jeudi 5 janvier 2012

Downton Abbey


La télévision publique américaine (PBS) a commencé la diffusion de la série britannique Downton Abbey. Au cœur de l’intrigue : le château de Downton Abbey qui ne peut être transmis que par « entail », type de transmission de biens fonciers et immobiliers qui a eu cours en Angleterre de 1285 à 1925. La version française de la première saison de la série, diffusée en France en décembre 2011 sur TMC, se contente de traduire simplement le mot par « héritage ».


Dans la série, les trois filles du comte Grantham ne peuvent hériter de la propriété de leur père parce qu’elle est soumise au régime de l’entail. Celle-ci devrait alors passer à l’un des deux neveux du comte mais ils sont tous les deux morts dans le naufrage du Titanic. L’héritage revient donc à un cousin au troisième degré qui pourrait éventuellement faire expulser la famille du comte à la mort de ce dernier. Le scénario est essentiellement celui du roman Pride and Prejudice[1] de Jane Austen.



Dans le droit français, l’équivalent de l’entail est la substitution héréditaire, en principe abolie par Napoléon mais maintenue partiellement pour la noblesse d’Empire sous la forme du majorat.


Il est intéressant de voir comment un dictionnaire spécialisé comme le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, avec ses dérives vers la « langue courante » de ces dernières années, traite un mot aussi spécialisé que entail. En d’autres termes, cela permet de voir dans quelle mesure le GDT répond à sa mission (ou, du moins, à ce que son appellation laisse attendre).


À vrai dire, je n’aurais pas été surpris de ne rien trouver dans le GDT. Et, de fait, le mot entail lui-même n’y est pas. Mais il y a deux fiches entailed estate et une pour le synonyme inalienable property. Les traductions françaises proposées sont : majorat, biens substitués, biens indisponibles. La première correspond d’assez près à la notion d’entail (« Majorat : Bien inaliénable et indivisible qui a subsisté en France jusqu'en 1849 et consistait en propriétés immobilières, attaché à un titre de noblesse, transmis au fils aîné d'une famille » selon le Trésor de la langue française informatisé). Mais pas complètement puisque, dans l’entail (dans la version masculine de l’entail, car il y a aussi une version féminine), l’héritage, en l’absence d’un héritier mâle direct, passe à un héritier collatéral. Il s’agit donc d’une substitution héréditaire.


Les trois fiches du GDT datent de 1978 et aucune ne comporte de définition, française ou anglaise. Grave lacune pour une notion juridique aussi complexe. D’autant plus que la substitution héréditaire demeure licite au Canada (selon Wikipédia, s.v. substitution héréditaire, mais l’article ne précise pas s’il s’agit d’une notion de droit civil ou de common law).


À titre de comparaison, la base de données Termium du Bureau de la traduction à Ottawa donne comme traduction du nom entail : « taille » et « héritiers du fief taillé » (où fief taillé dérive du latin feodum talliatum tout comme l’anglais fee tail, synonyme d’entail). Ce sont les termes retenus par le comité de normalisation établi dans le cadre du Programme national de l'administration de la justice dans les deux langues officielles. Termium donne des définitions anglaises mais pas de définition française.


Comme on le voit, ni le GDT ni Termium ne donnent l’équivalent substitution héréditaire qui semble le plus approprié dans le cadre de la série Downton Abbey.


La conclusion que je tire de cette courte analyse est que Wikipédia s’impose de plus en plus comme un outil utile, dans certains cas indispensable, même s’il faut toujours demeurer vigilant puisque les articles, malheureusement non signés, peuvent aussi bien être rédigés par des spécialistes que par des amateurs plus ou moins éclairés. Mais l’avantage de cette encyclopédie, c’est que, dans le cas des termes contestés, il est toujours possible de consulter la discussion à laquelle ils ont donné lieu, de suivre les modifications qui ont été apportées à la rédaction au fil du temps et donc de se faire sa propre idée. C’est aussi ce que permet de faire Termium parce que cette base de données donne des définitions anglaises et françaises et cite aussi ses sources. En comparaison, le GDT ne donne pas toujours de définitions françaises (ainsi, aucune définition française pour les équivalents d’entailed estate), rarement des définitions anglaises, fait plus rarement encore mention de ses sources et, pour le même terme anglais, il lui arrive d’offrir plusieurs fiches avec chacune des traductions différentes du même terme : seul le spécialiste réussit alors à s’y retrouver.




[1] Résumé dans Wikipédia : « les cinq filles de Mr. Bennet n'ont en effet aucun droit à hériter de la propriété de leur père, car celle-ci lui a été transmise sous le régime de l'entail. La propriété reviendra donc après sa mort à un lointain cousin, qui aura dès lors le droit d'expulser la veuve et les cinq filles. »

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