[...]
vous êtes tordu et tordant, un mélange de Bescherelle et de béchamel et vos propos
ne sont normatifs qu’en ce qui concerne la qualité des ingrédients.
—Un
téléspectateur
Daniel
Pinard vient de mourir. Je veux lui rendre hommage en résumant les faits
saillants d’une recherche basée sur l’analyse des courriels envoyés par des
téléspectateurs de son émission Ciel! Mon
Pinard, diffusée à Télé-Québec de 1998 à 2000. Malgré leur forme épistolaire, ils
étaient accessibles à tous dans Internet.
Présentation de l'émission
Tout d'abord, sur une note humoristique,
permettez-moi de vous dire que vous n'êtes point de la "piquette"!
—Un téléspectateur
(62-206)[1]
L'émission Ciel! Mon Pinard a tenu l'antenne pendant deux saisons, en
1998-1999 et en 1999-2000. Elle était consacrée à la cuisine mais elle se
démarquait des autres émissions du genre parce qu'elle réussissait, selon
l'expression d'un téléspectateur, à « hausser la culture par le biais du
bedon » (3-13). Le format habituel consistait en une entrevue suivie de la
préparation de quelques plats.
La religion Pinard
Votre émission
est devenue une religion pour moi…
—Un
téléspectateur (62-85)
L'émission a
suscité un engouement au point qu'elle était la plus populaire de la chaîne
Télé-Québec. Est-ce dû à l'utilisation du mot ciel dans le titre? Toujours est-il que les nombreux correspondants
de Daniel Pinard ne cessaient de lui répéter qu'ils regardaient son émission « religieusement » :
nous avons en effet relevé plusieurs dizaines d'occurrences des mots « religion »,
« religieux », « religieusement ». Un téléspectateur a même
signé son courriel « un fidèle apôtre ». Les métaphores et le
vocabulaire religieux abondaient. Certains admirateurs en étaient au point de
ne plus être capables de faire la distinction entre la chère, la chair et la
chaire, à preuve cette signature : «Un fidèle auditeur et amateur de bonne
chaire! » (55-134). Et un autre se demande ce que l'on fait «avec la
basilic du jardin quand l'été est terminer » (1-482)… Il y a quand même
des téléspectateurs qui conservent un esprit plus critique : « Ne
vous inquiètez pas, vous n'êtes pas mon gourou, je me suffis à moi même... »
(14-206).
L'affaire
Pinard ou l'affaire Brathwaite?
Je voulais simplement t'écrire un message pour te
dire que je t'appuie dans toute cette affaire qu'ils appellent "L'affaire
Pinard". (62-134)
En mars 2000, à l'occasion d'une entrevue à l'émission Les Francs-Tireurs de Télé-Québec,
Daniel Pinard a dénoncé le genre d'humour pratiqué par certains humoristes
québécois et en particulier leurs blagues de mauvais goût sur les
homosexuels – « un soi disant humour qui n'est plus là la politesse
du désespoir, mais bien le masque de la bêtise » (60-64), comme l’a décrit un téléspectateur. La charge a
surtout porté contre l'émission Piment
fort, animée par Normand Brathwaite et depuis retirée de la grille-horaire.
Cette déclaration faite dans une émission somme toute peu écoutée a pourtant eu
des rebondissements au point que les autres chaînes et les journaux en ont
parlé. Il est vrai qu'elle arrivait sans doute à un moment opportun car, depuis
quelques temps déjà, des voix se faisaient entendre pour critiquer les
humoristes, leur mauvais goût et la qualité jugée déplorable de leur langue[2] :
Enfin quelqu'un a osé se lever
et dire ce qu'il pensait de cet humour de bas étage, sectaire et raciste qui
sévit auprès de la majorité de soi-disant humoristes.
Dans le fond, cela ne m'étonne
pas que ce soit vous, Monsieur Pinard, qui ayez osé parler haut et fort et
clamer que vous en aviez assez, tout comme bien des gens d'ailleurs. Bien
entendu ce n'est certes pas drôle de se mettre ainsi au blanc, mais au moins
vous avez eu le courage de dénoncer cette disgracieuse façon de faire.
Soyez assuré que je fais partie
de vos nombreux admirateurs, tant sur le plan culinaire que sur celui de votre
engagement social.» (63-126)
L'apparition de Daniel Pinard à l'émission Les Francs-Tireurs lui a permis d'atteindre un sommet de
popularité. Comme l'écrit une téléspectatrice, et son texte reflète bien
l'ensemble du courrier relatif à cet épisode, « vous étiez mon maître à
manger et vous devenez mon maître à penser » (62-158).
Toute cette affaire a entraîné un courrier volumineux : 22 %
des textes, comptant pour 31 % des mots de tout le corpus, portent sur ce
thème.
Le corpus comprend donc deux types de textes au caractère fort
différent : d'une part, des courriels portant sur la cuisine, la
gastronomie, l'alimentation et la diététique; d'autre part, des lettres plus
longues, au ton souvent plus philosophique, parlant de l'humour comme phénomène
de société ou présentant des éléments autobiographiques.
L’existence de deux types de messages, ceux portant sur la cuisine et
ceux portant sur la polémique, a permis de confirmer l’intuition d’un professeur
de l’Université Laval que nous avions consulté et qui avait suggéré que la
qualité de l’expression pouvait dépendre du sujet traité.
Dans l'abondant courrier suscité par les déclarations de Daniel Pinard à
l'émission Les Francs-Tireurs, nous
avons relevé ces quelques perles :
«[...] maintenant, mon mari vous trouve très sympathique.» (60-48)
«Nous en sommes mon épouse et moi. » (60-204)
«l'hétéro que je suis s'identifie beaucoup à l'humain que tu
es...et tout comme toi, je suis un grand jouissif de la vie et tout ce qui s'y
ratache.. merci et continue de me pinardiser.…» 60-209)
«Soyez heureux et surtout serin c'est comme celà qu'on vous
aime» (60-147)
On peut obtenir mon rapport de recherche du site de la Bibliothèque nationale du Québec en cliquant ici.
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