Que peut-il bien y avoir de commun entre le GDT et la CLASSE ?
Les événements du « printemps érable » nous ont fait connaître le fonctionnement particulier d’une association étudiante, la CLASSE :
La structure disparate [de la CLASSE] va jusqu'à comprendre des « gardiens et des gardiennes du Senti », des gardiens du bon climat lors des congrès et assemblées. Ces gardiens du Senti, dont le rôle ne figure toutefois pas dans les Statuts et règlements de la CLASSE, ont la tâche de « rapporter les malaises, tensions et sentiments généraux de la salle pouvant nuire au débat », peut-on lire dans leur dernier bilan du congrès des 6 et 7 avril derniers. Si certains monopolisent trop le micro, se répètent ou intentent des procès d'intention, ils peuvent être rappelés à l'ordre.
Lisa-Marie Gerbais, « Pas de rencontre sans la CLASSE », Le Devoir, 20 avril 2012
Je ne m’attendais pas à découvrir que le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française faisait lui aussi une place au senti et à l’impressionnisme dans ses travaux. Voici la note de la fiche peinturer (fiche de 2003) :
[…] En langue technique, cependant, dans les années 80 [de quel siècle, les années 1880 ou les années 1980 ?], le verbe peinturer était encore employé, en Europe, pour désigner la présente notion. On ne le retrouve plus que très sporadiquement dans les ouvrages et les textes spécialisés, où il semble dorénavant avoir presque totalement cédé la place au terme peindre. Pourtant, le terme technique peinturage est encore en usage au sens d'« action de peindre ». Au Canada, notamment au Québec, autant chez les spécialistes que dans la langue courante, le verbe peinturer reste encore aujourd'hui d'emploi généralisé pour désigner la notion traitée ici, qui est très proche de la notion d'origine. Le terme peinturer est neutre, alors que peindre est senti comme appartenant à un niveau de langue plus soutenu. En outre, ces deux verbes n'ont pas la même distribution linguistique au Québec : on peint ou on peinture un mur, un immeuble, mais on peint une toile, un tableau. En effet, l'emploi de peinturer en parlant d'une toile ou d'un tableau est, au Québec, plutôt perçu comme une tournure de langue familière, voire enfantine.
J’ai été initié à la lexicologie par mon maître Albert Maniet. Ce dernier donnait le cours de lexicologie latine et il n’était pas question de se laisser guider par sa subjectivité, façon de faire déjà discutable en soi mais qui aurait été encore plus néfaste dans le cas d’une langue morte. Il fallait plutôt étudier les unités lexicales dans leurs contextes et comparer ces emplois pour déterminer les sens et les valeurs. La lexicologie s’occupe des usages réels des unités lexicales, des fonctions qu’elles remplissent, des relations qu’elles entretiennent dans un champ sémantique. Je suis donc de l’école qui croit que la lexicologie (et, à plus forte raison, la terminologie) doit se baser sur des enquêtes linguistiques et sur des corpus plutôt que sur des appréciations subjectives.
C’est le contexte qui doit déterminer le marquage d’un mot comme familier ou soutenu, non le senti.
Il est facile d’affirmer que le verbe peindre est « senti comme appartenant à un niveau de langue plus soutenu ». Mais quand on prend la peine d’étudier le mot dans des contextes réels d’utilisation plutôt que de se fier à ses impressions, on voit bien que peindre est un terme neutre, standard, comme l’attestent de nombreux exemples cités dans le Trésor de la langue française au Québec :
Le défilé des fermes reprit; nombreux et riche, aux bâtiments peints de couleur claires, si différents de ceux en bois nu ou simplement badigeonné du pays de Québec où le bois coûte si peu qu'il vaut mieux renouveler que peindre.
Ringuet, Trente arpents (1938)
Réparer le stucco fendu avant de peindre [titre].
Mécanique populaire, vol. 10 (1960), p. 171
Comme j'ai découvert que j'ai des mites, j'aimerais savoir quoi employer pour peindre ces placards.
André Daveluy, Monsieur bricole, 1968 (nombreux exemples dans ce livre)
Vincent s'affaire à peindre la cuisine tandis que la nouvelle locataire récure à fond la salle de bain.
Marcelyne Claudais, J’espère au moins qu’y va faire beau, 1985
Pour 600 $, incluant les matériaux, il offrit de sabler, d'apprêter et de peindre l'intérieur et l'extérieur des armoires refaites.
Le Journal de Québec, 13 mars 1993, p. 46
Pour enlever de la colle dure sur une surface, « plastrer » avant de peindre, obturer une lézarde, décoller une tuile.
Le Soleil, 10 septembre 1994, p. F2
Quand il signifie « appliquer de la peinture sur une surface, sur un objet », peindre est en concurrence avec peinturer dans l’usage québécois et il n’y a pas de différence de valeur entre les deux verbes :
Vers le milieu de mai, on s'apprêta à déménager au fournil. Pendant que les Beauchemin en peinturaient l'intérieur, Beau-Blanc arriva.
Germaine Guèvremont, Le Survenant, 1945, p.187
En revanche, la différence de valeur apparaît lorsque l’on utilise peinturer à la place de peindre, comme dans peinturer une toile, ou par analogie pour signifier « se maquiller avec excès » :
Voilà ce que c'est que de rester se toiletter et se peinturer la frimousse.
Marie Le Franc, Le fils de la forêt, 1952
Plutôt que d’écrire que « l'emploi de peinturer en parlant d'une toile ou d'un tableau est, au Québec, plutôt perçu comme une tournure de langue familière, voire enfantine », il fallait se limiter à indiquer que, familièrement, peinturer signifie « faire de la mauvaise peinture, peindre maladroitement ». C’est ce qu’on trouve dans le Trésor de la langue française informatisé et dans le Franqus qui tous deux font précéder ce sens de la marque « fam. » (familier).
L’impressionnisme a sa place dans l’histoire de la peinture, pas en terminologie.
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