En 2023 paraissait le tract Le
français va très bien, merci du collectif des Linguistes atterré·e·s
(Gallimard, coll. « Tracts »). J’ai déjà eu l’occasion de publier un
billet sur une des pseudo-vérités qu’ils assènent dans ce pamphlet : « L’anglais
ne connaît pas de genre grammatical » (cliquer ici pour lire
ce billet).
Lionel Meney a publié l’année
dernière La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux
Linguistes atterrées (Limoges, Lambert-Lucas). L’annonce de cette parution
sur un fil de discussion a suscité une polémique lancée par une linguiste
subcarpatique ou moldo-valaque (lire mon compte rendu de l’incident en cliquant ici).
Une critique d’un chapitre
de ce livre (« Le français n'est pas ‘envahi’ par l'anglais ») a paru
récemment dans un blogue de Médiapart. L’auteur, Vincent Doumayrou, est
vraisemblablement un traducteur professionnel à en juger par les arguments qu’il
utilise. Selon lui, « les LA [= Linguistes atterré·e·s] tombent en
fait dans les mêmes travers que les personnes qu’ils prétendent pourfendre au
nom de la science ». À noter qu’il a soumis ses critiques à quelques-uns
des auteurs et dit qu’il n’en a reçu aucune réponse.
Vincent Doumayrou avertit que
ses billets sont supprimés au bout d'une durée maximale de deux ans. Aussi je
vais citer quelques extraits de son billet « Les linguistes atterrés se
prosternent devant la domination de l'anglais » avant qu’il disparaisse
dans les limbes d’Internet :
[…] le
livre est un simple ouvrage d’opinion, mais d’opinions proférées avec
l’assurance du sachant : pour cette raison, indépendamment même de ses
thèses, sa lecture m’a procuré une impression de suffisance assez pénible.
J'ajoute
aussi, à titre subsidiaire, m'étonner de l'énoncé suivant : « Les
puristes [se plaignent] de ce qu'ils appellent [sic] les
anglicismes » ; comme si cette notion n'avait de sens que dans la
bouche des puristes. Pourtant, elle désigne un emprunt fait à l'anglais, comme
le mot germanisme désigne un emprunt fait à l'allemand, hispanisme à
l'espagnol, gallicisme au français : je ne comprends pas la réflexion des LA.
[…] au
cours de leur histoire, les langues ont emprunté des mots et des tournures les
unes aux autres. Mais au cours de l’histoire, les langues ont aussi une
vocation de différentiation culturelle, elles ont formé le support de
l’identité des peuples et de la construction des nations.
[…] Et
contrairement à ce que les LA laissent entendre par ailleurs, ce phénomène de
construction de l’identité par la langue n’a rien de spécifique à notre pays.
Ainsi, dans la Belgique unifiée du XIXème siècle, la Flandre a en bonne partie
forgé son identité en réaction à l’influence du français.
De
même, l’Angleterre a défendu sa langue par des lois contre le français – notamment
le Statute of Pleading de 1362, qui fait de l’anglais la langue des
actes de justice, sorte d’équivalent de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts :
quand ils fustigent la Loi Toubon, les partisans de l’anglais (dont les LA, qui
glorifient le monde anglophone comme peu à cheval sur les règles de
l’orthographe, ce qui est discutable mais sort du propos de ce billet) oublient
qu’en son temps, l’Angleterre a aussi eu recours à des lois de protection
linguistique.
[…] De
plus et surtout, on peut très bien s’élever contre les anglicismes pour des
raisons autres que nationalistes. Ainsi, les LA accuseraient-ils de « lecture
nationaliste » des salariés qui lutteraient contre le jargon anglomane
employé par l’encadrement, comme cela arrive parfois ?
[…] Il
est d’ailleurs déroutant de voir ces derniers [= les LA] dénoncer la
complication de l’orthographe française comme un outil de domination des
sachants sur les non-sachants, et ne trouver aucune objection à l’anglomanie
des élites, comme si cette dernière n'était pas élitiste aussi…
[…] je
trouve paradoxal que les LA présentent comme un risque tendanciel la
disparition du français au profit de l’anglais, alors que leur thèse consiste
précisément à affirmer que l’anglais ne menace pas le français... ils
reformulent comme une hypothèse recevable la proposition qu’ils présentent
quelques pages avant comme une idée reçue à combattre à tout crin…
[…]
Le
chapitre s'abstient […] de toute dénonciation quant au fait que l'anglais
évince progressivement les autres langues nationales, notamment dans
l'enseignement supérieur et la recherche ou encore la vie des grandes
entreprises. Dans les écoles de commerce, et petit à petit dans les écoles
d'ingénieur, le cours en anglais est devenu la règle, et on peut difficilement
éviter l’emploi du terme d’invasion… aucun mot, pourtant, pour dénoncer le
risque de perte de domaine du français.
Pour lire le texte complet de Vincent Doumayrou,
cliquer ici.
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