mercredi 19 novembre 2025

Brownie, brown, brun : l’argot québécois, le parent pauvre de la lexicographie subventionnée

Les querelles intestines du Parti libéral du Québec révélées par le Journal de Montréal/de Québec, nous ont appris le sens argotique du mot brownie : « Ce que dit le journal, c’est que dans le jargon populaire, un brownie peut vouloir dire un billet de 100 $ » (Radio-Canada, mercredi 19 novembre 2025, « Le PLQ en crise : Marwah Rizqy suspendue »). Pour Isabelle Porter du Devoir, le mot aurait plutôt été utilisé dans une conversation en anglais : « l’une des deux personnes affirme en anglais que les membres reçoivent un ‘ brownie ‘ pour voter. Cette expression est parfois utilisée pour faire référence à des billets — bruns — de 100 $ ».

J’ai consulté Usito, notre dictionnaire national (au sens qu’il est payé à même nos impôts), mais il n’est d’aucune utilité dans ce cas, il n’enregistre brownie qu’au sens de « carré au chocolat et aux noix ». L’intelligence artificielle est ici plus utile :

While "brownie" isn't a common Canadian slang term for $100, the slang term "brown" or "brun" is used, particularly in Quebec, to refer to a $100 bill due to its color.

"Brown": This slang term is used in both English and French-speaking parts of Canada. For example, a Québécois person might say, "ça va te coûter une coup' de bruns" (it will cost you a couple of brown notes).

Québécois often refer to the 100$ note as "un brun".

Dans Usito, vous ne trouverez pas brun au sens de « billet de 100 dollars ». C’est de l’argot québécois.

L’entrée brun dans Usito est particulièrement déficiente. On n’y trouve que deux sens : « couleur brune » et « matière colorante brune ». Aucune mention d’un beau brun ni d’une belle brune. Ni de brune pour désigner une cigarette ou une bière. Acceptions que l’on trouve dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (le Robert québécois).

 


Perplexité


À la suite de la sotte affirmation des linguistes atterré·e·s que « l’anglais ne connaît pas de genre grammatical » (p. 17), j’ai écrit un billet où je rappelais qu’en anglais contemporain on se servait du pluriel dans certains cas pour éviter de préciser le sexe d’une personne : Every child expects their mother to love them (cliquer ici pour lire mon billet « Un pluriel fort singulier »).

J’ai reçu ces jours derniers un courriel de mon libraire annonçant la parution d’un ouvrage d’un auteur vivant à Québec. Dans ce message, l’utilisation du pluriel pour désigner une seule personne est particulièrement déroutante :

Before becoming a science-fiction writer, Geoffreyjen Edwards led a successful career as a full-time scientist. They populates their world-building by drawing on experience in fields as diverse as astrophysics, AI, geomatics, design, disability studies and more. Messioph: The First Book of Ido is the sequel of their first published science-fiction novel, Plenum: The First Book of Deo.

Having taken on the role of Editor-in-Chief of their publisher, Untimely Books, Dr. Edwards will present other books in addition to their own. 

 

Je parviens difficilement à suivre l’évolution de la grammaire woke. Ou bien, dans ce cas-ci, s’agit-il tout simplement de l’accumulation de bourdes ?

 

jeudi 30 octobre 2025

In memoriam Louis-Jean Calvet


Je viens d’apprendre le décès de Louis-Jean Calvet, figure marquante de la sociolinguistique francophone.

Extrait du communiqué de Michelle Auzanneau :

C’est avec une grande tristesse que je vous annonce le décès de Louis-Jean Calvet. Il est parti hier, 29 octobre, dans le pays qui l’a vu naître en 1942, la Tunisie.

Pionnier de la sociolinguistique française, son travail a marqué et influencé la réflexion de nombre de chercheuses et de chercheurs à travers le monde. Après avoir enseigné à l’université René Descartes-Sorbonne, créé le Laboratoire de sociolinguistique et la revue Plurilinguismes dans cette même université, il a poursuivi ses activités à l’université d’Aix-en-Provence jusqu’à sa retraite. Une retraite qui n’a pas mis de terme à ses activités, bien au contraire.

Défricheur, érudit, chercheur infatigable, ayant continuellement un ouvrage en cours, une conférence à donner, un avion à prendre, il nous laisse un héritage intellectuel considérable dans de nombreux domaines. Spécialiste de la chanson française, il connaissait ce monde de l’intérieur, y comptait des amis proches et a produit plusieurs biographies d’auteurs. Les nombreux hommages qui lui ont été rendus (colloques, ouvrages, BD) et son autobiographie témoignent de son œuvre.

*   *   *

J’ai connu personnellement Louis-Jean Calvet en 1997 quand je suis devenu membre du comité scientifique du réseau Sociolinguistique et dynamique des langues de l’Agence universitaire de la Francophonie. Nous avons participé ensemble aux Journées scientifiques du réseau à Rabat et à Ouagadougou. Ensemble nous avons été membres du comité scientifique des revues Marges linguistiques et de la Revista de Llengua i Dret. Il s’intéressait beaucoup à la chanson et j’ai été étonné, lors de sa dernière visite à Québec, de l’entendre me parler des Cowboys fringants.

 

Journées scientifiques de Rabat
Au premier rang, LJC est le deuxième à partir de la droite


 

mardi 28 octobre 2025

Tenir les cordons du poêle


Récemment, au cours d’une recherche, je suis tombé sur une expression que je ne connaissais pas : les coins du poêle, tenir les coins du poêle.

Usito définit ainsi poêle :

 


Comme à son habitude, Usito présente une version tronquée de la définition du Trésor de la langue française informatisé (TLFi) :

RELIG. CATH.

A. − Drap funéraire de couleur noire pour un adulte, blanche pour un enfant, qui recouvre un cercueil lors d'une cérémonie mortuaire, et dont les cordons sont tenus par des assistants durant le cortège. Le cercueil était porté par des marins, et entouré par les autorités de Saint-Malo, qui tenaient les cordons du poêle funèbre (J.-J. Ampère, Corresp., 1848, p.166).

Comparaison :

TLFi : Drap funéraire de couleur noire pour un adulte, blanche pour un enfant, qui recouvre un cercueil lors d'une cérémonie mortuaire, et dont les cordons sont tenus par des assistants durant le cortège.

Usito : Drap mortuaire, noir pour un adulte, blanc pour un enfant, recouvrant un cercueil lors de funérailles.

Le TLFi a été publié entre 1971 et 1994. Usito est un ouvrage en ligne (depuis 2009), pouvant en principe être mis à jour régulièrement. Il est donc curieux de constater qu’Usito ne signale pas que l’acception de poêle « drap funéraire » est vieillie, la coutume de tenir les coins d’un drap funéraire ayant même disparu  avec le drap lui-même. Pourtant les promoteurs d’Usito n’ont cessé de vanter leur système de marquage des mots qui, dans le cas présent, est déficient.

Source : Fédération québécoise des sociétés de généalogie

Le dictionnaire de l’Académie, dont on a l’habitude de se gausser, offre une définition qui tient davantage compte des coutumes contemporaines :

Drap mortuaire noir ou violet dont on couvre le cercueil lors des cérémonies funèbres. Expr. Tenir les cordons du poêle, naguère, tenir les cordonnets reliés à ce drap et, aujourd’hui, marcher à côté du cercueil ou immédiatement derrière.

Je n’ai trouvé qu’une attestation récente de coins du poêle dans la presse québécoise, encore s’agit-il d’une citation d’un texte de 1918 : « porteurs des coins du poêle » (Aux quatre coins, Journal communautaire d’Ascot Corner, avril 2014, volume XXIX/3).

Dans le Bulletin du parler français au Canada (avril 1903, dans la section « Sarclures »), j’ai trouvé cette citation : « Les coins du poèle étaient six pompiers. » Avec cette critique : « On écrit poêle. Et puis, des pompiers qui sont des coins de Poêle !... Lisez : “ Les coins (ou les cordons) du poêle étaient portés (ou tenus) par six pompiers” ». Oublions le fait qu’il y avait six coins… La graphie critiquée, poèle, est pourtant celle que l’on trouve dans Littré (« poèle : Drap dont on couvre le cercueil pendant les cérémonies funèbres, et dont quelquefois, par honneur, les coins sont tenus, pendant la marche du convoi, par certaines personnes »).

 

lundi 27 octobre 2025

Jusqu’où peut-on descendre dans l’anglicisation?

  

Capture d'écran du Soleil, quotidien de Québec:

 


Quand on sait le français, on ne dit pas « prendre la rue » mais « descendre dans la rue » ou « manifester ». En revanche, en anglais on dit «to take to the street».

 

lundi 20 octobre 2025

Délivrez plutôt Boualem!

 

Élisabeth Borne a assuré samedi « avoir délivré » la feuille de route fixée par Emmanuel Macron (Le Figaro, 10 juillet 2023)

À force de « délivrer », Élisabeth Borne s'est abîmée : elle a utilisé 23 fois l'article 49-3 de la Constitution… (Mediapart, 24 décembre 2023)

Sur la Grèce, l'Europe, la conjoncture française et les réformes, Emmanuel Macron voulait délivrer un message optimiste (L’Express, 24 juin 2015)

La capacité de l'État à “délivrer du concret” est devenue le grand enjeu du quinquennat (Le Monde, 22 juillet 2019

… lorsque le Président lui demande en janvier 2025 de rendre possible le règlement des péages par téléphone, réagissant à la vidéo TikTok d’un conducteur disant avoir été mis à l’amende pour cela, Bruno Retailleau assure à La Dépêche : "Si c’est le Président qui le demande. Un ministre est là pour délivrer." (La Dépêche, 17 octobre 2025)

Dans la Macronie on délivre mais Boualem Sansal n’est toujours pas libéré.

Cet usage du verbe délivrer vient vraisemblablement de l’anglais, où il est d’ailleurs critiqué. Dans son dernier roman, Our Evenings, l’écrivain britannique Alan Hollinghurst met ces mots dans la bouche d’un personnage qui est ministre des Arts :

‘We’re tightening our belts in the Arts sector’, said Giles, ‘as everyone of us is in all areas of life. But we’re committed to delivering a leaner, better future for our theatres and orchestras and arts organizations’. I think it was the first time I’d heard the cant use of ‘deliver’ […] (Our Evenings, p. 422)

Le romancier traite cet usage de jargon. La définition de cant dans Wikipedia est limpide : « A cant is the jargon or language of a group, often employed to exclude or mislead people ».



*   *   *

Autre exemple de jargonnage, la locution être en capacité, fréquente dans la bouche de l’actuel président de la France quand il ne zozote pas en anglais : « Il faut être en capacité de financer les start-up très vite et très fort » (Libération, 9 novembre 2015). Pour Radio-France, « ce ne sont pas les libéraux qui ont importé ce terme managérial en politique mais la gauche. Ségolène Royal, en 2007, l’utilisait déjà beaucoup » (« Pourquoi la locution "être en capacité" a remplacé le verbe "pouvoir" dans le langage politique ? »,  Radio-France, 7 mai 2020).

*   *   *

Dernier exemple de jargonnage, l’emploi de l’adjectif orthogonal :

Le sénateur Max Brisson, porte-parole du groupe LR : "Nous avons un certain nombre de décisions prises par le gouvernement de monsieur Lecornu qui sont orthogonales de nos valeurs et de nos convictions" (site TF1, 15 octobre 2025)

… l'ex porte-parole du gouvernement Sophie Primas assure sur RTL "ne pas avoir que des désaccords avec le RN". "S'il y a un contrat de gouvernement avec des idées et des mesures qui ne sont pas orthogonales à nos convictions, eh bien travaillons ensemble", lance encore cette très proche de Gérard Larcher avant de finalement rétropédaler et de ne plus assumer cette tentative d'union des Droites. » (site BFMTV; L’Humanité, 8 octobre 2025)

Des mesures qui ne sont pas orthogonales à nos convictions ?

Encore une fois, cet usage vient vraisemblablement de l’anglais même si je ne l’ai pas trouvé dans les ouvrages de référence majeurs accessibles en ligne (Oxford, Cambridge, Collins) à l’exception du Wiktionary. Dans le site English Language and Usage, on signale qu’orthogonal peut signifier « not relevant » ou « unrelated » et on trouve cet exemple : « I'm not fighting you. Our opinions differ, that's all. They're orthogonal ». Un juge américain s’est même étonné de l’usage de ce mot, comme le rapporte le Washington Post (12 janvier 2010) :

Supreme Court justices deal in words, and they are always on the lookout for new ones.

University of Michigan law professor Richard D. Friedman discovered that Monday when he answered a question from Justice Anthony M. Kennedy, but added that it was "entirely orthogonal" to the argument he was making in Briscoe v. Virginia.

Friedman attempted to move on, but Chief Justice John G. Roberts Jr. stopped him.

"I'm sorry," Roberts said. "Entirely what?"

"Orthogonal," Friedman repeated, and then defined the word: "Right angle. Unrelated. Irrelevant."

Il y a 55 ans, Robert Beauvais avait écrit L’hexagonal tel qu’on le parle pour décrier le langage prétentieux à la mode en politique, à la télévision, dans l'université. La langue a depuis évolué. On parle maintenant l’orthogonal dans les hautes sphères du pouvoir en France.

 

lundi 22 septembre 2025

L’intégrabilité des emprunts/2


Dans mon billet du 28 mars 2023 sur l’intégrabilité des emprunts, j’annonçais une suite qui porterait sur les critères sémantiques d’intégration.

Rappelons d’abord ce qu’est un anglicisme sémantique. C’est un sens nouveau donné à un mot français sous l’influence de l’anglais. Comme le disait le premier (1980) Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères de l’Office (pas encore québécois) de la langue française : « L’emprunt sémantique peut se produire sous l’influence de formes apparentées (to realize, réaliser) ou d’une correspondance de sens entre les deux mots, mais dans un autre champ de signification » (copy, copie pour désigner un exemplaire de livre).

Il faut distinguer l’emprunt sémantique du calque. Ce dernier est la traduction littérale en français d’une expression d’une autre langue (low profile, profil bas). La notion de calque s’applique également à un mot simple, analysable en éléments, que l’on traduit littéralement (listing, listage). Pour qu’il y ait calque, il faut donc qu’il y ait au moins deux éléments (deux unités minimales porteuses de sens).

Ces distinctions ont été rendues plus obscures dans les deux versions subséquentes de politique des emprunts linguistiques de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Raisonnons à partir de quelques exemples.

Bris d’égalité est une traduction littérale de tie break. Pour le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), « bris d'égalité est un calque morphologique acceptable du terme anglais tie-break, qui s'intègre bien au système morphosémantique du français. » Sur ce calque, je citerai le linguiste français Louis-Jean Calvet :

Début mai, étant à Québec pour un colloque, j'avais noté un usage proprement québécois dans le vocabulaire du tennis consistant à utiliser bris d'égalité à la place de l'anglais tie break pour désigner ce qu'on appelle en français hexagonal jeu décisif […]. Je me rends compte aujourd'hui que l'expression est généralisée : balle de bris pour balle de break, briser le service du rival, avoir une chance de bris, etc. Ce qui est frappant, ou du moins ce qui me frappe dans cette volonté québécoise de « désaméricaniser » le lexique, c'est que pour comprendre des formes que nous n'employons pas en France il suffit le plus souvent de se demander à quoi elles correspondent en anglais. Pour comprendre balle de bris il faut passer par balle de break. […] on a souvent l'impression que l'on suit au Québec une troisième voie consistant à traduire mot à mot de l'anglais. En d'autres termes, les Québécois ont tendance, lorsqu'ils suivent les instructions officielles, à parler anglais en français. C'est-à-dire que la néologie se ramènerait souvent pour eux à la traduction, ou plutôt à ce qu'on appelle en termes techniques le calque. Le visage de la langue en est bien sûr transformé. Mais, surtout, cette tendance me semble conforter au plus haut point la domination de l'anglais.

Il ajoute :

Franciser ainsi l'anglais en croyant lui résister constitue un phénomène étrange que j'aurais tendance à analyser non pas en termes linguistiques mais plutôt en termes psychanalytiques. J'écris ces quelques lignes en écoutant d'une oreille distraite une chaîne de télévision québécoise et j'entends sauver de l'argent, qui est bien sûr une traduction de to save money pour dire économiser. Il s'agit là d'une forme populaire, mais les responsables québécois de la politique linguistique me paraissent aller strictement dans le même sens. (Billet du 24 juillet 2008, en ligne sur le site de Louis-Jean Calvet.)

(Louis-Jean Calvet parle de phénomène étrange qu’il faudrait analyser en termes psychanalytiques plutôt que linguistiques. Suis-je le seul à avoir constaté que les deux grandes lois linguistiques québécoises, la loi 22 et la loi 101, sont dues à deux psychanalystes ?)

Deuxième exemple : l’évolution sémantique récente du mot communauté au détriment de collectivité. Il y a quelques décennies, le mot communauté utilisé sans autre précision désignait au Québec presque toujours une communauté religieuse. Au début, je trouvais fort curieux d’entendre parler de condamnation à des travaux dans la communauté ou d’entendre des autochtones s’inquiéter des répercussions de telle ou telle décision gouvernementale dans la communauté. Évidemment, il s’agissait d’un emprunt à l’anglais. Aujourd’hui, l’emploi de communauté au sens de collectivité semble être passé dans l’usage québécois. Au Québec, c’est sous l’influence de l’anglais qu’on donne à communauté un sens qui est plutôt celui de collectivité, c'est-à-dire ensemble organisé de la population coïncidant avec une subdivision du territoire, jouissant de la personnalité morale et ayant le pouvoir de s'administrer par un conseil élu.

Dernier exemple : bris d’eau, traduction littérale de water break (on entend aussi régulièrement à la radio bris d’aqueduc). Il s’agit tout simplement de la rupture d’une conduite d’eau. L’expression bris d’eau est une absurdité sémantique. Mais en vertu du principe saussurien de l’arbitraire du signe*, cette suite de sons absurde finira peut-être par être associée au concept de rupture de conduite. Comme le disait joliment le GDT dans la fiche « jouabilité » (aujourd’hui révisée), « parfois, les mots finissent par prendre le sens que l’usage leur donne ».

Ces exemples montrent à quel point il peut être vain de chercher des critères sémantiques pour filtrer les emprunts à une langue étrangère.

Ma conclusion générale au présent billet et au billet du 28 mars 2023, c’est qu’il n’y a pas de critères infaillibles et universels pour décider de l’acceptation ou de l’intégrabilité des emprunts linguistiques. Même les difficultés phonétiques peuvent être contournées. On trouvera toujours un moyen d'intégrer les mots étrangers si on y tient vraiment ou si l’on doit le faire : un présentateur de journal télévisé trouvera le moyen de prononcer Brno (ville tchèque) ou Wrocław (ville polonaise). Il faut donc se résoudre au cas par cas. C’est revenir à la sagesse du premier énoncé de politique linguistique de l’Office (1980) : les « critères [d’acceptation ou de rejet] ne doivent pas être considérés isolément, mais […] ils doivent être appliqués comme un ensemble pondéré pour chaque cas d’emprunt ou de calque » (p. 15).

Les optimistes irréductibles voudront faire valoir que l’Office québécois de la langue française peut toujours filtrer les anglicismes dans les domaines de spécialité. On peut toutefois douter de la volonté de l’organisme d’aller dans ce sens quand on considère sa pratique. À titre d’exemple, alors qu’on aurait pu croire à la fin des années 1990 que le calque tête-de-violon était en régression au profit de crosse de fougère qu’il tentait d’imposer jusque-là, l’Office, au lieu d’orienter l’usage dans la langue commerciale, se contente de constater depuis un quart de siècle : « dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé ». Désormais, quand l’Office intervient, c’est le plus souvent pour censurer les anglicismes lexicaux (les mots anglais tels quels) et pour entériner l’usage de calques ou en proposer de nouveaux. La belle affaire ! Nous sommes toujours au même point qu’en 1879 quand Jules-Paul Tardivel décriait « l’habitude, que nous avons graduellement contractée, de parler anglais avec des mots français ».

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*Pour Ferdinand de Saussure, le signe linguistique est une double entité : le signifiant (le son, l’image acoustique) et le signifié (le concept). Le lien entre les deux parties est arbitraire.