mardi 17 décembre 2024

Notes de lecture : Éric Emmanuel Schmitt et Ikaros

  

Il y a quelques mois j’ai lu La lumière du bonheur d’Éric Emmanuel Schmitt, le quatrième tome de La traversée des temps, saga racontant l’histoire de l’humanité. Noam, né au néolithique, poursuit son odyssée à travers le temps. Il se retrouve à Lesbos vers 600 av. J.-C., où il tombe amoureux de Sappho. Puis il passe quelques décennies caché au sommet du Parnasse et, par un exploit aux jeux d’Olympie, il devient citoyen d’Athènes et prend le nom d’Argos. Il épouse Daphné, sœur de Xanthippe. Or, qui est Xanthippe ? C’est la femme de Socrate. Et voilà Noam-Argos frayant avec tout ce qui compte dans l’Athènes de cette époque : Socrate bien sûr, le grand stratège Périclès, son hétaïre Aspasie et son neveu le bel Alcibiade, le stratège Nicias, etc. Et il est témoin d’événements historiquement et littérairement marquants : la guerre du Péloponnèse, le scandale de la mutilation des Hermès, la préparation de l’expédition de Sicile, le banquet donné par Agathon auquel participe Socrate et que vient troubler un Alcibiade ivre.

Tous ces éléments constituent la trame de la méthode d’initiation au grec ancien Ikaros du père Raymond Tremblay, publiée à compter de 1962. Après avoir résumé l’histoire de la Grèce des origines jusqu’à 432 av. J.-C., le rédemptoriste (qui lisait son bréviaire en grec ai-je appris) raconte la vie romancée d’Ikaros, fils d’Alcibiade. En fait, le personnage principal est plutôt Alcibiade. Les textes grecs sont des adaptations d’Hérodote et de Thucydide ou bien du P. Tremblay lui-même. Dans le seul compte rendu de l’ouvrage que j’ai trouvé, l’helléniste Gilles Maloney croit que « l'auteur semble avoir été influencé par Thucydide sur le plan stylistique, l'obscurité de l'historien mise à part ». Un de mes professeurs disait, sourire en coin, que c’était du grec de Sainte-Anne-de-Beaupré…

En lisant Éric Emmanuel Schmitt, j’ai retrouvé l’affaire des Hermès que j’avais découverte en Syntaxe (= deuxième secondaire) :


 

Le P. Tremblay s’est gardé de donner des détails sur le scandale religieux de la mutilation des statues d’Hermès (mutilation à la face avant, περιεκόπησαν τ πρόσωπα, nous dit Thucydide).

Dans Ikaros on trouve aussi un portrait de Socrate par Alcibiade qui est une adaptation d’un passage du Banquet de Platon :

 


Le même épisode chez Éric Emmanuel Schmitt est évidemment plus élaboré (à partir de la page 290 : « Ce soir-là, j’accompagnai Socrate chez le poète Agathon…») et contient des éléments que les anciennes règles de la pudeur exigeaient de relater en latin. Aujourd’hui, on réussit à suggérer le tout en recourant au pronom iel.

A posteriori je me rends compte qu’il fallait au P. Tremblay une certaine audace pour faire d’Alcibiade le personnage central de sa méthode de grec.

 

 

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