jeudi 20 octobre 2011

L’indice de vitalité linguistique


The tragedy is not that so many people got the facts wildly wrong; it is that in the mentally lazy and anti-intellectual world we live in today, hardly anyone cares enough to think about trying to determine what the facts are.

– Geoffrey K. Pullum, The Great Eskimo Vocabulary Hoax, 1991, p. 171.


Dans le premier billet de ce blog, j’ai écrit que l’une de mes sources d’inspiration était The Great Eskimo Vocabulary Hoax (le chapitre sur le vocabulaire esquimau, qui donne son titre à l’ouvrage, est maintenant accessible en ligne en cliquant ici). Dans ce livre, Geoffrey Pullum s’en prend à la légende voulant que les Esquimaux (Inuit) aient une centaine de mots pour désigner la neige (pour un résumé en français de l’argumentation, cliquer ici) et il remet les pendules à l’heure sur un certain nombre d’autres sujets.


C’est cette nécessaire remise en cause de certaines idées reçues sur la langue au Québec que j’ai entrepris de faire en créant le blog Linguistiquement correct. Mon ancien collègue Michel Paillé vient d’apporter une pierre que je me permets d’ajouter à la construction de mon édifice. Dans un article qu’il vient de publier dans L’Action nationale (« Un examen critique : vitalité du français et de l’anglais au Québec », octobre 2011, pp. 36-44), il invite à reconsidérer l’utilisation que l’on fait de l’indice de vitalité linguistique.


Rappelons d’abord ce qu’est cet indice, appelé aussi indice de continuité linguistique. Cet indice est le quotient provenant de la division, pour chaque langue, du nombre de locuteurs selon la langue d’usage par celui des locuteurs selon la langue maternelle (LU / LM = indice de vitalité linguistique). L’indice est donc l’un des moyens dont disposent les démographes pour rendre compte de l’assimilation linguistique. S’il est positif pour une langue, c’est que celle-ci assimile les locuteurs d’autres langues. À titre d’exemple, selon les données du recensement de 2006, l’indice de vitalité du français au Québec était de 1,028 comparativement à 1,296 pour l’anglais. La conclusion qui saute aux yeux est que l’anglais, au Québec, a un pouvoir assimilateur supérieur à celui du français. La conclusion va dans le sens des idées reçues et est conforme au sentiment de recul du français que ressentent de nombreux Québécois, particulièrement ceux qui vivent dans la région métropolitaine de Montréal. Mais peut-on légitimement inférer cette conclusion à partir d’une comparaison des indices de vitalité du français et de l’anglais ? Non, répond Michel Paillé. Et cela pour deux raisons.


La première raison est en fait un paradoxe. L’indice de vitalité de l’anglais dans toutes les provinces anglophones est inférieur à son indice de vitalité au Québec. L’indice de vitalité de l’anglais est plus élevé à Montréal qu’à Toronto, Calgary ou Vancouver. On s’attendrait à ce que l’anglais ait un pouvoir d’attraction plus fort dans les provinces anglophones qu’au Québec. L’anglais qui assimile plus à Montréal qu’à Toronto, cela va contre le sens commun. (Il faudrait les lumières d’un mathématicien pour démêler ce paradoxe.)


La seconde raison tient dans une démonstration mathématique. Si l’on fait l’hypothèse que tous les allophones du Québec (les personnes qui parlent leur langue d’origine à la maison) adoptent le français du jour au lendemain – ce qui signifierait une hausse subite de 535 000 du nombre des francophones –, il est impossible d’atteindre l’indice de vitalité de l’anglais, l’écart demeurant encore très grand. (En fait, ajouterai-je, pour que le français obtienne un indice équivalent à celui de l’anglais, il faudrait qu’un nombre substantiel de personnes ayant l’anglais comme langue maternelle n’emploient plus que le français comme langue du foyer. Là réside vraisemblablement la solution du paradoxe mentionné au paragraphe précédent. Mais cela suppose une puissance d’assimilation du français guère imaginable dans le contexte québécois et surtout montréalais.)


La conclusion de Michel Paillé est prudente. Il ne remet pas en cause l’utilisation de l’indice de vitalité linguistique. Il se contente de constater que l’indice de vitalité du français évolue sur une échelle qui est différente de celle de l’indice de vitalité de l’anglais. Dans l’état actuel des choses, toute comparaison entre les indices des deux langues devrait donc se faire avec la plus grande prudence.

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