Comme
dans le cas de ma première lettre concernant la politique de l’Office québécois
de la langue française (OQLF) sur les emprunts linguistiques, j’ai reçu un
accusé de réception du bureau du premier ministre à ma seconde
(deuxième ?) lettre. Le cabinet du premier ministre me dit transmettre mes
questions à la ministre responsable qui a dû les retransmettre au Secrétariat à
la politique linguistique qui a dû, à son tour, les envoyer à l’OQLF. Toujours
est-il que j’ai reçu une réponse non pas cette fois-ci de la secrétaire
générale de l’Office mais du président lui-même.
Voici
les deux demandes que je formulais avec la réponse reçue et les commentaires qu’elle
appelle.
1. Me transmettre la liste des
événements où la Politique de l’emprunt
linguistique a été présentée, lue et approuvée par les participants.
Dans
sa lettre du 12 juin, la secrétaire générale de l’OQLF affirmait en effet
que la politique de l’OQLF sur les anglicismes avait reçu un accueil
favorable lors d’« événements regroupant des spécialistes provenant […]
autant du Québec que de l’étranger ».
Dans
la lettre du président de l’Office, il s’avère que ces événements sont au
nombre de… deux : « La politique a d’abord fait l’objet d’une
présentation dans le cadre du réseau des Organismes francophones de politique
et d’aménagement linguistique. » Ce que je savais déjà : deux
représentants de l’Office l’ont présentée le mardi 18 octobre 2016 lors d’une
séance qui a duré de 16 h 30 à 17 h 30 et qui comprenait
deux présentations, celle de l’Office et celle d'Étienne Quillot, chargé de mission à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Selon les pratiques habituelles
dans les colloques, la présentation d’une vingtaine de minutes a dû être suivie
d’une période de questions d’une dizaine de minutes. Le texte publié ne parle que d’« un projet de politique en cours »[1].
Et maintenant que les actes du colloque ont été publiés, on sait qu’aucune
question n’a été posée sur la politique de l’Office, toutes les questions ayant
porté sur la communication d’Étienne Quillot même s’il y a eu deux
interventions de représentantes de l’Office mais ne portant pas directement sur
la politique des emprunts (cf. pp. 316-319 des actes).
Je
veux bien croire que l’accueil a pu être favorable, après tout on a l’habitude
d’être poli dans ces réunions d’organismes officiels, mais à la lecture du
compte rendu des discussions il est loin qu’on puisse en déduire que la
politique a été approuvée par les participants. Il n’y a même pas eu une seule
question portant sur cette politique.
La
seconde présentation est plus récente, mai 2018 : « la politique a
fait l’objet d’une évaluation et d’une présentation par Mme Aline
Francoeur, professeure agrégée au département de langues, linguistique et
traduction de l’Université Laval lors d’un colloque intitulé ‘A-t-on encore
peur des anglicismes ?’, qui s’est tenu à l’Université de Sherbrooke les
24 et 25 mai 2018. Dans sa présentation intitulée La nouvelle politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois
de la langue française au banc d’essai[2],
Mme Francoeur a démontré devant plusieurs experts de la linguistique à l’échelle
internationale que, contrairement à ce que d’aucuns avaient déclaré dans la
presse écrite à l’automne 2017, la politique n’ouvrait pas toute grande la
porte aux anglicismes. Pour arriver à cette conclusion, elle a effectué une
analyse détaillée de fiches du Grand
dictionnaire terminologique comportant au moins un emprunt et ayant été
modifiées en vertu des nouveaux critères de traitement. »
On
constatera que le président ne dit pas si la politique de l’Office a été
présentée, lue et approuvée par les participants à ce colloque, ce qui était
pourtant l’objet de ma demande.
Je
conclus pour ma part que les appuis à la nouvelle politique de l’OQLF sur les
emprunts linguistiques paraissent bien peu nombreux.
Je
rappelle que mes critiques de cette politique ne portent par uniquement sur l’ouverture
qui serait maintenant plus grande envers les anglicismes. La veille du colloque
de mai 2018, je l’avais d’ailleurs mentionné dans un courriel que j’avais
envoyé à plusieurs participants et dont voici l’essentiel :
Madame, Monsieur,
Le colloque « A-t-on encore peur des
anglicismes ? » consacrera demain une séance à l’étude de la nouvelle
politique sur les emprunts linguistiques de l’Office québécois de la langue
française. J’espère qu’on n’écartera pas du revers de la main les critiques
lues ou entendues sur le sujet en les traitant tout simplement de puristes. Car
l’énoncé de politique soulève des problèmes théoriques :
• Comment peut-on affirmer que l’expression hockey sur étang (< pond hockey) ne s’intègre pas au système
linguistique du français ?
• Comment peut-on définir la langue standard comme
un simple « ensemble de faits linguistiques » ?
• Peut-on vraiment définir la norme
sociolinguistique (au singulier) comme « la norme qui, dans une langue
donnée, fait la promotion d’un ensemble d’usages considérés comme légitimes et
qui sont valorisés, au détriment d’autres usages » ?
Passons
maintenant à ma seconde demande :
2. Me
transmettre la liste des professeurs d’université et des linguistes qui sont
d’accord avec l’Office pour dire que selfie et hockey sur étang sont des termes non intégrables dans le
système linguistique du français.
Évidemment,
le président de l’Office ne me donne le nom d’aucun linguiste, québécois ou
étranger, prêt à affirmer que le mot selfie
ne s’intègre pas au système linguistique du français. Aucun linguiste
normalement constitué n’oserait effectivement faire pareille affirmation.
Rappelons au sujet de l’intégration des emprunts l’opinion de la sociolinguiste
Shana Poplack (Université d’Ottawa) dans Le Devoir du 30 avril 2018 :
… presque
chaque fois, l’emprunt est francisé immédiatement sur le plan grammatical et
syntaxique. On dira : « J’ai “dealé”», « Une grosse
beach », « Payer les bills » (sans prononciation du s). Ce
processus se fait spontanément chez tous les locuteurs, peu importe leur niveau
d’instruction.
Le
président de l’OQLF se contente donc de dire : « nous prenons bonne
note de votre question au sujet de la non-intégrabilité des termes selfie et hockey sur étang. […] Il se peut qu’un emprunt soit tout à fait
intégrable d’un point de vue orthographique ou morphologique sans pour autant
être acceptable.» Il poursuit : « À la suite de votre questionnement,
nous allons néanmoins réviser les fiches terminologiques en question et
envisager de bonifier les notes qui accompagnent les emprunts qui y sont
présentés, afin d’apporter des précisions. »
Conclusion :
deux questions, deux réponses évasives.
[1]
Les anglicismes : des emprunts à
intérêt variable ? Recueil des actes, OQLF, 2017, p. 280. La
présentation de la politique de l’OQLF fait 20 pages à la typographie bien
tassée. Elle a donc dû être fortement résumée pour tenir dans une vingtaine de
minutes.
[2]
Notez cet usage curieux de l’italique pour citer le titre d’une communication.
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