mardi 17 décembre 2024

Notes de lecture : Éric Emmanuel Schmitt et Ikaros

  

Il y a quelques mois j’ai lu La lumière du bonheur d’Éric Emmanuel Schmitt, le quatrième tome de La traversée des temps, saga racontant l’histoire de l’humanité. Noam, né au néolithique, poursuit son odyssée à travers le temps. Il se retrouve à Lesbos vers 600 av. J.-C., où il tombe amoureux de Sappho. Puis il passe quelques décennies caché au sommet du Parnasse et, par un exploit aux jeux d’Olympie, il devient citoyen d’Athènes et prend le nom d’Argos. Il épouse Daphné, sœur de Xanthippe. Or, qui est Xanthippe ? C’est la femme de Socrate. Et voilà Noam-Argos frayant avec tout ce qui compte dans l’Athènes de cette époque : Socrate bien sûr, le grand stratège Périclès, son hétaïre Aspasie et son neveu le bel Alcibiade, le stratège Nicias, etc. Et il est témoin d’événements historiquement et littérairement marquants : la guerre du Péloponnèse, le scandale de la mutilation des Hermès, la préparation de l’expédition de Sicile, le banquet donné par Agathon auquel participe Socrate et que vient troubler un Alcibiade ivre.

Tous ces éléments constituent la trame de la méthode d’initiation au grec ancien Ikaros du père Raymond Tremblay, publiée à compter de 1962. Après avoir résumé l’histoire de la Grèce des origines jusqu’à 432 av. J.-C., le rédemptoriste (qui lisait son bréviaire en grec ai-je appris) raconte la vie romancée d’Ikaros, fils d’Alcibiade. En fait, le personnage principal est plutôt Alcibiade. Les textes grecs sont des adaptations d’Hérodote et de Thucydide ou bien du P. Tremblay lui-même. Dans le seul compte rendu de l’ouvrage que j’ai trouvé, l’helléniste Gilles Maloney croit que « l'auteur semble avoir été influencé par Thucydide sur le plan stylistique, l'obscurité de l'historien mise à part ». Un de mes professeurs disait, sourire en coin, que c’était du grec de Sainte-Anne-de-Beaupré…

En lisant Éric Emmanuel Schmitt, j’ai retrouvé l’affaire des Hermès que j’avais découverte en Syntaxe (= deuxième secondaire) :


 

Le P. Tremblay s’est gardé de donner des détails sur le scandale religieux de la mutilation des statues d’Hermès (mutilation à la face avant, περιεκόπησαν τ πρόσωπα, nous dit Thucydide).

Dans Ikaros on trouve aussi un portrait de Socrate par Alcibiade qui est une adaptation d’un passage du Banquet de Platon :

 


Le même épisode chez Éric Emmanuel Schmitt est évidemment plus élaboré (à partir de la page 290 : « Ce soir-là, j’accompagnai Socrate chez le poète Agathon…») et contient des éléments que les anciennes règles de la pudeur exigeaient de relater en latin. Aujourd’hui, on réussit à suggérer le tout en recourant au pronom iel.

A posteriori je me rends compte qu’il fallait au P. Tremblay une certaine audace pour faire d’Alcibiade le personnage central de sa méthode de grec.

 

 

lundi 2 décembre 2024

Suis-je puriste?

 

M’étant fait traiter de grammairien puriste et grincheux dans un blog anonyme, j’ai voulu obtenir un résumé de ce que l’on disait de moi sur Internet. J’ai donc eu recours aux services de ChatGPT en posant la question toute simple : suis-je un puriste ? Voici la réponse :

Jacques Maurais est souvent associé à des réflexions sur la langue française au Québec, mais il est plus connu pour son approche descriptive que pour un purisme strict. Il s'intéresse à l'évolution de la langue et à la manière dont elle est utilisée dans la société québécoise, ce qui peut le distinguer des linguistes plus puristes qui cherchent à préserver une norme linguistique. Si tu souhaites approfondir cette question, je te recommande de consulter ses travaux ou des analyses sur son approche linguistique.


mercredi 27 novembre 2024

Remettre la terminologie à sa place

 

 

LA PLACE DE L'ENSEIGNEMENT DE LA TERMINOLOGIE

DANS L'AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE DU QUÉBEC

Table ronde sur l'enseignement de la terminologie, université Laval, 12 août 1986

Le texte qui suit a déjà été publié dans une publication au tirage que l'on pourrait presque qualifier de confidentiel (Girsterm, Travaux de terminologie n5, janvier 1987). C'est pourquoi il n'a pas semblé inutile de le reproduire ici.

 

On m'a demandé de donner mon opinion sur l'enseignement de la terminologie au Québec dans le cadre de la section qui a été intitulée « Le point de vue de l'observateur et du traducteur ». Je présenterai donc les commentaires d'un observateur qui, après avoir été terminologue à l'Office de la langue française de 1973 à 1980, ne l'est plus depuis bientôt six ans et qui n'a eu qu'une expérience passagère de l'enseignement de cette discipline, n'ayant donné un enseignement de la terminologie qu'un trimestre à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Aussi bien, comme je n'ai pas d'expérience récente d'enseignement de cette matière, mes commentaires seront à prendre davantage comme des souhaits que comme des critiques.

Pour formuler mes commentaires, je pars du principe que l'enseignement de la terminologie ne peut pas faire abstraction du contexte social dans lequel le futur terminologue devra s'inscrire. Quel est ce contexte? La meilleure façon de le décrire, c'est encore de rappeler dans quelles circonstances la terminologie est apparue au Québec. Elle a d'abord surgi, spontanément pourrait-on dire, chez les traducteurs; puis, à la fin des années 60 et au cours des années 70, c'est-à-dire au moment où les politiques linguistiques canadiennes et québécoises se sont progressivement définies, il y a eu parallèlement systématisation de l'activité terminologique et, vers le milieu des années 70, est apparue de plus en plus évidente à certains praticiens du milieu la nécessité d'enseigner la terminologie au niveau universitaire, au point que plusieurs terminologues de l'Office de la langue française, en plus de leurs activités professionnelles régulières, se sont engagés dans cette activité. L'activité terminologique, non seulement au Québec même mais aussi dans les organismes relevant du gouvernement fédéral, s'est donc définie dans le cadre de l'application d'une législation linguistique. C'est là la première caractéristique que je retiens : la terminologie, dans mon optique, est une discipline ancillaire qui concourt à la réalisation du projet d'aménagement linguistique que s'est donné le Québec et qui est indispensable à l'application des politiques de bilinguisme du gouvernement fédéral.

De ce qui précède découle la constatation que la terminologie est apparue chez nous dans un contexte de bilinguisme. Même s'il est théoriquement possible d'envisager l'existence d'activités terminologiques unilingues au Québec, en pratique la terminologie qui se pratique ici est d'abord comparative. D'où, pour les futurs terminologues, la nécessité d'une bonne connaissance de la langue seconde. Cela peut paraître une évidence et je n'estimerais même pas qu'il vaille la peine d'en parler si l'expérience ne m'avait pas convaincu que ce point pouvait constituer une déficience. C'est une lacune que j'ai eu aussi l'occasion de constater lorsque j'ai enseigné la terminologie. Souligner l'importance de la langue seconde, c'est rappeler une question qui a été assez longuement débattue en 1977 lors de la table ronde sur l'enseignement de la terminologie, organisée dans le cadre du 6colloque international de terminologie de l'Office de la langue française : Peut-on être terminologue sans être traducteur?

La terminologie, au Québec, est aussi liée à une entreprise de modernisation lexicale : encore là, il s'agit d'une évidence car, dans la plupart des situations, la terminologie sert à enrichir le lexique des domaines de spécialité. Mais cette modernisation lexicale revêt au Québec deux aspects distincts l'un de l'autre. Il y a d'abord ce que l'on pourrait appeler le rattrapage lexical, c'est-à-dire l'appropriation par les Québécois de terminologies françaises déjà existantes mais inconnues ici parce que l'industrialisation s'est faite principalement en anglais. Le second aspect, c'est la modernisation lexicale proprement dite – dans ce cas, lorsqu'il s'agira de vocabulaires de spécialités, on parlera plutôt de néonymie ; c'est une activité qui se définit par rapport à la traduction. Comme le dit Claude Hagège dans son article « Voies et destins de l'action humaine sur les langues » : « ... à la base de la modernisation du lexique se trouve une préoccupation capitale, celle de la traduction ». Hagège poursuit en faisant remarquer que la modernisation du lexique, dans presque toutes les langues, se fait de nos jours principalement par rapport à l'anglais. Car c'est l'anglais, pour des raisons économiques et politiques propres au monde contemporain, qui exprime le premier un grand nombre d'activités humaines dans des domaines nouveaux. Et la façon dont l'on procède à l'enrichissement du vocabulaire (emprunts directs et calques ou recours aux moyens internes de la langue : dérivation, composition, création) dépend de l'attitude que l'on adopte face à l'anglais. Comme on le voit, ces réflexions ajoutent à la nécessité pour les futurs terminologues d'acquérir de solides connaissances de la langue anglaise.

Mais on peut penser que cette solide connaissance de la langue seconde devra s'accompagner de quelques notions générales sur le bilinguisme et sur le phénomène des langues en contact. Depuis la publication en 1953 de l'ouvrage d'Uriel Weinreich, Languages in Contact, beaucoup d'effort ont été consacrés à une question qui devrait normalement retenir l'attention des terminologues. En tout cas, il me semble que des thèmes comme le bilinguisme et les langues en contact sont d'autant plus pertinents que le futur terminologue doit s'insérer, au Québec, dans un projet d'aménagement linguistique qui définit, par voie législative, les rapports du français et de l'anglais sur le territoire québécois.

La façon dont l'aménagement linguistique – plus particulièrement l'aménagement du corpus, c'est-à-dire l'aménagement de la langue elle-même – se pratique au Québec pourra avantageusement être mise en parallèle avec ce qui se fait ailleurs dans le monde. La comparaison est maintenant facilitée par la publication ces dernières années de l'ouvrage monumental (en trois volumes) de Fodor et Hagège intitulé La réforme des langues. Cet ouvrage, qui décrit de nombreuses réformes lexicales, aidera à faire prendre conscience des facteurs qui déterminent le succès de ces entreprises de modernisation linguistique ; après tout, le terminologue veut bien que son travail serve à quelque chose, c'est-à-dire que ses propositions terminologiques se traduisent dans l'usage: c'est ce que nous appelons l'implantation. Au Québec, on en est venu à penser, pour des raisons philosophiques, que l'intervention sur la langue devait se limiter aux vocabulaires de spécialité ; l'expérience québécoise – réactions négatives à certaines décisions terminologiques – semble aussi indiquer qu'il est préférable de ne pas intervenir sur la langue générale. Pourtant, dans l'ouvrage de Fodor et Hagège, on trouvera de nombreux exemples où l'on est intervenu sur la langue générale, avec succès semble-t-il : je pense à des cas comme le finnois (article de Sauvageot) ou l'estonien (article de Tauli). Qui plus est, dans ces deux cas, les réformateurs n'ont pas touché qu'au lexique, mais aussi à certaines catégories morphologiques et même à la syntaxe. Il me semble que l'étude de ces expériences d'aménagement linguistique est susceptible, sinon de modifier la pratique terminologique québécoise, du moins la conception que l'on se fait de cette activité et de ses possibilités.

Mais ce qui pourra avoir le plus d'impact sur la terminologie québécoise, ce sont les études en cours sur les aspects sociolinguistiques de l'implantation terminologique. Ces travaux sur le changement terminologique ont été principalement l'œuvre jusqu'à présent de Denise Daoust, de l'Office de la langue française, qui a diffusé ses résultats préliminaires dans un article intitulé  Le changement terminologique planifié : un cas particulier de changement linguistique » (Revue québécoise de linguistique 15/2 [1985]) et dans une communication présentée à l'université de Georgetown (« Planned Change and Lexical Variation »). Pour moi, et c'est ce que j'ai essayé de démontrer jusqu'à présent dans mon exposé, la terminologie, au Québec, ne doit pas être une discipline désincarnée, elle doit s'inscrire dans un projet d'aménagement linguistique et, pour ce faire, elle doit avoir de bonnes bases sociolinguistiques. En pratique, cela veut dire que les terminologues devront être au courant des facteurs qui conditionnent l'implantation terminologique. D'ores et déjà, un certain nombre de ces facteurs ont été identifiés. Parmi les facteurs psychosociaux, on a déjà mis en relief l'importance de la motivation personnelle de certains individus pour la mise en train du processus de changement ; on a aussi souligné la part réservée à l'attitude de la haute direction de l'entreprise pour enclencher le changement. D'autre part, on sait déjà depuis 1978, grâce à une enquête de Monica Heller, qu'il existe un important facteur de résistance au changement terminologique chez les francophones eux-mêmes : en effet, on a pu démontrer qu'il est plus facile de remplacer un terme anglais par un terme français proposé officiellement par l'Office de la langue française que de remplacer un terme québécois (ou perçu comme tel) par un terme du français européen. En troisième lieu, l'étude commandée à Sorecom en 1981 par l'Office de la langue française a permis de mettre en évidence le rôle de certains facteurs organisationnels dans l'utilisation et la diffusion des termes techniques français dans l'entreprise : statut (multinational, national ou régional) de l'entreprise, niveau de la technologie utilisée, provenance de cette technologie et clientèle visée. En quatrième lieu, les études sur le changement terminologique ont montré l'importance de certaines variables sociodémographiques, les mêmes qui agissent sur le changement linguistique naturel : l'âge, le sexe, le niveau de scolarité ; mais, en plus, elles ont souligné le rôle du poste occupé dans la structure hiérarchique de l'entreprise. Enfin, il ressort de toutes les recherches que la structure de communication de l'entreprise influence le processus de changement terminologique : il s'agit, d'une part, des canaux de communication (utilisation de l'écrit ou de l'oral au travail) et, d'autre part, des réseaux de communication (statut hiérarchique du destinataire ou de l'interlocuteur).

Les recherches de Denise Daoust montrent l'importance pour la francisation des entreprises de ce qu'elle a appelé les agents de changement linguistique. Ces agents de changement linguistique peuvent être, par exemple, des représentants de la haute direction qui donnent l'impulsion première au programme de francisation et le soutiennent par la suite ou bien ce peuvent être des employés qui jouissent de prestige auprès de leurs collègues. Selon Denise Daoust, tout « semble indiquer que les bases du changement terminologique, comme celles du changement linguistique naturel, prennent racine chez des individus qui adoptent des innovations linguistiques ». De par leur formation et de par les exigences de leur travail, les terminologues sont appelés à faire partie de ces agents de changement linguistique. Il me semble que la jonction des terminologues avec les agents de changement linguistique que l'on a commencé à identifier dans les entreprises pourra se faire avec succès si l'on parvient à éviter deux écueils : le premier écueil serait de faire de la terminologie une activité très intellectuelle, désincarnée, proche dans ce cas de la taxonomie (entendue au sens de science de la classification, et non pas seulement au sens de classification des formes vivantes) et de la réflexion philosophique ; une telle activité est sûrement nécessaire et utile en soi mais je vois mal comment elle peut s'intégrer de façon efficace dans le processus de francisation des entreprises. Le second écueil, c'est le purisme : à quoi cela sert-il de faire de belles terminologies bien françaises si elles ne passent pas dans l'usage, si les usagers les rejettent? À cet égard, il vaut la peine de rappeler une constatation faite depuis longtemps : la participation des usagers à l'élaboration des terminologies est une des conditions de la réussite de l'implantation (à ce sujet, cf. la communication de J.-Cl. Corbeil au 4e colloque STQ-OLF [1982], spéc. p. 180). Pour assurer la participation des usagers, il faudra sans doute faire, à l'occasion, des accrocs à nos séries de termes bien formés et bien français. Et, dans ce contexte, il y aurait lieu de faire intervenir les notions de norme et de normalisation, mais il s'agit là de notions qui semblent bien couvertes dans les actuels programmes de formation des terminologues.

Pour me résumer, j'ai essayé, dans cette communication, de plaider pour un rôle actif du terminologue en matière de francisation, pour qui il soit un agent de changement linguistique et non pas seulement quelqu'un qui établit des listes de termes. Pour ce faire, il me semble essentiel qu'il ait des notions de base en sociolinguistique. Le rôle du terminologue dans la francisation des entreprises risque d'être capital ; pour l'instant, nous ne disposons que de rares études sur le degré de succès de la francisation des entreprises québécoises : elles semblent bien indiquer quelques progrès, mais la méthodologie qui a été utilisée jusqu'ici – sondages téléphoniques – n'est peut-être pas la meilleure façon d'avoir un aperçu de la réalité des choses. Quoi qu'il en soit, il n'est pas complètement exclu que ce qu'on a appelé opération de francisation n'ait été, dans bien des entreprises, qu'une francisation sur papier, qu'un habile maquillage. Si cela était vrai, cela voudrait dire que, dans ces entreprises, à peu près tout resterait à faire. On comprendra dès lors le rôle essentiel que peut être appelé à jouer le terminologue dans une telle situation : à condition, bien sûr, de ne pas faire que de la terminologie mais de devenir un agent de changement, un animateur sociolinguistique. Et cette animation suppose collaboration avec les usagers et même participation de ceux-ci au processus de décision terminologique. Pour rester dans le même ordre d'idée, je terminerai en citant une remarque que Jean-Claude Corbeil formulait en 1982 au 4e colloque OLF-STQ ; même si elle pourra paraître à certains un peu « dure à avaler », il me semble qu'elle contient encore une part de vérité : « Il ne faut pas exagérer un certain professionnalisme de la terminologie. La terminologie est d'abord et avant tout l'affaire et la responsabilité des différents groupes de spécialistes. Le terminologue, avec ses méthodes de travail et ses connaissances, n'est qu'une aide technique dans une relation de multidisciplinarité » (p. 183).

 

 

mardi 26 novembre 2024

Le dico nouveau est arrivé

Devançant de peu le beaujolais nouveau, la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française, dont la publication a commencé dans les années 1980, est parue ce mois-ci. L'association du « Tract des linguistes » a immédiatement réagi en publiant une tribune dans Libération. La réaction, fort critique évidemment, a pu paraître hâtive même si une grande partie du dictionnaire était accessible en ligne depuis plusieurs années. Les linguistes atterré·e·s reconnaissent eux·elles (euzelles?)-mêmes que leur réaction a pu être précipitée puisqu’il·elle·s viennent de corriger leur tribune (texte de la tribune mis à jour le 22 novembre) à la suite d’un communiqué de la Ligue des droits de l'Homme France. La Ligue demande à l’Académie de rectifier « d’urgence » son dictionnaire en insérant un erratum.

Selon la Ligue, le dictionnaire contient des mots ou des définitions offensants comme Jaune, négrillon ou négroïde. On se doit de constater que l’académicien Dany Laferrière est véritablement une force de la nature puisqu’il a su résister à ces microagressions.

Je ne peux m’empêcher de noter en terminant que la Ligue des droits de l’Homme n’a pas cru bon de modifier son nom pour s’accorder avec ses propres principes de bien-pensance.

 

mardi 22 octobre 2024

Un terme qui porte ombrage

 

Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met en vedette ce mois-ci le terme voile d’ombrage (syn. toile d’ombrage), « toile amovible que l'on tend au moyen de fixations au-dessus d'un espace extérieur dans le but de créer une zone d'ombre. » Les rédacteurs du GDT ont oublié qu’il existait déjà un terme en français pour désigner cet objet ou plutôt ce « concept », comme ils disent : velum, « grande pièce d'étoffe servant à tamiser la lumière ou à couvrir un espace sans toiture » (Trésor de la langue française informatisé). Le terme figure dans la 8édition (1935) du dictionnaire de l’Académie et il a été enregistré au siècle précédent par Littré : « mot latin (velum, voile) qu'on emploie quelquefois aujourd'hui pour désigner une tente dont on couvre un amphithéâtre, une allée, un espace, en quelque cérémonie. » Qu’on ne vienne pas dire qu’il s’agit d’un mot savant : il n’est pas plus savant que les mots d’origine latine album ou aréna. Sûrement moins que le fameux momentoumme qui, lui, fait (pseudo)savant : « déconseillé » par la Banque de dépannage de l’OQLF, il faut bien admettre que momentum fait bien partie du français standard en usage au Québec (sauf si cette notion n’a aucun sens) puisqu’il est utilisé sur les ondes publiques par les politiciens, économistes, journalistes, etc.

vendredi 11 octobre 2024

Notes de lecture: L'irréparable de Pierre Simon

 


J’avoue que j’ai un faible pour les romans qui se déroulent dans le milieu universitaire : ceux de lord C.P. Snow (en particulier The Masters), la parodie Porterhouse Blue de Tom Sharpe, Small World de David Loge, la charge de Biz (Sébastien Fréchette) sur l’« Université de Montréal au Québec » (L’horizon des événements, Leméac, 2021, cliquer ici pour lire mon billet sur ce roman). Je m’en voudrais de ne pas ajouter à cette liste un livre paru il y a quelques années, Les carnets jaunes de Valérien Francœur, qui a crevé quelques enflés d’A.C. Drainville (Montréal, Éditions de l’Effet pourpre, 2002) dont le thème est le « bourbier infernal qu’est le Département de science politique de l’Université Laval » (page de remerciements) (voir le compte rendu de Mathieu Arsenault dans Spirale 228, septembre-octobre 2009).

Dans ce genre vient de paraître L’Irréparable de Pierre Simon (Héliotrope, 2024) où on croit comprendre que l’auteur fait référence à l’UQÀM. Je ne m’attarderai pas à l’intrigue, que j’ai déjà oubliée. Mais l’auteur a du style et il sait écrire. Que demander de plus ?

Pierre Simon a des expressions heureuses, par exemple ce jugement sur le texte d’un étudiant : « … les prépositions … prélevées de l’anglais et greffées sans honte aucune au français (p. 20) », le portrait d’une étudiante en « sauterelle multipercée » (p. 26) ou encore « cette boucherie très trendy du boulevard Saint-Laurent où certains employés refusent de répondre en français à la clientèle, aussi bilingues, voire trilingues soient-ils » (p. 21).

Il y a beaucoup de remarques linguistiques, ainsi sur le « vocabulaire hallucinant rencontré dans les couloirs de l’université ou sur les ondes de la radio nationale, sinon lu sur internet. [Le héros] y accole les équivalents du siècle passé : trouple [un ménage à trois]; polysaturé [épuisement des gonades], fluide [aux deux]; licorne [cinquième roue]; métamour [rival]; aromantique [un sociopathe]; pansexuel [à tout et à son contraire]; polyamoureux [slut], et le reste » (pp. 25-26).

Pierre Simon porte des jugements sévères : « cette attitude typiquement québécoise de se ranger derrière les perdants de la realpolitik ». Son héros ne va plus au théâtre ou au concert, « incapable d’encaisser ce qu’il considère comme des bobards sur l’occupation d’un territoire supposément non cédé » (p. 35). Il « bute sur cette difficulté, nouvelle depuis peu, de devoir lire [d]es embryons d’essais en langue inclusive.» Pourtant le romancier y recourt à deux reprises dans la dernière page de son roman : passant·e·s et croyant·e·s.

Même si l’auteur avoue ne guère priser les anglicismes, il en laisse échapper quelques rares : « payer une visite » (p. 201) (mais c’est dans une conversation), « filière » (p. 238) au sens de « classeur » ou de « fichier informatique », « un taxi régulier » (p. 243) ou encore « biscuit soda » (p. 252) que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) continue de « déconseiller » dans une fiche non revue depuis 1985 et qui a par conséquent échappé au révisionnisme stakhanoviste des néoterminologues qui ne l’ont pas encore intégré dans leur « norme sociolinguistique du français au Québec» (Usito note que le terme est « parfois critiqué »).

Il arrive au romancier, au moins à deux reprises, d’utiliser la forme québécoise de formuler une supposition : « Avoir le choix… » (p. 229) (dans une conversation). Il faut dire que cette forme, particulièrement caractéristique du français québécois et tout à fait standard chez les Québécois de souche, n’a pas été enregistrée à ce jour par le dictionnaire Usito qui prétend « décrire le français standard en usage au Québec »

 

samedi 5 octobre 2024

En hommage à Daniel Pinard : seconde partie

  

Je republie aujourd’hui une partie de la conclusion de mon étude des courriels publiés sur le site Internet de l’émission animée par Daniel Pinard.

Plusieurs auteurs de courriels font montre d’une virtuosité impressionnante, comme on aura pu le constater à la lecture des exemples qui illustrent le billet précédent. Je ne peux résister au plaisir de citer les trouvailles stylistiques suivantes :

 

     Toutefois étant une maman, je regarde quelquefois sur le pouce....il serait donc souhaitable de pouvoir retrouver ces charmantes recettes sur le site internet. (1-438)

     Je me fout pas mal de votre sortie du garde-manger (vous avez tout à fait raison, ça ne nous regarde pas), toutefois, je voudrais vous remercier d'avoir fait la démonstration que l'intelligence savait gardé sa dignité devant la stupidité. (60-178)

     Le verbe de Monsieur Pinard titille autant mes oreilles que ses préparations, mes papilles. (1-441)

     Comme nous tous, pour avoir droit à l'assiette au beurre, il vous faut baratter un peu. (62-159)

 

D’autres correspondants font montre d’un humour subtil :

 

     Voyez‑vous je ne suis pas le seul a être sourd mon épouse aussi mais elle ne le sait pas encore. (12-31)

     je ne suis pas etonne une miette(restons un peu ds la bouffe)que vous, M.Pinard, vous vous soyez lever... (61-49)

     Mon épouse et moi sommes à planifier la rénovation de notre cuisine. Nous voulons l'agrandir et la rendre plus fonctionnelle. Mon épouse y passe beaucoup de temps, non par obligation mais par passion. (Mon tour de taille pourrait en témoigner.) (57-23)

 

Évidemment, le désir de faire montre de virtuosité peut donner à l’occasion des résultats discutables, au goût pour le moins douteux :

 

     […] mais, puisque vous nous demandez des commentaires... la miss couscous gesticulante fardée au curcuma dont nous avons rapidement oublié le nom... le moins souvent possible por flavor... (1-138)

     Non pas que je suis un amateur de ce (faux) "PArmesan" sentant a l'exces la botte de "jobber" surchaufee […] (54-138)

 

Plusieurs textes sont émaillés de références littéraires, telle cette allusion au Petit Prince : «... et l'essentiel n'était plus invisible à nos yeux!» (6-41). Certains citent le philosophe Thomas de Koninck, le romancier J. Gaarder, La Bruyère, le Talmud et même les frères Goncourt:

 

     "Ce qui entend le plus de bêtises dans le monde, est peut-être un tableau de musée." Les frères Goncourt n'ont pas tort mais avouons que la palme peut être aussi attribuée à un télespectateur devant son écran où Bratwaite et compagnie sont capables du pire. (62-33)

 

Un autre correspondant émet un jugement qui n’est pas sans faire penser au style de Saint-Simon – fait de raccourcis fulgurants et de sévérité implacable, recourant parfois même au «terme bas» (et dont l’orthographe et la syntaxe n’étaient pas non plus toujours impeccables) :

 

     Il y a longtemps que le vomi de Mr. Brathwaite m'excède (l'example de la plongeuse Mlle Pelletier me vient à l'esprit). Dès ces débuts, je l'ai toujours trouvé ordinaire, en ce sens que bien qu'il fut "pas mal" dans bien des domaines artistiques (animation, jeu, etc.) il n'excellait dans rien. (60-179)

 

Comme le lecteur peut déjà le supposer, l’analyse de ce volumineux corpus de courriels n’a pas été qu’un travail fastidieux, cela a souvent été un plaisir.

*   *   *

J’ai publié il y a quelques années deux autres billets basés sur mon étude des courriels envoyés à Daniel Pinard :

·       Un billet méthodologique sur l’utilisation des pronoms pour déterminer l’âge des auteurs de ces courriels : cliquer ici.

·         Un billet polémique en réponse à deux hurluberlus qui, après la présentation de ma recherche lors d’un colloque, avaient fait valoir que les fautes de français n’existaient pas : cliquer ici.