Christer Lauréen (1942-2022) |
Je reprends ici un texte
publié il y a une vingtaine d’années dans un recueil d’articles (les linguistes
disent un recueil de Mélanges, en allemand Festschrift) offert en
hommage de la part de ses collègues au professeur Christer Laurén de l’Université de Vaasa (ou Vasa) en Finlande, membre du Conseil de la langue
suédoise en Finlande de 1976 à 1985 et son président de 1985 à 1994.
Ce court texte décrit la
méthode que j’ai mise au point pour tenter d’estimer l’âge des scripteurs dans
mon étude Ciel! Mon français! Analyse linguistique de 4
000 courriels, Québec, Conseil de la langue française, 2003.
* * *
Nous
avons récemment procédé à l’analyse linguistique d’un corpus de 4 000
courriels, comptant au total plus de 405 000 mots. Ces courriels avaient
été envoyés à l’animateur d’une émission de télévision qui s’est terminée en
1999. Nous voulions faire une étude des fautes de français en fonction, entre
autres caractéristiques, de l’âge des scripteurs mais seulement 280
correspondants avaient mentionné leur âge dans leur texte. Nous avons donc dû
avoir recours à une méthode inédite dans la recherche linguistique et
sociolinguistique.
Nous
avons d’abord pris la décision de ne retenir que deux classes d’âge : les
plus de 35 ans et les moins de 35 ans. Et, lorsque les correspondants ne
donnaient pas leur âge, ce qui était le cas pour environ 3 800 des auteurs
de courriels, nous les avons placés dans l’une de ces classes à partir de leur
prénom.
En
effet, la fréquence d’attribution des prénoms obéit à des modes, comme le montre
bien la figure qui suit : le prénom Simone, lorsqu’il atteint son sommet de
popularité en 1912, est donné à 4 % des filles; trente ans plus tard,
Nicole prénomme 5,5 % des filles et Éric est le prénom de 7 % des
garçons nés en 1969 et 1970. La popularité des prénoms prend, dans la plupart
des cas, l’aspect d’une courbe légèrement asymétrique et dont la croissance est
plus rapide que la décroissance.
Fréquence annuelle d’attribution de trois prénoms de 1890 à 2000 au Québec
Source : Louis Duchesne, Les prénoms. Des plus rares aux plus courants au Québec, Outremont, Trécarré, nouvelle édition, 2001, p. 21
L’attribution
d’un âge à partir du prénom se base sur l’étude de Louis Duchesne sur la
fréquence des prénoms. Cette étude repose sur un corpus de plus de 3 millions
de prénoms donnés au Québec depuis 1890; on y voit très bien que la plupart des
prénoms ne sont populaires que pour une période donnée.
Nous
avons essayé différentes façons de classer les courriels en deux groupes selon
que leurs auteurs avaient moins de ou plus de 35 ans, ce qui revenait à les
classer selon qu’ils étaient nés avant ou après 1964. En effet, la plus grande
partie des émissions avaient été diffusées en 1999 (1999 – 35
ans = 1964). Il est apparu que la meilleure façon de procéder était
d’utiliser le mode du prénom (c’est-à-dire baser le calcul sur l’année où le
prénom a été donné au plus grand nombre d’enfants) et d’avoir une marge de 10
ans, c’est-à-dire de ne pas tenir compte des prénoms dont les modes se situent
entre 1959 et 1969.
Nous
avons vérifié la méthode à partir des quelque 280 courriels dont nous avions
l’âge des auteurs. Le taux d’échec (de non-prédiction) en utilisant cette
méthode est de 5,4 %.
La
méthode que nous avons utilisée a eu pour résultat d’éliminer quelque 800
courriels parce que les années des modes des prénoms de leurs auteurs tombaient
dans la marge que nous nous étions donnée (soit entre 1959 et 1969). Or, il est
intéressant de noter que, lorsque l’on analyse les fautes de français commises
par ce groupe, la moyenne se situe entre celle des plus de 35 ans et celle des
moins de 35 ans.
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