vendredi 11 octobre 2024

Notes de lecture: L'irréparable de Pierre Simon

 


J’avoue que j’ai un faible pour les romans qui se déroulent dans le milieu universitaire : ceux de lord C.P. Snow (en particulier The Masters), la parodie Porterhouse Blue de Tom Sharpe, Small World de David Loge, la charge de Biz (Sébastien Fréchette) sur l’« Université de Montréal au Québec » (L’horizon des événements, Leméac, 2021, cliquer ici pour lire mon billet sur ce roman). Je m’en voudrais de ne pas ajouter à cette liste un livre paru il y a quelques années, Les carnets jaunes de Valérien Francœur, qui a crevé quelques enflés d’A.C. Drainville (Montréal, Éditions de l’Effet pourpre, 2002) dont le thème est le « bourbier infernal qu’est le Département de science politique de l’Université Laval » (page de remerciements) (voir le compte rendu de Mathieu Arsenault dans Spirale 228, septembre-octobre 2009).

Dans ce genre vient de paraître L’Irréparable de Pierre Simon (Héliotrope, 2024) où on croit comprendre que l’auteur fait référence à l’UQÀM. Je ne m’attarderai pas à l’intrigue, que j’ai déjà oubliée. Mais l’auteur a du style et il sait écrire. Que demander de plus ?

Pierre Simon a des expressions heureuses, par exemple ce jugement sur le texte d’un étudiant : « … les prépositions … prélevées de l’anglais et greffées sans honte aucune au français (p. 20) », le portrait d’une étudiante en « sauterelle multipercée » (p. 26) ou encore « cette boucherie très trendy du boulevard Saint-Laurent où certains employés refusent de répondre en français à la clientèle, aussi bilingues, voire trilingues soient-ils » (p. 21).

Il y a beaucoup de remarques linguistiques, ainsi sur le « vocabulaire hallucinant rencontré dans les couloirs de l’université ou sur les ondes de la radio nationale, sinon lu sur internet. [Le héros] y accole les équivalents du siècle passé : trouple [un ménage à trois]; polysaturé [épuisement des gonades], fluide [aux deux]; licorne [cinquième roue]; métamour [rival]; aromantique [un sociopathe]; pansexuel [à tout et à son contraire]; polyamoureux [slut], et le reste » (pp. 25-26).

Pierre Simon porte des jugements sévères : « cette attitude typiquement québécoise de se ranger derrière les perdants de la realpolitik ». Son héros ne va plus au théâtre ou au concert, « incapable d’encaisser ce qu’il considère comme des bobards sur l’occupation d’un territoire supposément non cédé » (p. 35). Il « bute sur cette difficulté, nouvelle depuis peu, de devoir lire [d]es embryons d’essais en langue inclusive.» Pourtant le romancier y recourt à deux reprises dans la dernière page de son roman : passant·e·s et croyant·e·s.

Même si l’auteur avoue ne guère priser les anglicismes, il en laisse échapper quelques rares : « payer une visite » (p. 201) (mais c’est dans une conversation), « filière » (p. 238) au sens de « classeur » ou de « fichier informatique », « un taxi régulier » (p. 243) ou encore « biscuit soda » (p. 252) que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) continue de « déconseiller » dans une fiche non revue depuis 1985 et qui a par conséquent échappé au révisionnisme stakhanoviste des néoterminologues qui ne l’ont pas encore intégré dans leur « norme sociolinguistique du français au Québec» (Usito note que le terme est « parfois critiqué »).

Il arrive au romancier, au moins à deux reprises, d’utiliser la forme québécoise de formuler une supposition : « Avoir le choix… » (p. 229) (dans une conversation). Il faut dire que cette forme, particulièrement caractéristique du français québécois et tout à fait standard chez les Québécois de souche, n’a pas été enregistrée à ce jour par le dictionnaire Usito qui prétend « décrire le français standard en usage au Québec »

 

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