Un grogniqueur,
qui me fait l’honneur de me lire (et réciproquement), n’a de cesse de
récriminer contre « nos grammairiens et puristes grincheux ». Il semble
obsédé par la « longue tradition québécoise de chasse aux anglicismes »
et par le désir d’y mettre fin. Il est vrai que l’on a peut-être trop accordé d’attention
au vocabulaire (et à la terminologie) plutôt qu’aux autres aspects de la
maîtrise du français. Les résultats aux examens de français du ministère de l’Éducation
sont éloquents à cet égard. Le taux d’échec ne cesse de croître. Comme je l’ai
déjà noté, si l’orthographe, qui n’est qu’un « sous-critère » dans la
grille de correction du Ministère, était un critère au sens plein, donc avait
une valeur éliminatoire, le quart des élèves échouerait à l’épreuve de français
du cégep. Mais il y a dans ces résultats un élément curieux que tout le monde
passe sous silence : année après année, la note en maîtrise du vocabulaire
(un sous-critère) dépasse les 99 % — ce qui contrebalance les notes
plus faibles en orthographe et en syntaxe. Pourquoi alors accorder tant d’importance
dans le discours public à la critique du vocabulaire (et des anglicismes) ?
Serait-ce un faux problème ? Je crois qu’il faut apporter une réponse
cynique : le vocabulaire, dans la correction des examens, n’est qu’une variable
d’ajustement, il permet de hausser le taux de réussite du seul critère vraiment
éliminatoire (maîtrise de la langue) des trois critères de la grille de
correction. (Pour comprendre le mécanisme assez complexe de la grille de
correction des épreuves ministérielles de français, cliquer ici.)
Il y
a eu un changement indéniable dans l’attitude des Québécois envers les
anglicismes et, en toute modestie, je précise que j’ai été le premier à en
apporter la preuve dans mes enquêtes de 1998 et de 2004. Dans ces sondages, j’ai
repris une des questions d’opinion que le Conseil de la langue française avait
demandé à Annette Paquot d’ajouter à son enquête sur Les Québécois et leurs
mots : étude sémiologique et sociolinguistique des régionalismes lexicaux
au Québec (Québec, Presses de l’Université Laval, 1988). Cette dizaine de
questions débordaient l’objet de l’enquête d’Annette Paquot et ne sont donc pas
traitées dans son rapport. Elles ont été reprises dans mes enquêtes de 1998 et
de 2004. L’une portait sur les anglicismes et était ainsi formulée : « Il
faudrait éliminer les mots anglais du français d’ici ».
Une
remarque d’abord sur la formulation. Pour la plupart des gens, les anglicismes sont
des mots anglais utilisés tels quels en français et c’est cette définition
populaire que reprend la question. Mais pour les spécialistes, les anglicismes
comprennent aussi les traductions littérales d’expressions anglaises (calques)
et les sens anglais que l’on donne à des mots français (emprunts sémantiques).
En 1983,
plus des trois quarts des répondants[1]
croyaient qu’il fallait éliminer les mots anglais du français québécois :
Deux
décennies plus tard, la popularité de cette opinion a fait une chute de près de
20 points. Ce changement, qui a touché toutes les strates d’âge, est plus
important chez les jeunes, dont un peu plus du tiers se disaient encore
hostiles aux anglicismes comparativement aux deux tiers chez les plus âgés.
[1]
En 1983, l’enquête d’Annette Paquot n’avait porté que sur les régions de Québec
et de Montréal. Dans les enquêtes de 1998 et de 2004, nous n’avons donc tenu
compte que des réponses des régions métropolitaines de recensement de Montréal
et de Québec pour que les résultats soient comparables.
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