jeudi 31 octobre 2019

Usito et l’usage actuel du français au Québec


Un dictionnaire ancré en Amérique
Usito comble les lacunes des dictionnaires français (conçus par et pour des Européens) en présentant une description du monde à laquelle les Québécois et les autres francophones de l’Amérique du Nord peuvent s’identifier d’un point de vue culturel et linguistique.
 Extrait du site Internet d’Usito

Que penser de la description du français québécois qu’on trouve dans Usito ? Ce dernier comble-t-il vraiment les lacunes des dictionnaires français ? Pour répondre à ces questions, prenons quelques exemples :

Les résidents de la Ville de Montréal, ainsi que de certaines villes liées, ont jusqu’au 29 septembre pour profiter de la campagne automnale, Un arbre pour mon quartier. (Le Devoir, 31 août 2019)

Les résidents de la ville de Québec devront s’habituer à une forte présence policière pour les prochains jours. (Le Devoir, 7 juin 2018)


Sans doute parce que le mot habitant peut avoir le sens de « rustre », son usage est fortement concurrencé au Québec par le mot résident. Le tableau suivant a été produit le 31 octobre 2019 et se base sur toutes les pages Internet publiées en français (pas seulement les pages canadiennes) :


Résidents de Québec
523 000
Habitants de Québec
234 000
Résidents de Montréal
175 000
Habitants de Montréal
381 000
Résidents de Sherbrooke
32 500
Habitants de Sherbrooke
44 800
Résidents de Rimouski
13 900
Habitants de Rimouski
18 500
Résidents de Gatineau
24 800
Habitants de Gatineau
19 000
Résidents de Trois-Rivières
36 700
Habitants de Trois-Rivières
67 600
Résidents de Saguenay
7 940
Habitants de Saguenay
8 560
Résidents de Baie-Comeau
6 390
Habitants de Baie-Comeau
5 420
Résidents de Rouyn-Noranda
6 240
Habitants de Rouyn-Noranda
5 000
Résidents de Sept-Îles
10 400
Habitants de Sept-Îles
21 500

Le tableau présente les occurrences des expressions « résidents (de telle ville québécoise) » et « habitants (de telle ville) ». Dans le cas de Québec, de Gatineau, de Baie-Comeau et de Rouyn-Noranda, on préfère le mot résident au mot habitant. Pour les autres villes, c’est le contraire. Pour Québec, on préfère à 70 % parler de ses résidents. Pour Montréal, la proportion est aussi de 70 % mais en faveur du mot habitants. Quoi qu’il en soit du détail des résultats, une évidence saute aux yeux : les mots résident et habitant sont en concurrence dans l’usage québécois pour désigner une personne qui vit dans un lieu. Usito rend-il compte de cette réalité ? Non. Pour habitant, il donne les exemples habitant d’une ville, d’un village, d’un quartier. Pour le mot résident, il donne comme exemple « les résidents d’une maison de retraite », mais il ne mentionne pas les résidents d’une ville, d’un village, d’un quartier.


Prenons maintenant l’exemple du mot communauté que j’ai déjà traité dans ce blog en 2014 («Communauté ou collectivité?»). Au Québec, sous l’influence de l’anglais, on donne à communauté un sens qui est plutôt celui de collectivité, c'est-à-dire un ensemble organisé de la population coïncidant avec une subdivision du territoire, jouissant de la personnalité morale et ayant le pouvoir de s'administrer par un conseil élu. L’anglicisme sémantique communauté est généralisé dans le français du Québec, il a même fait l’objet d’une rubrique dans la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française. Cet usage est absent de la description du français québécois que prétend offrir Usito.


Troisième exemple : personne d’intérêt. Ce calque est en voie de faire disparaître le mot suspect. On peut le lire dans la presse (cf. mon billet « Le français québécois standard illustré par l’exemple / 20 ») et on peut très souvent l’entendre dans l’émission culte District 31. Cet usage n’a pas non plus été enregistré.


Quatrième et dernier exemple pour aujourd’hui : payer une visite (< to pay a visit). Encore une expression qu’on peut entendre fréquemment dans District 31. Autre calque absent d’Usito.


On me dira qu’il ne suffit pas que de quatre exemples pour affirmer qu’Usito rend mal compte de l’usage québécois contemporain. Mais avec ma flopée de billets sur ce dictionnaire et son ancêtre Franqus, avec en plus la critique de Claude Poirier, cela devrait être assez pour susciter des doutes.


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