Pendant
longtemps le dictionnaire général qui rendait le mieux compte des usages
québécois a été le Dictionnaire
général de la langue française au Canada de Louis-Alexandre Bélisle
(1954), approuvé par le ministère de l’Éducation (Dugas,
1983). L’ouvrage a été de plus en plus critiqué par des linguistes. Il faut
dire que l’auteur était autodidacte et que son œuvre était vendue en fascicules
dans les supermarchés...
La
principale critique a été que le Bélisle est un dictionnaire
« adapté », c’est-à-dire fait à partir d’un dictionnaire publié en France.
Il en va de même du Dictionnaire du
français Plus à l’usage des francophones d’Amérique (1988), basé sur un
dictionnaire Hachette, et du Dictionnaire
québécois d’aujourd’hui (1992, 1993), basé sur le Micro-Robert Plus. Ces deux derniers dictionnaires,
qui ont connu un
« échec commercial » (Lockerbie, 2003 : 146), ont pris le parti de ne
pas identifier les québécismes, mais à l’inverse de signaler par la marque France les emplois propres au
français de France. Leurs auteurs se déclarent résolument en faveur d’une norme
québécoise.
En
1990, le Conseil de la langue française a affirmé dans un avis adressé au
gouvernement que « l'élaboration d'un dictionnaire québécois est devenue
une nécessité à la fois politique et culturelle ». La Commission des États
généraux sur le français, constatant que d’autres États d’Amérique disposent
d’un dictionnaire qui leur est propre, a estimé en 2001 que « le Québec
est arrivé à cette étape de son évolution » (Rapport Larose, 2001 :
82-83). Dans cette foulée, l’équipe Usito (anciennement Franqus) de
l’Université de Sherbrooke a entrepris la rédaction d’un dictionnaire décrivant
les usages du français au Québec et en en faisant la hiérarchisation (Martel, 2006). L’objectif était en fait de produire un
dictionnaire comparable au Diccionario
del español de México (Luis Fernando Lara, Colegio de México) où l’espagnol
du Mexique est véritablement décrit ‘comme si les Mexicains constituaient la
seule communauté linguistique de langue espagnole qui existât’. L’entreprise,
largement subventionnée par le gouvernement québécois (Meney,
2010 : 274), s’est révélée un demi-échec puisqu’on a fini par
reprendre des pans entiers du Trésor de la langue française de Nancy (cf. Poirier, 2014) et que la description du français
québécois y figure plus souvent qu’autrement sous la rubrique « Emploi
critiqué ».
L’équipe
du Trésor de la langue française (Université Laval) a lancé à la fin des années
1970 le projet d’un dictionnaire historique différentiel du français québécois.
Largement financée par les fonds publics (Meney, 2010 : 403), elle a
publié en 1985 un fascicule de74 articles, avant-goût de ce que devait être
l’ouvrage final : « une dizaine de tomes échelonnés sur une vingtaine
d’années » (Le Soleil, 13 avril
1985). En 1998 a paru le Dictionnaire
historique du français québécois, qui ne contient que 651 articles (ou
monographies). Depuis, plus rien. Pourtant, comme l’avait fait valoir Jean-Denis Gendron (1990), ce type d’ouvrage est
essentiel.
Dans
cette présentation de la lexicographie québécoise, on ne peut omettre le Grand Dictionnaire terminologique de
l’OQLF qui a connu depuis une vingtaine d’années une réorientation plus
lexicographique. Celle-ci a été dénoncée par un groupe d’anciens terminologues
de l’OQLF dans un manifeste intitulé Au-delà
des mots, les termes : « l’Office ne peut se limiter à observer
et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la
démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut
préconiser » (Le Devoir, 12
février 2011). Pour Jean-Claude Corbeil et Marie-Éva de Villers (2017), « il
n’entre pas dans les attributions de l’OQLF de décrire et de légitimer les
emplois de registre familier ».
* * *
Trois
ouvrages méritent d’être traités à part.
Le
Multidictionnaire de la langue française de Marie-Éva de Villers (Montréal,
Québec Amérique, 7e édition, 2021) est un succès de librairie. Ce
dictionnaire de difficultés s’est imposé dans les bureaux et dans l’enseignement.
Le
Visuel d’Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil, décliné en plusieurs
versions (bilingue, multilingue, junior, mini), est un autre succès de
librairie (traduit en 26 langues, plus de six millions d’exemplaires vendus
depuis 1982). Il a ceci de particulier qu’il ne comporte aucune définition.
Le
Dictionnaire québécois français (Montréal, Guérin, 1999; 2e
édition, 2003) de Lionel Meney a reçu un traitement spécial dès sa publication :
en fait, une volée de bois vert de la part d’un groupe de linguistes que Meney
a appelé endogénistes (et qu’on pourrait tout aussi bien appeler les
indigénistes de la linguistique sur le modèle français des Indigènes de la République).
L’auteur leur a servi sa réplique dans un pamphlet, Polémique à propos du
dictionnaire québécois-français (Montréal, Guérin, 2002). Le dictionnaire a
été bien accueilli par les médias, le grand public, les professionnels de la
langue et des écrivains comme Léandre Bergeron ou Victor-Lévy Beaulieu.
Le
comportement des lexicographes endogénistes n’est pas sans rappeler le mot d’Érasme
dans son Éloge de la folie : « Rien ne les enchante davantage
que de distribuer entre eux les admirations et les louanges, et d’échanger des
congratulations ». J’ai pu être témoin du fait lors d’un colloque sur les
dictionnaires au Musée des Beaux-Arts du Québec en 2008. Tous les auteurs québécois
d’ouvrages « dictionnairiques » (comme on se plaît à dire en ce
milieu) avaient été conviés sauf un, celui qui ne demeurait qu’à un jet de
pierre du musée, Lionel Meney. Distance donc suffisante pour une lapidation en
bonne et due forme. Mais la méchanceté ne serait rien sans une dose de
raffinement : plutôt que de recourir à un bourreau local, on en a fait
venir un de France pour attaquer ce qu’il a appelé un OLNI, « ouvrage
lexicographique non identifié ». On comprend que le reproche fondamental
fait à Meney est d’avoir produit un dictionnaire « bivariétal », en
somme un dictionnaire donnant les équivalents en français de France de mots
québécois.
Quand
on connaît un peu le milieu universitaire, en particulier le milieu
universitaire nord-américain, on peut penser que cette sourde (à une époque
assez bruyante) hostilité pourrait avoir une autre source. En effet, bien des
critiques commencent par noter que Meney a fait son dictionnaire seul. Tout seul.
Sans une équipe. Sans engager d’étudiants. Sans donc avoir besoin de demander
des subventions de recherche. Quand on sait que les professeurs sont de plus en
plus évalués sur le montant des subventions qu’ils parviennent à obtenir et qui
constituent un appoint aux revenus des étudiants, on peut comprendre qu’on
reproche à Meney de ne pas avoir joué le jeu.
Références
Dugas,
Jean-Yves (1983), « La norme lexicale et le classement des
canadianismes » dans Bédard et Maurais (1983), La norme linguistique, Québec et Paris, CLF et Le Robert.
Lockerbie,
Ian (2003), « Le Québec au centre et à la périphérie de la
francophonie », Globe 6/1,
125-149.
Martel,
Pierre (2006), « Le français standard en usage au Québec : question
de normes et d'usages », Revue belge de philologie et d'histoire, 84-3, pp. 845-864.
Meney,
Lionel (2010), Main basse sur la langue,
Montréal, Liber.
Poirier,
Claude (2014), « USITO : un pas en avant, un pas en arrière »,
Site du TLFQ, 29 p.
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