mardi 29 janvier 2019

Les travaux de Pénélope


Dans deux billets intitulés « Le gâchis de Pénélope » et mis en ligne ces derniers jours, j’ai parlé des activités de «désofficialisation» de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Je continue dans cette ligne mais sous un nouveau titre, « Les travaux de Pénélope ». Il y aura vraisemblablement plusieurs suites au présent billet.


J’ai consulté hier la page Facebook de Gaston Bernier, qui a déjà été président de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française). Son dernier billet portait sur le terme smoked meat. Je savais que l’OQLF avait fini par entériner cet anglicisme mais j’ai été tout de même étonné de lire sur la fiche du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) cette note : « Smoked meat est un emprunt culturel à l'anglais qui désigne un mets introduit à Montréal par les immigrés d'Europe de l'Est. »


On sait que la dernière Politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF accepte un mot anglais « s’il fait référence à une réalité représentative d’une des communautés linguistiques anglo-saxonnes » (p. 12). Ce petit bout de phrase, qui n’a l’air de rien, contient une absurdité. Anglo-saxon s’applique aux habitants qui peuplaient l’île de Grande-Bretagne avant la Conquête normande et, en linguistique, il est synonyme de vieil-anglais. Il est abusif d’utiliser l’adjectif ou le substantif anglo-saxon pour désigner les peuples anglophones modernes.


En ce qui concerne smoked meat, il ne fait pas « référence à une réalité représentative d’une des communautés linguistiques anglo-saxonnes ». En fait, on s’accorde généralement pour dire que le smoked meat est un plat juif originaire d’Europe de l’Est. Peut-être cette appellation anglaise est-elle un calque du yiddish.


La fiche du GDT ajoute : « on a tenté, dans les années 1980, de remplacer smoked meat par d'autres termes, notamment par bœuf mariné qui avait été officialisé alors par l'Office québécois de la langue française, mais ces termes ne se sont pas implantés.» Avec un peu plus d’efforts le terme se serait peut-être implanté, au moins partiellement.


La fiche du GDT dit bien que le terme avait été normalisé par l’Office (le 24 janvier 1981). Ce qu’elle ne dit pas, c’est que cette normalisation résultait des travaux de terminologie effectués de pair avec des collaborateurs du gouvernement fédéral*. Une fois de plus, l’OQLF a désofficialisé des termes sans en avertir ses partenaires. Il reste néanmoins des traces, dans la banque Termium du Bureau des traductions (Ottawa), de cette collaboration passée :

Smoked meat platter :


Smoked beef sandwich :


Ajoutons, pour terminer, qu’en anglais même on privilégiait smoked beef :



En effet, dans le but de protéger le consommateur, la réglementation fédérale exigeait alors (je ne sais pas si cela est toujours le cas) de préciser l’espèce animale dans la vente de produits carnés.

________
* À ma connaissance, il y a eu plusieurs éditions du Lexique du bœuf (1977, 1978, 1979 et 1980). L’un des auteurs mentionnés dans les bases bibliographiques est le docteur Guy Meilleur, vétérinaire au ministère de l’Agriculture du Canada. Dans l’édition de 1977 (qui porte la mention « Régie de la langue française »), on peut lire : « Ce lexique contient la terminologie française normalisée pour la vente au détail au Québec, les termes de demi-gros ainsi que la terminologie bilingue fédérale des coupes pour collectivités. Les notes, placées entre le lexique et l'index des termes français, sont des plus utiles aux bouchers, aux rédacteurs de livres de recettes et aux professeurs de coupe de viandes. L'ouvrage est indispensable à toutes les personnes qui de près ou de loin ont à traiter la viande de bœuf ou à traiter de la viande de bœuf pour étiquetage, affichage interne ou publicité, afin de se conformer à la loi sur la francisation des entreprises. »


lundi 21 janvier 2019

Le gâchis de Pénélope/ 2


Dans mon avant-dernier billet, j’avais cité de mémoire, à propos du terme pouding donné comme synonyme de crème-dessert, les travaux du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers car je n’ai plus le lexique qui en avait résulté. Une ancienne collègue qui, elle, a conservé cet ouvrage m’a communiqué la teneur de la note 43 du Lexique de l’industrie laitière :

Le terme anglais pudding désigne, outre un apprêt culinaire fait de pâte, une crème-dessert appelée abusivement pouding en français.
Il s’agit d’un produit aromatisé à base de lait ou d’huile végétale et de consistance crémeuse. Le flan est un produit qui lui est apparenté, mais de consistance plus ferme.


Le résultat des travaux du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers a été présenté dans deux publications, l’une de l’Office (pas encore québécois) de la langue française, l’autre du Bureau des traductions à Ottawa. Il est donc inadmissible que l’Office québécois de la langue française change unilatéralement une décision prise en concertation avec d’autres ministères et organismes tant québécois que fédéraux.


Le Lexique de l’industrie laitière n’est plus en vente et il n’est pas disponible sur le site de l’OQLF. Une partie des lexiques et vocabulaires anciens était, encore ces dernières années, disponible dans la bibliothèque virtuelle du site de l’OQLF. J’ai eu beaucoup de difficultés à retrouver la page qui donnait accès à ces ouvrages : a-t-on vraiment décidé de les rendre inaccessibles ou bien ne s’agit-il que de problèmes de liens entre pages dans un site qui contient énormément d’informations ? Impossible pour moi de le déterminer. Mais, en tout état de cause, voici l’adresse de cette page :

https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/publications/publications/publications.html#talimentation


Début de la page :



Extrait de la même page :




J’ai découvert que plusieurs anciens lexiques, qui étaient disponibles en ligne via cette page, ne le sont plus.


Par exemple, si l’on veut obtenir dans la liste précédente le vocabulaire des électroménagers, lorsque l’on clique sur « Terminologie des appareils électroménagers », on est redirigé vers la page suivante :

 

… et si l’on clique sur « commander maintenant » on aboutit à un message d’erreur :



Pourtant, si l’on tape dans Google « Terminologie des appareils électroménagers », on découvre, sur le site même de l’OQLF, une version PDF du vocabulaire :



En refaisant l’exercice avec d’autres titres, j’ai pu avoir accès à plusieurs ouvrages qui ne sont plus directement accessibles à partir du site de l’OQLF : est-ce en compliquant l’accès aux lexiques et aux vocabulaires que l’on entend faciliter la francisation des entreprises ?


En terminant, voici, avec leur adresse URL, quelques ouvrages qui, pour l’instant, sont cachés dans les limbes du site Internet de l’OQLF :




https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/app_levage_20050923.pdf

https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/lex_soudage.pdf

https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/palettisation/palet_1998.pdf



https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/lex_char_el_1993_20050616_a.pdf

mercredi 16 janvier 2019

Le bilan qui tarde


Dans ma lettre récente à madame la ministre Nathalie Roy j’écrivais : « L’OQLF devait publier en 2018 le bilan que l’article 160 de la Charte de la langue française lui impose de faire « au moins tous les cinq ans ». Il n’a publié aucun bilan complet depuis 2008. Je vous prie de demander à l’OQLF de mettre à jour tous les tableaux du bilan de 2008 pour que les citoyens puissent se faire une idée de l’évolution de la situation linguistique. »


Régulièrement, ces dernières années, il a été question à la Commission de la culture et de l’éducation du bilan quinquennal de la situation linguistique que doit produire l’Office québécois de la langue française. Voici les principaux passages du Journal des débats relatifs au bilan quinquennal de l’OQLF :

Journal des débats, Commission de la culture et de l’éducation, 25 avril 2012

M. Blanchet: […] S'il y avait donc des bilans qui pouvaient et qui devaient être faits, eh bien je dis: Faisons-les. Faisons-les ici, faisons-les maintenant, abordons tous les aspects, ayons, autant que faire se peut, une ouverture d'esprit. Faisons des bilans, mais des bilans quantifiés. Je me refuse de croire que les organismes qui ont différentes fonctions relatives à la langue française au Québec ne sont pas en mesure de nous déposer des chiffres et j'ai beaucoup de difficultés à croire -- on me l'expliquera, bien sûr -- pourquoi les études existantes sont reportées afin qu'on puisse, effectivement, faire ce bilan. Donc, dans la perspective de faire un bilan, un portrait réel de la situation du français au Québec, moi, j'aborde cette étude de crédits là avec beaucoup de curiosité, mais aussi beaucoup d'ouverture. On posera des questions auxquelles, j'espère, on aura des réponses claires, précises, quantifiables, mesurables, de telle sorte que les politiques qui viendront par la suite soient le plus appropriées possible. Merci, M. le Président.
[…]
Mme St-Pierre: Alors, M. le Président, tout d'abord, il faut préciser que nous sommes tenus par la loi, c'est inscrit dans la Charte de la langue française qu'il doit y avoir des bilans qui sont réalisés à tous les cinq ans. Ces bilans sont réalisés par l'Office québécois de la langue française. Le président du comité des suivis est M. Marc Termote. Donc, pour avoir un portrait très clair, parce qu'il demande des résultats, des résultats, des résultats, pour connaître le bilan, il faut s'en remettre à des chercheurs qui vont faire des travaux là-dessus.


Journal des débats, Commission de la culture et de l’éducation, 30 juin 2014

Mme Samson : Merci beaucoup. En vertu du chapitre II de la loi 101, l'office surveille l'évolution de la situation linguistique au Québec et en fait rapport au moins tous les cinq ans au ministre, notamment en ce qui a trait à l'usage et au statut de la langue française ainsi qu'aux comportements et attitudes des différents groupes linguistiques. Or, le dernier rapport remonte à 2008. Depuis, aucun portrait d'ensemble n'a été dressé au Québec sur l'état de la langue française.
Interpellé sur cette question en avril dernier par le président d'Impératif Français, l'office a rétorqué que le bilan de 2008 avait fait l'objet de critiques en raison de sa lourdeur et de l'absence de conclusions claires. L'office a donc choisi de publier, depuis, des documents et études de façon ponctuelle. Depuis 2010, l'organisme a publié une quinzaine de documents et d'études, de faits saillants.
Au bout du compte, nous avons des études sectorielles, mais le portrait d'ensemble n'est plus là. Et, pendant ce temps, il est important de souligner que l'office ne se soumet pas à la loi. Mme la Présidente, j'aimerais savoir si la ministre compte exiger de l'office qu'il produise, comme la loi l'exige, son bilan complet sur l'état de la situation linguistique du Québec.
[…]
M. Vézina (Robert) : Oui. Bon, Robert Vézina, président-directeur général de l'Office québécois de la langue française. Alors, pour répondre à la question, Mme la Présidente, en effet, comme la ministre vient de l'indiquer, au cours des dernières années, l'office s'est acquitté de son obligation de faire le suivi de la situation linguistique et d'en faire rapport au moins tous les cinq ans au ministre. Ça s'est fait, la dernière fois, par le dépôt d'à peu près 14 études de 2011 à 2013. La dernière a été déposée l'été dernier, en 2013. Pour chaque étude, des résumés et des faits saillants ont été produits.
Cela dit, il est vrai que, lors de cet ensemble de dépôts d'études sectorielles, il n'y a aucune, vraiment, synthèse globale qui a été produite. Il y en a une qui a été produite par le Conseil supérieur de la langue française dans son avis paru en mars 2013 qui s'intitule Redynamiser la politique linguistique du Québec. Il y a vraiment une sorte de synthèse et un effort de résumer tout l'ensemble des études qui étaient à la disposition du conseil à cette époque, dont les études de l'office.
Lors du prochain programme... pour le prochain programme de recherche qui va être établi dès cette année, il est maintenant prévu qu'une synthèse globale sera produite, qui reprendra l'ensemble des constats qui seront dégagés dans les études sectorielles parce qu'effectivement, moi le premier, je considère ça très utile, pas seulement pour les parlementaires mais l'ensemble du public, utile d'avoir accès à une synthèse, là, qui permet à tout un chacun de se faire une idée assez rapide de la situation selon certains enjeux, là, qui interpellent tout le monde. Donc, effectivement, ce sera fait pour la prochaine fois.


Journal des débats, Commission de la culture et de l’éducation, 28 avril 2015

M. Kotto : Merci. Aux crédits, l'an dernier, M. Vézina disait, en réponse à une question portant sur le fait qu'il n'y ait plus de portrait global de la situation linguistique depuis 2008 mais bien des portraits sectoriels, et je cite : «...pour le prochain programme de recherche...» Je pense que c'était une question de ma collègue d'Iberville, d'ailleurs : «...pour le prochain programme de recherche qui va être établi dès cette année, il est maintenant prévu qu'une synthèse globale sera produite, qui reprendra l'ensemble des constats qui seront dégagés dans les études sectorielles. Parce qu'effectivement, moi le premier, je considère cela très utile, pas seulement pour les parlementaires, mais pour l'ensemble du public, utile d'avoir accès à une synthèse, là, qui permet à tout un chacun de se faire une idée assez rapide de la situation selon certains enjeux [...] qui interpellent tout le monde. Donc, effectivement, ce sera fait pour la prochaine fois.» Fin de la citation.
Quel sera le prochain programme de recherche de l'OQLF?
[…]
M. Kotto : O.K. Est-ce que vous pouvez nous donner une idée approximative du moment où la synthèse globale sera disponible?
M. Vézina (Robert) : Vous savez, pour produire une synthèse globale qui soit originale par rapport à la dernière synthèse qui a été présentée, je dirais, par le Conseil supérieur de la langue française, entre autres, dans son avis de 2013, et aussi, d'une certaine façon, par l'Office québécois de la langue française, qui a publié, je pense, 14 études entre 2011 et 2013, donc la prochaine synthèse... pour qu'elle soit, disons, pertinente, doit s'appuyer sur des données nouvelles. Et donc, selon moi, il va falloir s'appuyer sur les prochaines données du recensement qui va être effectué en 2017, donc... Sinon, bien, on va retravailler les chiffres du recensement de 2011 qui... et ce sont des données qui ont été largement publicisées lors de la sortie de l'avis du conseil supérieur. Donc, il y a des études qui vont pouvoir être présentées avant 2017, bien entendu, et elles vont faire partie... les résultats de ces études-là vont faire partie d'un bilan global qui sera produit. Mais le bilan global, selon moi, pour être pertinent, aura besoin d'exploiter les nouvelles données qui vont être rendues publiques à la suite du prochain recensement [Note : c’est-à-dire le recensement de 2016].
[…]
Mme Samson : Merci beaucoup. Dans un autre ordre d'idées, en vertu du chapitre II, à l'article 160 de la Charte de la langue française, «L'office surveille l'évolution de la situation linguistique au Québec et en fait rapport au moins tous les cinq ans au ministre — ou à la ministre —notamment en ce qui a trait à l'usage et au statut de la langue française ainsi qu'aux comportements et attitudes des différents groupes linguistiques.»
Or, le dernier plan remonte à 2008. Depuis, aucun autre portrait d'ensemble n'a été dressé, au Québec, sur l'état de la langue française. L'an dernier, nous avions interpellé la ministre sur ce sujet lors de l'étude des crédits. Le ministère et l'office s'étaient défendus en disant qu'il y avait eu 14 études déposées entre 2011 et 2013. Toutefois, le président de l'Office de la langue française nous avait dit, et je le cite... Il est avec nous, si je ne m'abuse. Oui. Il nous disait ceci : «Pour le prochain programme de recherche qui va être établi dès cette année, il est maintenant prévu qu'une synthèse globale sera produite, qui reprendra l'ensemble des constats qui seront dégagés dans les études sectorielles. Parce qu'effectivement [...] je considère ça très utile, pas seulement pour les parlementaires, mais l'ensemble du public, utile d'avoir accès à une synthèse [...] qui permet à tout un chacun de se faire une idée assez rapide de la situation selon certains enjeux [...] qui interpellent tout le monde. Donc, effectivement, ce sera fait pour la prochaine fois
Nous sommes la prochaine fois. J'aimerais donc avoir un suivi de cet enjeu, et ultimement connaître l'état d'avancement de la synthèse globale, et savoir quel est l'échéancier pour la sortie du bilan.

On attend toujours. 

lundi 14 janvier 2019

Le gâchis de Pénélope


À plusieurs reprises dans ce blog j’ai parlé de Pénélope à propos de l’Office québécois de la langue française (OQLF) dont, depuis une bonne quinzaine d’années, certains terminologues s’occupent à défaire les travaux de leurs prédécesseurs. J’ajoutais habituellement le commentaire suivant : faire et défaire, c’est toujours travailler. Je suis d’ailleurs revenu sur ce thème dans ma lettre à la ministre Nathalie Roy.


Le billet d’aujourd’hui, où je servirai un exemple du travail de Pénélope, n’est peut-être que le premier d’une série. On verra bien. En tout cas, ce n’est pas la matière qui manque.


Et commençons donc par la fiche « crème-dessert », qui a été refaite en 2014. Le terme avait été normalisé le 25 octobre 1980 puis a été désofficailisé le 15 février 2014. Voici un extrait de la fiche actuelle du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) :




On remarquera d’abord la pratique terminologique curieuse, et fortement discutable, de présenter le mot crème, tout court, comme synonyme de crème-dessert.


On notera ensuite que le mot pouding est présenté comme synonyme québécois de crème-dessert. Une fois de plus, l’OQLF fait table rase du travail de ses pionniers en terminologie. L’Office, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, était membre du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers*. C’était l’époque où les petits Simard (René et Nathalie) faisaient la promotion des petits poudings Laura Secord (qui étaient en fait des crèmes-dessert). Le Comité a défini crème-dessert et a exclu le synonyme pouding précisément pour contrer l’usage qui était fait de ce mot dans l’étiquetage et la publicité.



On trouve encore une trace de la décision du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers dans la banque de données Termium (Ottawa) :



C’est que le mot pouding (ou pudding), entré en français depuis belle lurette (xviie siècle!), désigne un entremets différent de la crème-dessert. Voici comment le Trésor de la langue française définit pudding :

PUDDING, subst. masc.
GASTRONOMIE
A. http://stella.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiret.gif Entremets à base de mie de pain, de farine, d'œufs, de moelle de bœuf et de raisins de Corinthe, souvent parfumé avec de l'eau-de-vie, que l'on sert traditionnellement à Noël en Grande-Bretagne. Les domestiques avaient eu soin de préparer ce repas de Noël d'après les rites du pays, avec les bougies allumées, le pudding traditionnel, les branches de gui et de houx emmêlées (BOURGET, Actes suivent, 1926, p. 33). On croit qu'il suffit de quelques insolences bien choisies pour leur verser du feu dans les veines et les faire flamber comme des puddings de Noël (GREEN, Moïra, 1950, p. 218).
[…]
B. http://stella.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiret.gif P. ext. , Toute préparation molle où il entre de la farine, cuite à l'eau ou à la vapeur, typique de la cuisine anglaise (REY-GAGNON Anglic. 1980). Pudding aux framboises, aux fraises; pudding instantané; pudding yorkshire.


Le dictionnaire de l’Académie française, dans sa 9e édition, donne la définition suivante :

XVIIe siècle. Emprunté de l'anglais pudding, qui a d'abord désigné une sorte de boudin, lui-même dérivé, par l'intermédiaire du moyen anglais poding, « saucisse », de l'ancien anglais puduc, « égratignure, plaie ». CUIS.Dessert anglais à la consistance très compacte, où il entre des biscuits, du pain de mie ou des féculents agrémentés de fruits secs et liés par des œufs ou de la crème. En composition. Plum-pudding, voir ce mot. • Par ext. En France, désigne aussi un gâteau grossier préparé par les boulangers à partir de pain et de gâteaux rassis. • (On écrit aussi Pouding.)


Une fiche du GDT, rédigée à l’époque où on savait encore faire de la terminologie à l’OQLF, va dans le même sens :

Définition
Apprêt culinaire fait de pâte (de type gâteau, ou bien composée de biscuits, de pain, de biscottes); il relève donc de la pâtisserie. Le pouding est toujours cuit ou pris au four. Il se consomme généralement chaud ou tiède, le plus souvent nappé d'une sauce.  
Note
Les poudings les plus connus au Québec sont le pouding du chômeur, le pouding aux pommes, le pouding aux bleuets, le pouding au pain, le pouding au caramel (à ne pas confondre avec la crème-dessert au caramel ni avec la crème renversée au caramel), le pouding à la rhubarbe, le pouding au chocolat (à ne pas confondre avec la crème moulée au chocolat ni avec la crème-dessert au chocolat). (GDT, fiche de 1984)


En bref, un pouding, ça ressemble plus à du gâteau qu'à une crème. Par sa décision de considérer dorénavant le mot pouding comme synonyme de crème-dessert, l’OQLF, une fois de plus, fait fi des travaux menés en commun avec d'autres ministères et les terminologues du gouvernement fédéral et s’éloigne de la norme du français général.
_______
* Le Comité intergouvernemental de terminologie de l'industrie laitière avait été créé pour uniformiser l’étiquetage français et anglais des produits laitiers partout au Canada et pour fournir aux inspecteurs des aliments, tant fédéraux que provinciaux, une terminologie commune. Faisaient partie du Comité, outre des terminologues de l’Office, des représentants du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du gouvernement du Québec, de la Direction générale de la production et de l'inspection des aliments du Ministère de l'Agriculture du gouvernement du Canada, de l'Institut de technologie agricole et alimentaire de Saint-Hyacinthe, de la Division des langues officielles du ministère de l'Agriculture du gouvernement du Canada ainsi que du Bureau des traductions (Secrétariat d'État du gouvernement du Canada).


jeudi 10 janvier 2019

L’influence d’un blog / 10


Je notais, le 14 décembre 2015, que le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’avait pas de fiche « plafond de verre » dans le domaine de la sociologie du travail. Rappelons que, pour le Bureau international du travail, « le plafond de verre constitue les barrières invisibles artificielles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d'accéder aux plus hautes responsabilités ».


Je viens de découvrir que la lacune du GDT a été comblée… deux ans plus tard, en 2017.


L’expression, qui s'applique maintenant à d'autres groupes que les femmes, est courante en Europe depuis les années 2000. C’est donc du français commun. Pourquoi la fiche du GDT ne le dit-elle pas plutôt que de nous asséner péremptoirement que « le terme plafond de verre, calqué sur l'anglais, s'inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec »?


Encore une fois, il faut constater que le GDT, qui prétend orienter l’usage, peine à le suivre et à l’enregistrer.


mercredi 9 janvier 2019

Troisième philippique


L’année dernière, j’ai écrit au premier ministre du Québec, M. Philippe Couillard, deux lettres que j’ai appelées des philippiques. Je viens tout juste d’envoyer une lettre à Mme Nathalie Roy, la nouvelle ministre « responsable de la Langue française », que je vais encore appeler une philippique même si ce titre n’a plus aucun rapport avec le prénom de la personne. Après tout, Cicéron avait bien emprunté à Démosthène le nom de philippique même si ses discours ne s’adressaient pas à un Philippe mais à Marc Antoine.

Le site d’Impératif français met en ligne aujourd’hui le texte de ma lettre à Mme Nathalie Roy.

Lettre à Mme Nathalie Roy

Madame la Ministre,

Vous avez eu l’audace d’affirmer, le 18 décembre, qu’il y a « un sérieux problème » dans la langue d’affichage à Montréal. Votre souci évident du statut et de la qualité de la langue française m’incite à porter à votre attention les faits suivants dans l’intention de vous aider à atteindre votre objectif de faire respecter et de faire appliquer la Charte de la langue française.

1. L’Office québécois de la langue française a rendu public l’automne dernier son Plan stratégique 2018-2023. Ce document, préfacé par l’ancienne ministre libérale, correspond-il vraiment aux objectifs en matière de promotion du français, de francisation des petites entreprises et de francisation des immigrants que votre parti a proposés aux Québécois pendant la dernière campagne électorale ?
2. L’OQLF devait publier en 2018 le bilan que l’article 160 de la Charte de la langue française lui impose de faire « au moins tous les cinq ans ». Il n’a publié aucun bilan complet depuis 2008. Je vous prie de demander à l’OQLF de mettre à jour tous les tableaux du bilan de 2008 pour que les citoyens puissent se faire une idée de l’évolution de la situation linguistique.
3. La place du français dans l’affichage à Montréal vous inquiète à juste titre. L’OQLF a publié le 29 mars 2018 une étude sur l’affichage à Montréal. On y affirmait que, de 2010 à 2017, il y avait eu une hausse dans la conformité à la réglementation. Cette hausse n’est pas étonnante quand on sait que la règlementation a été assouplie en 2016. Le Devoir a bien débusqué l’astuce quand il a titré dans son édition du 30 mars : « De nouvelles règles embellissent le portrait de l’affichage en français. » L’étude publiée en 2018 se concentre sur la conformité des commerces au nouveau règlement édulcoré mais fournit très peu de données sur la concurrence des langues dans l’affichage et encore moins sur l’évolution de cette concurrence.
Il m’a néanmoins été possible d’établir à partir de ces données parcellaires que, de 1997 à 2017, les commerces ayant pignon sur rue affichant uniquement en français sont passés de 52 % à 22,8 %, soit une baisse de 29,2 points.
Les données partielles dont nous disposons à l’heure actuelle permettent de croire qu’il y a eu un recul significatif de la présence du français dans l’affichage commercial sur l’île de Montréal depuis vingt ans. Pendant cette période, l’Office a effectué quatre enquêtes sur le sujet. Il a reçu le mandat de suivre l’évolution de la situation linguistique. Il dispose des données nécessaires pour informer la population de l’évolution de la concurrence des langues dans l’affichage commercial à Montréal de 1997 à 2017. Il ne l’a pas fait dans son rapport de 2018. Il se doit de le faire le plus tôt possible.
4. Le bilan de 2008 comportait un chapitre sur la maîtrise du français. On y trouvait des données sur le taux de réussite en qualité de la langue aux épreuves de français de 5e secondaire et à l’épreuve uniforme de français du collégial. Le ministère de l’Éducation ne met pas en ligne les résultats détaillés aux épreuves du secondaire : il importe donc que l’OQLF mette à jour les données de son bilan de 2008. Pour le collégial, nous savons que le taux de réussite au critère de la qualité de la langue est passé de 90 % en 1998-1999 à 84,8 % en 2015-2016. Les analyses que j’ai faites des données du Ministère montrent aussi que les résultats en orthographe sont en baisse depuis 1997-1998 et en syntaxe depuis 2002-2003. Le Ministère n’a pas publié les résultats de 2016-2017 et de 2017-2018. Pourriez-vous demander à votre collègue de l’Éducation de les mettre en ligne en attendant qu’ils soient intégrés au bilan de l’OQLF ?
5. L’OQLF a publié, en 2017, une nouvelle Politique de l’emprunt linguistique, « sans réelle consultation du milieu » comme l’ont écrit les auteurs de dictionnaires Marie-Éva de Villers et Jean-Claude Corbeil. Ces derniers ajoutent : « La politique de l'emprunt linguistique adoptée par l'OQLF en 2017 constitue un recul évident, un retour à la case départ des années 60. Si l'on avait appliqué les critères d'acceptabilité retenus dans la nouvelle politique de l'emprunt linguistique, jamais nous n'aurions été en mesure d'entreprendre et de réaliser les chantiers linguistiques menés par l'Office de la langue française » (Le Soleil, 23 septembre 2017). J’espère que vous n’hésiterez pas à rappeler à l’OQLF que son rôle n’est pas de décrire les usages populaires québécois mais de proposer l’usage d’un français correct dans l’Administration, l’affichage, le commerce, la publicité, l’enseignement, etc.

6. Je vous suggère, Madame la Ministre, de jeter un coup d’œil sur les priorités organisationnelles de l’OQLF. Le nombre d'inspecteurs y est passé de huit, en 2013‑2014, à quatre en 2014‑2015. On me dit que ce nombre serait toujours de quatre. Parallèlement, j’ai appris que deux terminologues ont été chargés de préparer, pendant au moins deux ans, des dossiers de « désofficialisation » de termes publiés à la Gazette officielle ces quarante dernières années : ce travail de Pénélope est-il vraiment nécessaire ? L’OQLF ne pourrait-il pas mieux gérer ses ressources humaines ? Plusieurs termes qui étaient déconseillés dans les avis publiés à la Gazette officielle sont dorénavant considérés par l’OQLF comme acceptables en contexte familier. Est-ce le rôle de l’OQLF de régenter la langue familière ? Ne devrait-il pas plutôt s’occuper des usages institutionnels de la langue ?

  
Je lis sur le site du gouvernement du Québec que vous êtes « ministre responsable de la Langue française » alors que vos prédécesseurs étaient ministres responsables de l’application de la Charte de la langue française. Ce changement d’appellation témoigne de l’importance de votre fonction et du rôle que vous êtes appelée à jouer dans la consolidation du statut et de la qualité de la langue française au Québec.

jeudi 3 janvier 2019

« Le dossier de la langue a glissé sous le tapis »


L’ancien président du Conseil supérieur de la langue française, Conrad Ouellon, signe ce matin un article dans Le Devoir : « Réveil passager ou reprise en main du destin des francophones ». Il y est surtout question de la crise linguistique ontarienne suscitée par les mesures adoptées récemment par le premier ministre Doug (Douglas) Ford. J’en extrais ce paragraphe concernant le Québec :

Quant au Québec, il se complaît dans sa « sécurité linguistique » ; le dossier de la langue française a glissé sous le tapis et à peu près rien de ce qui concerne la valorisation de la langue française, dans son usage ou dans sa forme, n’a vraiment fait l’objet des préoccupations gouvernementales au cours des dernières années.


Notons l’euphémisme : le dossier de la langue « a glissé sous le tapis ». Jean-Paul Perreault, dans son texte du 31 décembre 2018, y allait plus carrément : il parlait de « quinze ans de dérive libérale ».


« À peu près rien de ce qui concerne la valorisation de la langue française, dans son usage ou dans sa forme, n’a vraiment fait l’objet des préoccupations gouvernementales au cours des dernières années », écrit Conrad Ouellon. Le gouvernement libéral n’est même pas intervenu pour demander à l’Office québécois de la langue française (OQLF) de revoir sa Politique de l’emprunt linguistique qui est à bien des égards une politique de valorisation de l’anglicisme.