Gallica rabies
Dimanche soir ou, plus archaïquement, dimanche au soir, j’écoutais au canal Vox un débat entre historiens sur le Québec et les deux guerres mondiales et mon attention a été attirée par l’utilisation qui a été faite de la locution dépendamment de. Je me rappelais que la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française avait trouvé un moyen astucieux de condamner cette expression en évitant même d’évoquer qu’elle puisse être un calque de l’anglais ou qu’elle puisse être utilisée plus fréquemment au Québec sous l’influence de l’anglais depending on :
Quant à la locution dépendamment de, qui signifie elle aussi « selon, suivant, en fonction de », elle est répandue au Québec, mais cet usage est considéré comme familier. Il faut également savoir que dans le reste de la francophonie, dépendamment est très rare, à la différence de son contraire indépendamment, et qu'il signifie « de manière dépendante ». (BDL, s.v. dépendant de)
On doit rappeler à l’Office que l’observation la plus élémentaire indique que la locution dépendamment de est plus fréquente dans les salles de classe de nos écoles, collèges et universités que dans les brasseries et les tavernes. L’expression est en fait souvent le propre des personnes qui ont le tic de parler en produisant des guillemets virtuels et aériens par des mouvements rapides et gracieux de leurs deux index, des personnes que l’on voit faire ce geste et que l'on entend utiliser cette locution sur des plateaux de télévision et dans des amphithéâtres d’université. Pas dans des circonstances qui poussent à la familiarité.
Quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu’il a la rage. Une des façons de se débarrasser d’un mot que l’on trouve gênant pour des raisons que l’on n’ose avouer est de lui accoler une étiquette – ou marque –, en particulier la marque familier, frappée de moins de discrédit que la marque anglicisme, qui sent trop son puriste. Il faudra que je revienne un de ces jours sur l’utilisation de plus en plus fréquente de marques de niveaux de langue par l’Office québécois de la langue français pour créer des ruptures, des frontières, des identités de niveaux bien tranchées alors que la recherche sociolinguistique des dernières décennies a plutôt tendance à conclure que les frontières entre niveaux et même entre langues sont plus poreuses (c’est ainsi que l’opposition binaire à la base de la notion de code switching ou alternance codique rend mal compte de la porosité des frontières entre les langues chez les locuteurs qui pratiquent ce genre de discours). Mais peu importent pour l’heure ces considérations théoriques auxquelles il faudra bien que je revienne un jour et qui déboulonnent des catégories intellectuellement confortables.
Sauf à l’Office, tout le monde se doute que dépendant de (pris adverbialement) / dépendamment de sont des locutions calquées sur l’anglais. Bien qu’on puisse trouver de très rares attestations anciennes de la locution dans des écrits français, il tombe sous le sens que sa fréquence d’utilisation au Québec est due à l’influence de l’anglais. C’est ce que Jean Darbelnet appelait un anglicisme de fréquence.
Dans « Le français au micro » produit par la Société Radio-Canada, on peut lire :
Les locutions dépendamment de et dépendant de sont des calques de l'anglais depending on. D’ailleurs, l’adverbe dépendamment n’existe pas en français. Dans la plupart des cas, on peut remplacer ces formes fautives par SELON, SUIVANT ou EN FONCTION DE. Par ailleurs, la locution adverbiale INDÉPENDAMMENT DE est tout à fait française. Par exemple, on peut dire Indépendamment de son salaire, elle touche des commissions. Dans ce cas, indépendamment de est synonyme de en plus de, outre. Il est également correct de dire Indépendamment de ses problèmes d’alcool, c’est un bon mari. Dans cet exemple, indépendamment de est synonyme de en faisant abstraction de.
Dans les Outils d’aide à la rédaction de la base de données Termium du Bureau de la traduction à Ottawa, on trouve la note suivante :
Il est abusif d’employer dépendamment de à la place des prépositions selon ou suivant, sous l’influence de l’anglais depending on : Selon les circonstances, il décidera de participer ou non à ce congrès (et non dépendamment des circonstances). On peut, suivant sa tendance, se réjouir ou s’attrister de ce fait (et non dépendamment de sa tendance).
Ce n’est pas la première fois que, dans ce blog, je dois constater que le Bureau de la traduction à Ottawa affiche un plus grand souci d’un français normatif (je renvoie à mon billet sur la locution être à l’emploi de et à mon autre billet sur le poêle et la cuisinière).
Réaction d’un Norvégien à la lecture de l’article dépendamment de de la BDL
Edvard Munch, Le Cri (1893) |
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