mardi 28 juin 2011

Diccionario del español de México (7) Conclusion


Je me contenterai d’une brève conclusion à ma série de billets sur le Diccionario del español de México (DEM).

Premier point.- Invitation à poursuivre l’étude comparative des marques en lexicographie française, québécoise et hispanique. Il faudrait susciter des vocations chez les jeunes chercheurs.

Deuxième point.- il faut rappeler ce qu’implique, en termes de temps, la rédaction d’un dictionnaire « complet » élaboré selon une méthodologie rigoureuse basée sur l’exploitation d’un corpus. Cela ne peut se faire en cinq ans, même dans le cadre d’un plan quinquennal stalinien et avec une équipe de stakhanovistes et d’une brigade de choc de lexicographes.

Troisième point (et le plus important).- Un dictionnaire descriptif comme le DEM est socialement inacceptable au Québec. Ce n’est pas pour rien que j’ai rédigé des billets sur le vocabulaire de la drogue et sur les anglicismes dans le DEM. Mais j’ai finalement laissé tombé en grande partie le traitement des niveaux de langue (car le DEM rend compte des niveaux de langue familier, argotique et même de la langue des malfaiteurs) et complètement celui des mots vulgaires (chingar, chingada, etc., d’autres étant d’ailleurs – provisoirement ? – absents de la version en ligne, comme mameada). Le simple traitement objectif – la simple consignation – d’emprunts à l’anglais comme clutch et muffler, présents dans le DEM et même dans un dictionnaire scolaire comme le DIME, est impensable dans un dictionnaire québécois autre qu’un dictionnaire normatif ou un dictionnaire d’anglicismes mais elle se fait visiblement sans scandale dans les dictionnaires mexicains. Déjà dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (1992) la simple consignation de mots comme moppe (« vadrouille à franges »), tuxedo (marqué comme anglicisme tout comme, curieusement, smoking comme s’il existait un autre équivalent en français), flat (« crevaison ») ou twit (« crétin ») avait soulevé un tollé. Pourtant, des mots aussi fréquents en français québécois que clutch, muffler, wipers, cap de roue n’étaient pas enregistrés dans ce dictionnaire. Ne prenons que les termes flat et cap de roue : selon une enquête de 2006, dans les régions métropolitaines de Montréal et de Québec, 43 % des répondaient disaient utiliser l’anglicisme flat contre 53 % le mot crevaison et 57 % cap de roue contre 22 % enjoliveur[1] (les totaux n’arrivent pas à 100 % car tous les répondants n’avaient pas à la fois l’équivalent standard et le québécisme dans leur répertoire). Ces anglicismes sont donc loin d’être assimilables à des hapax. Pourtant, cap de roue, pourtant plus usité que flat, n’a pas eu droit aux honneurs du dictionnaire. Et je n’insiste même pas sur la présence dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui des jurons, ce qui n’a pas peu fait pour discréditer l’entreprise. La question à poser est donc : pourquoi les Québécois n’acceptent-ils pas qu’on leur présente, dans un dictionnaire ou quelque autre publication scientifique, le miroir de leurs usages linguistiques ? La question est loin d’être rhétorique, il suffit de rappeler la publication, par l’Office (malgré tout pas encore « québécois » à l’époque) des travaux de Claire Lefebvre sur la syntaxe du français montréalais. D’aucuns se rappelleront la volée de bois vert que l’éditorialiste Lise Bissonnette du Devoir avait alors servie (je n’ai plus le texte sous la main mais je crois me souvenir que la base de l’argumentation était de soutenir que cette publication aurait plutôt dû relever d’un office du joual). Il suffit aussi de mentionner les malaises de l’équipe Franqus sur les questions de norme, d’anglicismes, de jurons, visibles dans les changements de titres qu’a connus le projet et dans les communications qu’elle n’a cessé de faire dans divers colloques depuis le début des travaux (a-t-on jamais autant fait de communications dites scientifiques sur un dictionnaire qui, à ce jour, n’existe toujours pas si ce n’est à l’état embryonnaire et pour la consultation duquel il faut montrer patte blanche, voire passer sous les fourches Caudines ?)

Certains, se souvenant des premiers billets de ce blogue qui les avaient conduits à me ranger dans le camp des exogénistes (catégorie dont j’ai montré à quel point elle relevait du fantasme) croiront que j’ai franchi le Rubicon ou que j’ai connu mon chemin de Damas, bref que j’ai viré capot, et pourront essayer de me ranger maintenant dans la chapelle des endogénistes (qui, soit dit en passant, est essentiellement une société d’admiration mutuelle à laquelle je ne souhaite pas appartenir). Ils auraient tort. Quitte à déplaire, je revendique simplement le droit de poser des questions embarrassantes et de faire valoir mon opinion, à temps et à contretemps, peu importent les chapelles, cénacles et autres mitaines[2] auxquels on voudra s’imaginer que j’appartiens.
Antiguo Colegio de San Ildefonso. Centro Histórico, Ciudad de México



[1] http://www.oqlf.gouv.qc.ca/etudes/etude_11.pdf
[2] Anglicisme, d’intégration ancienne en québécois, de meeting hall, temple où se réunissent les protestants.

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