Réflexions sur la nouvelle politique de l’emprunt linguistique
de l’Office québécois de la langue française
Avant
de conclure dans le prochain billet, il me reste encore quelques remarques à
faire sur le document de l’Office.
* * *
Certaines
définitions données dans la Politique de
l’emprunt linguistique posent problème. En voici quelques exemples.
On
donne de la norme sociolinguistique la définition suivante : « Norme
qui, dans une langue donnée, fait la promotion d’un ensemble d’usages
considérés comme légitimes et qui sont valorisés, au détriment d’autres
usages. » (p. 27) Cette définition est très réductrice. Il existe des
normes sociolinguistiques, différentes selon les milieux sociaux : celle
de la langue des jeunes, celle de la langue des universitaires, etc.
J’ai
déjà mentionné l’énorme problème qu’il y a dans la définition d’emprunt lexical
qu’on trouve à la page 25.
La
définition d’emprunt légitimé est elle aussi discutable : « emprunt
linguistique reçu dans la norme sociolinguistique d’une langue, accepté par la
majorité des locutrices et des locuteurs d’une collectivité donnée. »
(p. 25) Ici encore, on fait comme s’il n’y avait qu’une seule norme
sociolinguistique. Caoua (café) et gougounes (sorte de sandales) ne sont
sûrement pas « légitimés » dans la « norme sociolinguistique du
français en usage au Québec », mais ce sont des mots acceptés dans la
norme sociolinguistique de sous-groupes sociaux, ici et ailleurs.
* * *
Les
exemples utilisés dans le document ne sont pas, eux aussi, sans poser bien des
problèmes.
Ainsi,
dans la catégorie des calques non acceptés, on donne comme exemple d’emprunt
non récent et non généralisé le mot char
(voiture, automobile). D’abord, c’est un emprunt sémantique, non un calque. Non
généralisé? Cela dépend de la catégorie sociale. Si les rédacteurs de la Politique de l’emprunt linguistique
sortaient du centre-ville de Québec, ils rencontreraient des gens qui ne
peuvent pas se payer une BMW mais tout au plus un char. D’ailleurs, à bien y
penser, même au centre-ville, tout à côté des bureaux de l’Office, il y a de
telles gens. Char est un emprunt non
généralisé quand on se ferme les yeux et se bouche les oreilles.
Dans
la section consacrée aux emprunts aux langues autres que l’anglais, on donne
comme exemples d’emprunts non acceptés : « cilantro (de l’espagnol; coriandre), oregano (de l’espagnol; origan) »
(p. 21). Je n’ai jamais entendu un Québécois utiliser le mot cilantro en français, mais j’admets que
ce n’est pas impossible. En revanche, il m’est arrivé d’entendre orégano et cela n’est pas surprenant :
il se trouve qu’oregano est le mot
anglais pour désigner l’origan (depuis 1771), que l’étiquetage des produits alimentaires
chez nous est bilingue et même qu’à une certaine époque il était unilingue
anglais.
Alors
que l’énoncé de politique se sert de cilantro
et d’oregano comme exemples de mots
empruntés à l’espagnol, il prend avocado
comme exemple de mot emprunté à l’anglais (qui l’a emprunté à l’espagnol et ce
dernier au nahuatl). Si le document ne comptait que cette seule contradiction...
Prenons
un exemple tout à fait similaire (mot d’une langue étrangère passé dans le
français du Québec via l’anglais) et voyons comment le traite le Grand
Dictionnaire terminologique : le mot zucchini
(courgette). Selon le Trésor de la langue française au Québec, il est attesté
chez nous depuis 1971, il répond donc à au moins un des critères d’acceptation
des emprunts. Il est d’origine italienne mais nous est parvenu par l’intermédiaire
de l’anglais. Mais contrairement à cilantro
et à oregano, le GDT l’accepte comme « terme
utilisé dans certains contextes » :
Le terme zucchini est un
emprunt à l'anglais, qui l’a lui-même emprunté à l’italien. Bien qu’il ne soit
pas employé en botanique, zucchini
est implanté et généralisé dans l’usage au Québec, en coexistence avec courgette, notamment dans les
vocabulaires de la cuisine et du commerce alimentaire.
Zucchini
est donc, pour le GDT, implanté et généralisé dans l’usage au Québec. Selon les critères de la Politique de l’emprunt linguistique, la fiche du GDT devrait
présenter zucchini comme synonyme de
plein droit de courgette, pas
simplement comme « terme utilisé dans certains contextes ». Mais il
est vrai qu’il n’est pas légitimé par les terminologues de l’Office : l’arbitraire…
* * *
Dans
la Politique de l’emprunt linguistique,
la plupart des exemples de non-intégration au système linguistique du français
sont discutables. La non-intégration est décrétée de façon arbitraire, il
suffit pour s’en rendre compte de jeter un coup d’œil aux exemples de la
page 17 : ainsi, on nous dit que levée
(de l’angl. lift; en français : porté), mot du patinage artistique, est « non
intégrable au système linguistique du français » : en quoi est-il non
intégrable ? Il est non intégrable comme votre chien a la rage, parce qu’on
veut s’en débarrasser. L’expression hockey
sur étang (pond hockey) ne serait
pas intégrable, contrairement à hockey
sur glace naturelle. Elle est bien au contraire tout à fait intégrée. S’il
y a un problème, le système linguistique n’est pas en cause. Et problème il y a :
ce sport ne se joue pas que sur des étangs, il peut se jouer sur d’autres
étendues d’eau glacée. C’est donc un problème de référent*, pour utiliser un terme technique, qui n’a rien à voir
avec le système linguistique. Mais il n’est somme toute pas étonnant que des
personnes qui, depuis des années, parlent du « rapatriement du référent »
en utilisant ce terme technique dans un sens qu’il n’a pas ne soient pas capables
d’en reconnaître un quand ils le croisent.
________
*Le référent est l’objet
(réel ou imaginaire) désigné par un mot. Il n’a aucun rapport direct au système
linguistique. C’est pourquoi des mots différents peuvent désigner un même
référent selon les langues : on a table
en français et en anglais, mais Tisch
en allemand, asztal en hongrois, mesa en espagnol, tavola en italien, etc.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire