Au
troisième jour des funérailles bouddhistes de Jean Marcel, voici quelques
citations extraites de son Joual de Troie.
Je les dédie à ceux des terminologues de l’Office québécois de la langue
française (OQLF) qui déclarent assumer leur québécitude.
Notre
langue, dans son exercice quotidien, est le reflet de notre asservissement
social, politique et économique non moins quotidien. Toute tentative de
renverser l’ordre existant […] doit faire apparaître la transmutation de notre
expression linguistique comme un processus particulièrement révolutionnaire.
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J’ai
dit que je ne me battais pas pour la «pureté» de la langue, qui est
une niaiserie comme bien d’autres.
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Quand
on n’a de connaissances scientifiques précises ni sur le québécois ni sur le
français, on ne se mêle pas d’écrire sur les réalités dont ils peuvent être
issus.
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Ici,
les emprunts à l’anglais se font dans la relation historique dominant-dominé.
La substitution de scratcher à égratigner […] devient ainsi le signe
linguistique de cette relation historique avant d’être un instrument de
communication […] Pour vous faire oublier que la substitution de scratcher à égratigner est effectivement le signe de notre asservissement, on
vous donne à sucer des nénanes inoffensifs : poudrerie, débarbouillette, orignal, tous vocables qui ne font de
mal à personne. C’est-u pas beau ! On est-u fins crés nous-autres de nous-autres !
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Nous
avons pratiqué pendant trois siècles la plus vieille religion de l’Occident (le
catholicisme), nous vivons sous des institutions politiques qui sont les plus vieilles
de l’Occident (le parlementarisme britannique), nous sommes issus de la plus
vieille civilisation d’Europe (la civilisation française), et après ça on se
croit jeune !
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La
culture d’une communauté comme le Québec ne peut pas être ramenée uniquement à
ce qui la distingue des autres; la culture est le contraire du culte de la différence.
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Le
français est une langue libre. Martinet remarquait, par exemple, pour le seul
domaine littéraire […], que « la liberté syntaxique contemporaine y est
probablement sans égale dans le monde des langues ». Ce qui n’est pas
négligeable et oppose un démenti à l’accusation de sclérose qu’on porte volontiers
contre la langue française moderne. Les puristes sont aussi mal vus en France
qu’ici, et ceux de là-bas ne sont pas davantage écoutés que les nôtres.
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Et
on nous a enlevé la vieille patrie. Et nous avons fini par oublier que nous étions
fils de France […]. Or je me dresse maintenant et je pose la main droite sur
toute la France et je réclame mon héritage, ma part, j’ai droit à Corneille et
à La Fontaine, Renan est mon parent, Pasteur est de ma famille, Lumière est
Français et je suis Français aussi […]. Je réclame fables et romans, Balzac et Daudet,
j’ai droit au Cid, j’ai droit à
Musset et à Lamartine, j’ai droit aux grands Ardennais, Taine, Michelet et toi,
Rimbaud […]. Il faut que jeunesse de France et jeunesse du Québec se
rencontrent, il faut que l’esprit français puisse s’essayer une fois de ce côté-ci
de l’Atlantique.
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Le
fait de parler une langue française commune avec d’autres cultures ne nous
condamne nullement à renoncer à notre originalité.
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C’est
environ un siècle plus tard [après que Du Bellay eut écrit sa Défense et
illustration de la langue française] que naissait mon ancêtre […] venu de
Poitiers en Nouvelle-France en 1667. Un descendant fut tué sur les Plaines d’Abraham
en 1759, un autre fut Patriote en 1837, un troisième refusa la conscription. L’histoire
continue. Je ne vois pas pourquoi je changerais de camp. Ce n’est pas contre la
France qu’ils ont porté les armes
Mes
« maîtres » au collège […] étaient tous des francophobes invétérés et
invertébrés : c’en était grotesque d’indécrottabilité. C’est un peu pour
ne pas leur ressembler, voyez-vous, que je ne peux pas l’être à mon tour […] On
ne dira jamais assez combien le conquérant a misé sur ce sentiment pour nous
mieux dominer : par effet de réfraction, il nous laisse croire que c’était
la France qui nous dominait, alors que c’était lui.
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Si
la France a colonisé le Canada, il ne faut pas oublier que les colons, c’était
nous.
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Il
ne s’agit pas non plus de se donner le rêve grandiloquent et idiot, comme on
dit, « de penser l’Amérique en français ». Penser seulement le Québec
en français, ça serait largement suffisant, je pense; ça serait du moins un projet
à notre portée et à notre mesure.
Au restaurant thaïlandais de l'avenue Maguire à Québec en 2005 |
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