mardi 24 janvier 2017

La néologie à l’ère Trump





Dans l’espace de quelques mois, on est retourné 50 ans en arrière. Comment est-ce possible ? Qui aurait cru, de plus, que les balises démocratiques que nous tenons pour acquis [sic], l’analyse des faits, l’absence de conflits d’intérêts, l’importance de respecter sa parole, de dire la vérité, la suprématie du savoir sur l’argent, la méritocratie avant l’aristocratie… tout ça serait haché menu par un « narcissomane » ? […]Aux dernières nouvelles, mis à part les artistes qui ont refusé de se prêter aux célébrations, il n’y a que le leader noir John Lewis, un héros de la déségrégation, qui a clairement désigné la « kakistocracie » (le gouvernement du pire) de Trump comme illégitime.
– Francine Pelletier, « Résister », Le Devoir, 18 janvier 2018


Francine Pelletier devrait avoir plus souvent recours à son dictionnaire. Trump et son entourage ne forment pas une aristocratie mais une ploutocratie (gouvernement des riches). Et le mot narcissomane, qu’elle a eu la prudence de mettre entre guillements, n'apparaît pas dans les dictionnaires français : on parle de narcissisme, de narcissique, de névrose ou de perversion narcissique, etc.


Quant au mot kakistocratie (la journaliste écrit kakistocracie sous l'influence de l'anglais), encore peu employé en français, il risque d'avoir un bel avenir devant lui... J'ai hâte de voir comment le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) le traitera. Se contentera-t-on de dire qu’il est « acceptable en vertu des critères de traitement de l’emprunt linguistique en vigueur à l’Office québécois de la langue française » selon la formule passe-partout que l’on utilise désormais ? Le mot formé de deux mots grecs peut facilement être adopté dans les langues indo-européennes occidentales. Mais il ne faudrait pas négliger le problème de l’intégration orthographique en français. Le k est une lettre peu utilisée dans notre langue, apparaissant en particulier dans les emprunts à des langues non indo-européennes (koala, kimono, kibboutz…) ou aux langues indo-européennes non classiques, c’est-à-dire autres que le grec et le latin (kronprinz, knout, korrigan, kilt…). Dans les mots empruntés au grec, le kappa est généralement représenté par un c : cinéma, cycle, cryogénie, etc. Il arrive qu’on le conserve toutefois dans certains domaines spécialisés : kyste, kératite et kinésithérapie (médecine), kérygme (religion)… Pour certains mots, l’orthographe hésite : kola ou cola, korê ou corê (mais on a toujours kouros au masculin, non couros). Alors que fera l’Office ? Osera-t-on franciser et écrire caquistocratie ?


Visite incognito à Paris



La nouvelle administration américaine fait déjà sentir son influence jusque dans le domaine lexical : en anglais, le mot post-truth est déjà de plus en plus utilisé (terme non encore traité par le GDT). Et depuis cette semaine on parle de « faits alternatifs » (alternative facts) depuis que l’équipe de Trump conteste les chiffres de présence à l’investiture du nouveau président : 160 000 personnes selon le New York Times, contre 470 000 pour la marche des femmes le lendemain.

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