Il semble difficile de faire comprendre à la classe politique que la qualité de la langue ne se résume pas au respect des règles orthographiques, que les fautes de français dépassent largement le niveau somme toute élémentaire des fautes d’orthographe et que les impropriétés lexicales sont autrement plus sérieuses dans des textes législatifs. La Commission de l’économie et du travail n’a pas accepté d’entendre le mémoire de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française). Un député a posé une question à la ministre au sujet de la qualité de la langue du texte de loi. Voici l’intervention du député et la réponse de la ministre.
Journal des débats de la Commission de l'économie et du travail
Version préliminaire
Le mercredi 16 novembre 2011 - Vol. 42 N° 22
Étude détaillée du projet de loi n° 33, Loi éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction
M. Dufour: J'avais un commentaire parce qu'on parle des traducteurs, je ne sais pas... j'ai reçu un courriel d'un groupe de Saint-Hyacinthe, je crois, par rapport à la francisation du projet de loi. Je ne sais pas si la ministre l'a vu ou si ça a été apporté à sa connaissance. Je veux en parler là, parce qu'on parle de traducteurs, là, mais je sais que le législateur, les légistes regardent ça beaucoup quand on a fini le projet de loi, mais je voulais juste savoir si ça a été porté à l'attention de la ministre, l'envoi que j'ai eu.
* * *
À la suite de cet échange qu’on ne peut guère qualifier d'éloquent, le président honoraire et fondateur de l’Asulf a envoyé aux membres de la Commission ce qu’il n’a pas hésité à appeler une supplique – oui, nous en sommes rendus à supplier les députés pour qu’ils respectent la langue française :
SUPPLIQUE
aux membres de l’Assemblée nationale
La ministre du Travail refuse de corriger des fautes de français grossières
dans le projet de loi no 33
L’Association pour le soutien et l’usage de la langue française (Asulf) a déposé le 26 octobre dernier à la Commission de l’économie et du travail un mémoire, dont vous avez reçu un exemplaire, dans lequel elle signale quelques grosses fautes de français, des anglicismes.
Ces fautes sont peu nombreuses, mais importantes, parce qu’elles portent sur des mots-clefs du projet de loi, soit :
- Service de référence de main-d’œuvre dans l’industrie de la construction à remplacer par Service de présentation de main-d’œuvre…
- le verbe référer à remplace par présenter;
- le mot occupation à remplacer par le mot emploi;
- le mot certificat de compétence à remplacer par certificat de qualification.
Elle demande aussi de corriger les termes suivants :
- agent d’affaires à remplacer par agent syndical;
- les mots coûts défrayés à remplacer par coût payés, prélevés ou couverts
- la locution est à l’emploi de à remplacer par travaille pour ou est employé par
- le mot renseignements à remplacer par mentions.
Elle croit qu’il est préférable d’employer le mot efficacité au lieu d’efficience, ce dernier mot ne faisant pas l’unanimité chez les linguistes.
L’argumentation à l’appui de chacune des suggestions qui précède est contenue dans le mémoire susmentionné.
Réponse de la ministre
La ministre du Travail, Lise Thériault, a rejeté spontanément, en bloc, ces suggestions, en réponse à une question posée par un député en commission parlementaire le 16 courant sur les fautes de français dénoncées par l’Asulf dans le projet de loi ci-dessus. La ministre a déclaré :
On n’y relève pas des fautes d’orthographe, mais des expressions perçues comme n’étant pas du bon français. Ce sont des expressions qu’on trouve partout dans le projet. Pour ne pas prêter à confusion, le législateur a choisi de ne pas changer ces termes,… Il faudrait modifier tous les articles, présenter des amendements à tous les articles. On n’en sortirait pas.
Ce sont des termes usuels dans l’industrie de la construction – une modification pourrait avoir des incidences sur le sens de certains articles ou sur l’interprétation de certains aspects de la loi.
(Notre transcription de l’enregistrement des débats à la commission parlementaire).
Commentaires
De vraies fautes
S’il s’agissait uniquement de fautes d’orthographe, l’Asulf ne serait pas intervenue. Il s’agit bel et bien de fautes de français que la ministre voit comme des « expressions perçues comme n’étant pas du bon français ». Si ce n’est pas du bon français, c’est du mauvais français. Il n’y a pas de milieu. Le législateur ne doit pas légiférer en mauvais français. C’est ce qu’il fait pourtant.
Ainsi, les auteurs des notes explicatives du projet de loi expliquent que le « projet de loi introduit un nouveau mécanisme de référence … ». Ils ajoutent que « toute référence de main-d’œuvre doit se faire par l’intermédiaire du Service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction… et que les associations syndicales et d’employeurs qui veulent référer des salariés doivent le faire… ». Plus loin, ils continuent : « … dont l’inclusion de la notion d’occupation spécialisée… ». Ils font aussi mention d’un mécanisme de révision des activités comprises dans un métier ou une occupation spécialisée… ».
On ne peut mieux maltraiter la langue. C’est s’exprimer en anglais avec des mots français. Ne s’agit-il pas d’anglicismes… aux yeux de francophones?
Termes usuels de la construction
Personne ne conteste cette affirmation. C’est là une évidence. Lorsque le législateur corrige des fautes de français, il le fait généralement pour éliminer un usage fautif et en implanter un qui soit correct.
Rien de nouveau dans cette façon de procéder qui est tout à fait normale.
Travail trop long
La ministre continue en disant que les expressions critiquées se trouvent partout dans le projet de loi et que, s’il fallait les corriger, il faudrait présenter des amendements à tous les articles de sorte qu’on n’en sortirait pas. Il y aurait donc beaucoup de corrections à faire. La ministre trouve que c’est trop d’ouvrage. La correction de la langue ne justifie pas autant d’efforts. Ce n’est pas si important que ça.
Il est difficile de ne pas être renversé par une telle appréciation de l’importance de la qualité de la langue.
Problème d’interprétation
Laisser entendre que la correction de termes erronés pourrait soulever des problèmes d’interprétation de certains aspects de la loi est une affirmation dénudée de tout fondement. Le législateur a fait des opérations de ce genre maintes et maintes fois dans le passé. Le remplacement d’un mot incorrect par le terme juste est une opération facile à faire, assez fréquente et qui ne met pas en danger la sécurité juridique des intéressés.
Nécessité de conseillers linguistiques
Les exemples de fautes citées au début s’expliquent, selon nous, par le fait que les personnes qui conseillent la ministre, si compétentes qu’elles puissent être dans le domaine des relations professionnelles ou dans celui du droit, le sont moins dans le domaine linguistique. Si la ministre avait eu recours à des spécialistes de la langue, appelés communément linguistes et, au besoin, à des jurilinguistes, la situation actuelle ne se présenterait pas. Si elle faisait aujourd’hui une telle consultation, elle changerait d’avis rapidement.
Urgence d’agir pour l’Assemblée nationale
Les fautes de vocabulaire relevées dans le projet de loi sont relativement peu nombreuses, mais elles sont d’importance. Elles portent sur des termes-clés du projet de loi. Pour les gens de ma génération, ce sont des péchés mortels. Elles doivent donc disparaître.
Il est impératif que l’Assemblée nationale apporte des amendements au projet de loi dans le sens suggéré par notre association pour éviter le scandale que constituerait une loi entachée de fautes de français graves. Des journalistes ont déjà commencé à employer les anglicismes contenus dans le projet de loi. L’État devient ainsi une source de pollution de la langue au lieu d’être un modèle de rédaction.
Votre fonction de député vous permet de faire amender le projet de loi no 33 pour en supprimer les fautes de français graves dénoncées par notre association. C’est pourquoi nous vous supplions d’intervenir personnellement pour que l’Assemblée nationale évite un scandale linguistique.
Nous rappelons, en terminant, que le législateur doit s’exprimer en utilisant un vocabulaire qui est nécessairement français et non « les termes usuels dans l’industrie de la construction ». Ainsi le veut la Charte de la langue française dont nous célébrons le trente-cinquième anniversaire cette année. Il est temps de la respecter.
Nous comptons sur vous!
Merci!
Robert AUCLAIR
Le 22 novembre 2011
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