mercredi 27 février 2013

Les lacunes du Franqus dans la description du « français standard en usage au Québec »



Fidèle à une habitude prise depuis un certain temps, je vérifie si certains mots ou certains usages que j’entends ou lis dans les médias ont bien été enregistrés par le Franqus. Voici mes plus récentes glanures.


Pétromonarchie

C’est bien simple, les satrapes politiques des pétromonarchies, de l’Arabie saoudite en particulier, financent tout ce qui est inhérent au prosélytisme religieux en général et à sa version wahhabite en particulier.
Serge Truffaut, « L’islamo-fascisme », Le Devoir, 8 février 2013


Le Franqus indique que pétro- est un élément entrant dans la composition des mots. Il n’a toutefois pas le mot pétromonarchie.



Personnificateur féminin et conventum

Dans le Québec des années 1950, si un homme était surpris déguisé en femme, il prenait le chemin de la prison. Aujourd’hui, les personnificateurs féminins, ou drag queens, sont invités dans les talk-shows, inspirent les scénaristes télé (Cover Girl) et s’offrent le Métropolis pour célébrer 25 ans de carrière, comme le fera Mado Lamotte le 14 février prochain.
[…]
À partir de ses outrances au milieu des années 1980 dans des bars alternatifs comme le Poodle et le Lézard, Mado s’est vite imposée par ses costumes extravagants, son tempérament rassembleur (chaque été, elle organise le spectacle Mascara, véritable conventum de drag queens), un sens inné de la répartie doublé d’un sens certain des affaires, digne propriétaire du Cabaret à Mado.
André Lavoie, « 25 ans de personnification féminine Folles du roi et reines de la nuit », Le Devoir, 9 et 10 février 2013


Si le Franqus a bien une entrée drag-queen, en revanche il n’a ni personnification féminine ni personnificateur féminin. Ce calque de l’anglais (female impersonator) est pourtant attesté en français québécois depuis plusieurs années. Une recherche rapide sur Google m’a donné cette attestation de 2003 :

« L'Entre-Peau organisait son concours Miss Cabaret L’Entre-Peau. Comme je passais souvent pour une fille, mes amis m'ont inscrit. Et j'ai gagné le concours. J'ai toujours eu le goût de faire de la scène, du théâtre et de la danse, mais de là à m’imaginer être, un jour, animateur à l'Entre-Peau ! Ma carrière de personnificateur a commencé comme ça. Richard Leblanc, l'ancien patron, est comme un second père pour moi. »
Michel Joanny Furtin, « Drag sans lipstick », Fugues, 18 décembre 2003.


Il est encore plus surprenant de découvrir que le Franqus n’a pas enregistré le mot conventum, dont je trouve cette attestation datant de 1930 dans le Trésor de la langue française au Québec :

En vue du prochain conventum des anciennes élèves de l'École Normale de Saint-Pascal, en juin prochain, les anciennes appartenant à chaque région mentionnée ci-dessous, sont cordialement priées de donner leurs noms et adresses [...] aux directrices de recrutement [...].
Le Devoir, 15 janvier 1930

Le Wiktionnaire, plus complet sur ce point, donne une attestation de 1891 :
Ces messieurs adressèrent une lettre à M. l’abbé Colin, l’éminent supérieur du séminaire de Montréal, dans laquelle ils lui suggéraient de convoquer un conventum de tous les anciens élèves de cette grande maison.
Joseph Tassé, Le 38e fauteuil, ou Souvenirs parlementaires, 1891


Le Wiktionnaire indique que le mot est propre au français du Canada. Encore un aspect de la culture et de l’histoire du Québec qui a échappé au Franqus. Pourtant, le mot figurait dans l’édition de 1992 du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (Robert).



Gratteux (de guitare)

Les policiers veulent aussi mettre la main sur le fichier numérique de 33 minutes sur lequel Stéfanie Trudeau exprime son mépris des gratteux de guitare. […]Enfin, les enquêteurs demandent tout enregistrement vidéo en possession de Radio-Canada qui provient de la Casa, le quartier général des « gratteux de guitare » sur la rue Papineau
Brian Myles, « Enquête élargie sur la policière Trudeau », Le Devoir, 16 février 2013

Le Franqus n’enregistre le substantif gratteux que dans le sens de « billet de loterie » (billet à gratter).



Belle-mère

D’où ces pantomimes de réformes – partielles et graduelles, timides et réversibles, déclarations solennelles suivies de presque rien – d’un Raúl Castro qui ne veut ni ne peut trancher dans le vif. Avec un Fidel en « belle-mère », toujours vivant, qui surveille derrière… et dont la simple existence biologique constitue sans doute le verrou décisif.
François Brousseau, « Immobilisme cubain », Le Devoir, 18 février 2013


Pour le mot belle-mère, le Franqus ne donne que deux sens : « mère du conjoint ou de la conjointe » et « seconde conjointe du père, par rapport aux enfants d’une première union ».


Encore une fois, Wikipédia nous renseigne plus sur l’usage québécois que le Franqus : « En politique québécoise, une belle-mère est un terme péjoratif utilisé pour décrire un ancien premier ministre retiré de la vie politique qui embarrasse son ancien parti par des critiques ou des déclarations incendiaires. »


Le mot a même été repris par Mgr Maurice Couture (archevêque émérite de Québec) dans ses commentaires sur la renonciation de Benoît XVI :

Bien sûr, l'Église catholique se retrouve maintenant dans une drôle de situation où un pape est nommé alors que son prédécesseur est toujours vivant. « C'est sûr que ça peut être assez embarrassant, commente Mgr Couture. Ça va lui demander un devoir de réserve extraordinaire et il ne faudra pas qu'il joue à la belle-mère ! »
Isabelle Mathieu, « Démission de Benoît XVI : Mgr Couture applaudit un geste ‘libérateur’, Le Soleil, 15 février 2013




Coadjuteur, coadjutrice

Le mot est défini ainsi dans le Franqus : 1) (n.m.) « évêque choisi pour aider un autre évêque ou un archevêque dans ses fonctions » ; 2) (n.f.) « religieuse nommée pour seconder une autre religieuse de rang supérieur (une abbesse, une prieure, la supérieure d’un couvent ».


Le Franqus n’a pas enregistré l’emploi du mot coadjuteur au masculin dans le cas d’un ecclésiastique qui ne serait pas évêque, au contraire du Trésor de la langue français informatisé : « Religieux adjoint au Supérieur d'un couvent, d'une abbaye et destiné à lui succéder. Coadjuteur d'un abbé; le père coadjuteur, le frère coadjuteur ».


De plus, le Franqus oublie qu’historiquement le coadjuteur avait souvent le droit de succéder à l’évêque résidentiel : « Évêque adjoint par le Pape à un évêque résidentiel pour l'assister dans l'exercice de ses charges avec le plus souvent droit de succession » (TLFi). Information confirmée dans Wikipédia : « Un évêque ou archevêque coadjuteur est un évêque nommé, comme un évêque auxiliaire, aux cotés d'un évêque diocésain, mais avec droit de succession immédiate sur le siège de l'évêque à qui il est adjoint après la démission ou le décès de ce dernier. »

Le Franqus omet enfin de dire que, par extension, le mot coadjuteur désigne une « personne qui assure des fonctions d'aide ou de remplacement » (TLFi).



Partitionniste (partisan, généralement anglophone, de la partition du Québec)

Au lendemain de cette manifestation, la ministre De Courcy s’est émue d’avoir entendu l’orateur Beryl Wajsman, rédacteur en chef du journal partitionniste The Suburban, qualifier à tue-tête l’actuel gouvernement péquiste de « ségrégationniste ».
Christian Gagnon, « Le PQ n’est pas au pouvoir » (libre opinion), Le Devoir, 21 février 2013


Le mot partitionniste (adjectif et nom) est absent de la nomenclature du Franqus, tout comme le mot partitionnisme.


Les mots partitionniste et partitionnisme sont attestés depuis au moins 1996 (Georges Ansellem, « Partitionnisme contre souverainisme », Le Devoir, 4 mars 1996). En 1997, Alain Roy a fait paraître une analyse intitulée « Le discours partitionniste » dans la revue Liberté.


Il faut admettre que, tout comme ces ouvrages « conçus et élaborés en France », le Franqus rend souvent « compte de réalités sociales, historiques, géographiques, administratives et culturelles avant tout françaises et européennes » et qu’il néglige certaines de nos réalités politiques.



Brun (billet de 100 $), enveloppe brune

L’ancien maire de Montréal, Jean Doré, […] ne se souvient plus du nom de celui qui lui offrait le pot-de-vin. L’événement s’est passé deux semaines avant l’élection, en marge d’une assemblée publique. « Quelqu’un m’attendait avec une enveloppe ouverte, avec beaucoup de bruns. […] »
« Jean Doré a refusé une enveloppe brune », Le Devoir, 21 février 2013, encadré de la page A3.


Ce sens familier du mot brun en français québécois n’a pas été enregistré dans le Franqus.


Le dictionnaire a toutefois enregistré le sens « somme d’argent donnée ou reçue de manière illicite » du mot enveloppe mais il a omis le syntagme très fréquent dans la presse québécoise et sur nos ondes enveloppe brune.



Température (temps qu’il fait)

L’enjeu occupera encore ce mercredi la ministre Finley. Elle doit rencontrer la Coalition sur l’assurance-emploi du Québec, de même que la ministre québécoise du Travail Agnès Maltais – si la température le permet. Il y a deux semaines, Mme Maltais avait été forcée de rebrousser chemin lorsque son avion n’a pas pu se poser dans la région d’Ottawa en raison d’une tempête de neige. La météo ne s’annonce pas plus clémente mercredi.
Guillaume Bourgault-Côté et Marie Vastel, « Assurance-emploi – La performance des enquêteurs est scrutée chaque semaine », Le Devoir, 27 février 2013


Le sens « temps qu’il fait » donné communément au Québec au mot température a échappé aux auteurs du Franqus. Pourtant, ce sens est déjà consigné dans plusieurs ouvrages (Dictionnaire québécois d’ajourd’hui, Multidictionnaire, etc.). Le Grand Dictionnaire terminologique précise même : « Le mot température a rapport seulement à la chaleur ou au froid et à l'humidité qui fait que la chaleur ou le froid, à un même degré, est plus ou moins ressenti par les êtres humains. Il ne s'applique nullement à l'état du ciel. »


Quand on voit qu’un usage si typique du français québécois, et si courant, n’a pas été répertorié par l’équipe du Franqus, on peut avoir des doutes sur l’ensemble de cette entreprise lexicographique.



Travaux communautaires

Entendu récemment sur TV5 cette expression : travail d’intérêt général (« peine de substitution à l'emprisonnement dans certaines conditions » selon le TLFi). Ce qui m’a incité à vérifier si le québécisme travaux communautaires (en anglais community service) figurait bien dans la nomenclature du Franqus. On emploie aussi au Québec le terme travaux compensatoires.


Encore un usage québécois qui a échappé aux auteurs du Franqus.


Et aussi aux terminologues de l’Office puisque je n’ai rien trouvé dans le GDT. La fiche community service (traduction : service communautaire) qu’on y trouve concerne un tout autre domaine (« organisme, public ou privé, qui assure à la population d'une aire géographique vivant en logement autonome des services sociaux courants »).


Curiosité : Le Franqus a pourtant le sigle TIG « travail d’intérêt général » mais le terme n’est pas défini dans le dictionnaire. Encore une incohérence.


On notera que Wikipédia mentionne que travaux communautaires est l’équivalent québécois de travail d’intérêt général.

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