuvres de Hugo Pratt, Robert Crumb et Art Spiegelman sont particulièrement représentatives du genre.) »


Selon la dernière Politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF, dans l’acceptation d’un emprunt on doit tenir compte de qu’ils appellent son « statut temporel ». J’ai fini par trouver ce qu’il faut entendre par statut temporel dans une communication faite à un colloque par des terminologues de l’Office: « La détermination de l’implantation d’un emprunt est habituellement liée à une présence stable et prolongée (au moins au-delà de quinze ans) dans l’usage effectif des locuteurs d’une collectivité. » La fiche condamnant roman graphique est datée de 2006. Compte tenu de la réactivité des rédacteurs du GDT, on peut présumer que le terme était utilisé depuis déjà quelques années. Comme de fait.


Je trouve ce renseignement sur Internet : « D'origine américaine, le genre est né sous la plume de Will Eisner dans les années 1970, avec ses chroniques sur la communauté juive new-yorkaise. […] En France, il faudra attendre le début des années 1990 pour que des auteurs se fédèrent afin de publier leurs ouvrages, trop atypiques pour les grands éditeurs de bandes dessinées, qui les refusaient. » Bref, en vertu de son « statut temporel », roman graphique aurait pu être accepté.


L’OQLF a-t-il réussi à influencer l’usage ? Sa proposition a-t-elle reçu la faveur populaire ? Rien de plus facile à vérifier, il suffit de regarder le nombre de pages Internet où la proposition de l’Office, bande dessinée romanesque, ses synonymes acceptés BD romanesque et BD roman et le terme condamné roman graphique sont employés. On ne sera pas étonné de constater qu’une fois de plus le terme privilégié par le GDT, sans doute parce qu’il est trop long, n’a pas réussi à s’implanter.

Termes
Nombre de pages dans Internet
Pourcentage
Bande dessinée romanesque* 
1 620
0,04
BD romanesque 
21 400
0,56
BD roman 
63 300
1,65
Roman graphique 
3 760 000
97,76
________
* Le premier résultat que donne Google est précisément la fiche du GDT.


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