vendredi 4 octobre 2024

En hommage à Daniel Pinard : première partie


[...] vous êtes tordu et tordant, un mélange de Bescherelle et de béchamel et vos propos ne sont normatifs qu’en ce qui concerne la qualité des ingrédients.

Un téléspectateur

Daniel Pinard vient de mourir. Je veux lui rendre hommage en résumant les faits saillants d’une recherche basée sur l’analyse des courriels envoyés par des téléspectateurs de son émission Ciel! Mon Pinard, diffusée à Télé-Québec de 1998 à 2000. Malgré leur forme épistolaire, ils étaient accessibles à tous dans Internet.

 

Présentation de l'émission



Tout d'abord, sur une note humoristique, permettez-moi de vous dire que vous n'êtes point de la "piquette"!


—Un téléspectateur (62-206)[1]

L'émission Ciel! Mon Pinard a tenu l'antenne pendant deux saisons, en 1998-1999 et en 1999-2000. Elle était consacrée à la cuisine mais elle se démarquait des autres émissions du genre parce qu'elle réussissait, selon l'expression d'un téléspectateur, à « hausser la culture par le biais du bedon » (3-13). Le format habituel consistait en une entrevue suivie de la préparation de quelques plats.

 

La religion Pinard

Votre émission est devenue une religion pour moi…

—Un téléspectateur (62-85)

 

L'émission a suscité un engouement au point qu'elle était la plus populaire de la chaîne Télé-Québec. Est-ce dû à l'utilisation du mot ciel dans le titre? Toujours est-il que les nombreux correspondants de Daniel Pinard ne cessaient de lui répéter qu'ils regardaient son émission « religieusement » : nous avons en effet relevé plusieurs dizaines d'occurrences des mots « religion », « religieux », « religieusement ». Un téléspectateur a même signé son courriel « un fidèle apôtre ». Les métaphores et le vocabulaire religieux abondaient. Certains admirateurs en étaient au point de ne plus être capables de faire la distinction entre la chère, la chair et la chaire, à preuve cette signature : «Un fidèle auditeur et amateur de bonne chaire! » (55-134). Et un autre se demande ce que l'on fait  «avec la basilic du jardin quand l'été est terminer » (1-482)… Il y a quand même des téléspectateurs qui conservent un esprit plus critique : « Ne vous inquiètez pas, vous n'êtes pas mon gourou, je me suffis à moi même... » (14-206).

 

L'affaire Pinard ou l'affaire Brathwaite?

Je voulais simplement t'écrire un message pour te dire que je t'appuie dans toute cette affaire qu'ils appellent "L'affaire Pinard". (62-134)



En mars 2000, à l'occasion d'une entrevue à l'émission Les Francs-Tireurs de Télé-Québec, Daniel Pinard a dénoncé le genre d'humour pratiqué par certains humoristes québécois et en particulier leurs blagues de mauvais goût sur les homosexuels – « un soi disant humour qui n'est plus là la politesse du désespoir, mais bien le masque de la bêtise » (60-64), comme l’a décrit un téléspectateur. La charge a surtout porté contre l'émission Piment fort, animée par Normand Brathwaite et depuis retirée de la grille-horaire. Cette déclaration faite dans une émission somme toute peu écoutée a pourtant eu des rebondissements au point que les autres chaînes et les journaux en ont parlé. Il est vrai qu'elle arrivait sans doute à un moment opportun car, depuis quelques temps déjà, des voix se faisaient entendre pour critiquer les humoristes, leur mauvais goût et la qualité jugée déplorable de leur langue[2] :

 


Enfin quelqu'un a osé se lever et dire ce qu'il pensait de cet humour de bas étage, sectaire et raciste qui sévit auprès de la majorité de soi-disant humoristes.

Dans le fond, cela ne m'étonne pas que ce soit vous, Monsieur Pinard, qui ayez osé parler haut et fort et clamer que vous en aviez assez, tout comme bien des gens d'ailleurs. Bien entendu ce n'est certes pas drôle de se mettre ainsi au blanc, mais au moins vous avez eu le courage de dénoncer cette disgracieuse façon de faire.

Soyez assuré que je fais partie de vos nombreux admirateurs, tant sur le plan culinaire que sur celui de votre engagement social.» (63-126)


       

L'apparition de Daniel Pinard à l'émission Les Francs-Tireurs lui a permis d'atteindre un sommet de popularité. Comme l'écrit une téléspectatrice, et son texte reflète bien l'ensemble du courrier relatif à cet épisode, « vous étiez mon maître à manger et vous devenez mon maître à penser » (62-158).

Toute cette affaire a entraîné un courrier volumineux : 22 % des textes, comptant pour 31 % des mots de tout le corpus, portent sur ce thème.

Le corpus comprend donc deux types de textes au caractère fort différent : d'une part, des courriels portant sur la cuisine, la gastronomie, l'alimentation et la diététique; d'autre part, des lettres plus longues, au ton souvent plus philosophique, parlant de l'humour comme phénomène de société ou présentant des éléments autobiographiques.

L’existence de deux types de messages, ceux portant sur la cuisine et ceux portant sur la polémique, a permis de confirmer l’intuition d’un professeur de l’Université Laval que nous avions consulté et qui avait suggéré que la qualité de l’expression pouvait dépendre du sujet traité.

 


Dans l'abondant courrier suscité par les déclarations de Daniel Pinard à l'émission Les Francs-Tireurs, nous avons relevé ces quelques perles :

     «[...] maintenant, mon mari vous trouve très sympathique.» (60-48)

     «Nous en sommes mon épouse et moi. » (60-204)

     «l'hétéro que je suis s'identifie beaucoup à l'humain que tu es...et tout comme toi, je suis un grand jouissif de la vie et tout ce qui s'y ratache.. merci et continue de me pinardiser.…» 60-209)

     «Soyez heureux et surtout serin c'est comme celà qu'on vous aime» (60-147)


On peut obtenir mon rapport de recherche du site de la Bibliothèque nationale du Québec en cliquant ici.



[1] Les chiffres entre parenthèses permettent d’identifier le courriel dans le corpus. Je respecte l’orthographe originale des messages.

[2] Voir, par exemple, Pierre Bouchard et Jacques Maurais, « Norme et médias : résultats d'un sondage », Terminogramme 97-98 (printemps 2001), spéc. pp. 123-125.

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