J’avoue que j’ai un faible
pour les romans qui se déroulent dans le milieu universitaire : ceux de
lord C.P. Snow (en particulier The Masters), la parodie Porterhouse
Blue de Tom Sharpe, Small World de David Loge, la charge de Biz
(Sébastien Fréchette) sur l’« Université de Montréal au Québec » (L’horizon
des événements, Leméac, 2021, cliquer ici pour lire mon billet sur ce
roman). Je m’en voudrais de ne pas
ajouter à cette liste un livre paru il y a quelques années, Les carnets
jaunes de Valérien Francœur, qui a crevé quelques enflés d’A.C. Drainville
(Montréal, Éditions de l’Effet pourpre, 2002) dont le thème est le « bourbier
infernal qu’est le Département de science politique de l’Université Laval »
(page de remerciements) (voir le compte rendu de Mathieu Arsenault dans Spirale
228, septembre-octobre 2009).
Dans ce genre vient de
paraître L’Irréparable de Pierre Simon (Héliotrope, 2024) où on croit
comprendre que l’auteur fait référence à l’UQÀM. Je ne m’attarderai pas à l’intrigue,
que j’ai déjà oubliée. Mais l’auteur a du style et il sait écrire. Que demander
de plus ?
Pierre Simon a des
expressions heureuses, par exemple ce jugement sur le texte d’un étudiant :
« … les prépositions … prélevées de l’anglais et greffées sans honte
aucune au français (p. 20) », le portrait d’une étudiante en « sauterelle
multipercée » (p. 26) ou encore « cette boucherie très trendy
du boulevard Saint-Laurent où certains employés refusent de répondre en français
à la clientèle, aussi bilingues, voire trilingues soient-ils »
(p. 21).
Il y a beaucoup de remarques
linguistiques, ainsi sur le « vocabulaire hallucinant rencontré dans les
couloirs de l’université ou sur les ondes de la radio nationale, sinon lu sur
internet. [Le héros] y accole les équivalents du siècle passé : trouple [un ménage
à trois]; polysaturé [épuisement des gonades], fluide [aux deux]; licorne
[cinquième roue]; métamour [rival]; aromantique [un sociopathe]; pansexuel [à
tout et à son contraire]; polyamoureux [slut], et le reste »
(pp. 25-26).
Pierre Simon porte des
jugements sévères : « cette attitude typiquement québécoise de se
ranger derrière les perdants de la realpolitik ». Son héros ne va plus au
théâtre ou au concert, « incapable d’encaisser ce qu’il considère comme
des bobards sur l’occupation d’un territoire supposément non cédé »
(p. 35). Il « bute sur cette difficulté, nouvelle depuis peu, de devoir
lire [d]es embryons d’essais en langue inclusive.» Pourtant le romancier y
recourt à deux reprises dans la dernière page de son roman : passant·e·s
et croyant·e·s.
Même si l’auteur avoue ne
guère priser les anglicismes, il en laisse échapper quelques rares : « payer
une visite » (p. 201) (mais c’est dans une conversation), « filière »
(p. 238) au sens de « classeur » ou de « fichier
informatique », « un taxi régulier » (p. 243) ou encore « biscuit
soda » (p. 252) que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office
québécois de la langue française (OQLF) continue de « déconseiller » dans
une fiche non revue depuis 1985 et qui a par conséquent échappé au révisionnisme
stakhanoviste des néoterminologues qui ne l’ont pas encore intégré dans leur « norme
sociolinguistique du français au Québec» (Usito note que le terme est « parfois
critiqué »).
Il arrive au romancier, au
moins à deux reprises, d’utiliser la forme québécoise de formuler une
supposition : « Avoir le choix… » (p. 229) (dans une
conversation). Il faut dire que cette forme, particulièrement caractéristique
du français québécois et tout à fait standard chez les Québécois de souche, n’a
pas été enregistrée à ce jour par le dictionnaire Usito qui prétend « décrire
le français standard en usage au Québec »
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