Voilà bien une quarantaine d’années qu’au
Québec, au Canada, « une auteure » est entrée dans l’usage, au même
titre d’ailleurs qu’une multitude d’autres formes en ‑(t)eure. Or, depuis peu, on côtoie aussi « une autrice »
occasionnellement.
Céline Labrosse, « Une auteure ou une autrice ? », Le Devoir,
5 décembre 2019
Contrairement
à ce qu’affirme la signataire (notez qu’en usant de ce mot je m’évite de
choisir entre auteur, auteure et autrice) de ce texte, la forme autrice est de plus en plus fréquente. J’ai
pu constater que, depuis environ un an, c’est à peu près la seule forme que l’on
entend à l’émission « Plus on est de fous, plus on lit » animée par
Marie-Louise Arsenault sur Radio-Canada Première. Lionel Meney vient de plus de montrer dans un billet de
son blog Carnet d’un linguiste (« La spectaculaire montée en puissance d’autrice ») que ce féminin est depuis
peu en forte progression tant au Québec qu’en France.
Quand
j’ai vu que les commentaires publiés sur le site Internet du Devoir étaient largement des propos de
Café du commerce, je me suis abstenu de me jeter dans cette mêlée. Je me
contenterai aujourd’hui de faire quelques brèves remarques.
La
signataire (ou auteur, ou auteure, ou autrice), qui rappelle qu’elle est
linguiste, n’aime pas la forme autrice :
La forme régulière serait, soutient-on
également, « autrice ». Cette avenue n’est pas prometteuse pour les
dédoublements des noms masculins en ‑teur, compte tenu de l’origine latine de certains mots, de la
dérivation de verbes français des uns, ainsi que des noms de même famille des
autres, sans compter les exceptions.
Rappelons
une notion élémentaire de la linguistique qui remonte aux travaux du Cercle
linguistique de Prague dans les années 1930 : celle de paire minimale. Appliquons-la
au cas présent : autrice et actrice constituent une paire minimale,
seule une lettre (ou, plus techniquement, un phonème) les différencie. Aucun francophone
n’aurait l’idée de parler d’une acteure.
D’emblée, on parle d’une actrice. Pourquoi ne pourrait-on pas dire une
autrice ?
Autre
citation qui méritera un bref commentaire :
En 2000, la Chancellerie fédérale suisse
publiait le Guide de formulation
non sexiste des textes administratifs et législatifs de la Confédération, dans lequel figurent des noms féminins se
rapprochant des formes masculines : « une auteur, une chef, une
ingénieur », notamment. En revanche, l’année suivante, un Guide romand d’aide à la rédaction administrative
et législative épicène apparaît,
édité par État [sans article !]
de Genève, lequel retient cette fois des titres féminins ostentatoires :
« autrice, chauffeuse, cheffe, consulesse, employeuse, investisseuse,
pastoresse, précurseuse, prédécesseuse, successeuse », etc. Par ce choix
de visibilité absolue, cette publication fait cavalière seule [!] parmi les
écrits européens dans le domaine.
Le
Guide romand a au moins le mérite d’assumer
sa position idéologique. On m’a raconté que la principale responsable de cette
publication voulait promouvoir à dessein des formes les plus éloignées du masculin,
p.ex. cheffesse plutôt que cheffe. Pourquoi pas ? Et adoptons
alors la position récente de l’Académie française en cette matière : que l’usage
décide.
Notons
au passage dans la dernière citation la féminisation curieuse d’une locution
figée, faire cavalière seule. Est-ce
de l’ironie ? Si oui, c’est l’occasion de rappeler que le français manque
cruellement d’un signe de ponctuation, le point d’ironie.
La
signataire (ou auteur, ou auteure, ou autrice) affirme aussi que « l’OQLF
importe de Genève le mot ‘ épicène ’, terme savant et opaque ».
Ayant travaillé à l’Office, je puis affirmer que le mot y était connu et
utilisé bien avant la date de publication du guide genevois. Il apparaît même dans
le dictionnaire de l’Académie, dès l’édition de 1762. Or, le dictionnaire de l’Académie
n’a pas la réputation d’accueillir facilement des termes techniques ou trop
savants.
Dernière
citation :
[…] en promulguant les féminins
« camelote, commise, mannequine, substitute » et tutti quanti, toutes
formes ignorées par l’usage à cette époque et depuis lors, l’OQLF fait fi des
formes communes aux deux genres qu’il recommandait pourtant dès 1986 :
« une camelot, une commis, une mannequin, une substitut », etc.
Je
ne ferai qu’un commentaire d’ordre anecdotique. Il est beaucoup question de la
grève à la SNCF depuis quelques semaines dans les journaux télévisés de France 2
relayés par TV5. Or, il y a quelques jours, j’ai entendu un syndicaliste parler
de « cheminotes ». Ce genre de féminin est peut-être en train de
faire son chemin dans les classes populaires.
Je
m’arrête ici mais le débat est loin d’être clos. Il y aurait encore beaucoup de
choses à dire.
Voilà ce qui s'appelle « remettre les pendules à l'heure »... LM
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