mardi 31 juillet 2018

Comme l’œuf de Colomb


En rédigeant mes commentaires sur la dernière lettre que j’ai reçue de l’Office québécois de la langue française (OQLF) pour défendre sa nouvelle politique de l’emprunt linguistique, j’ai découvert que les actes du colloque Les anglicismes : des emprunts à intérêt variable ? avaient été publiés. Je me suis donc précipité pour lire la contribution des deux représentants de l’Office. Selon leurs dires, ils ont présenté « un projet de politique en cours ». Le plus intéressant, c’est qu’ils n’ont pas caché que ce projet constituait un revirement complet de la position de l’Office par rapport aux emprunts et en particulier aux emprunts à l’anglais.


En 1965, dans la Norme du français parlé et écrit au Québec, l’Office (pas encore québécois) de la langue française affirmait : « les seuls anglicismes qui se justifient sont ceux qui comblent des lacunes de notre vocabulaire. […] Le recours à l’emprunt lexical […] pour satisfaire un besoin réel est légitime. Il doit être pratiqué avec modération et en tenant compte du fait qu’il est parfois possible de trouver des équivalents français. Un critère facile à appliquer est celui du double emploi. Un emprunt est sûrement inutile quand il double un mot déjà existant, qu’il risque de supplanter dans l’usage et ainsi de faire oublier. »


Les représentants de l’OQLF au colloque de 2016 commentent : « C’est effectivement sur ce critère que le traitement de l’emprunt repose dans l’Énoncé d’un politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères, paru en 1980 (et réédité en 1990), ainsi que dans la Politique de l’emprunt linguistique, adoptée en 2007[…] Jusqu’à maintenant la coexistence entre un emprunt et un terme français a été à l’Office un critère de rejet presque systématique de l’unité empruntée. » Mais, poursuivent les auteurs, « les locuteurs et les locutrices n’ont plus aujourd’hui le même rapport à la langue » (p. 279)[1]. « […] la coexistence d’un terme français avec un emprunt à l’anglais n’est plus, dorénavant, un critère de rejet absolu de ce dernier » (p. 280). La raison à la base de cette orientation est donnée à la page précédente : « puisque les travaux d’aménagement linguistique effectués à l’Office ont pour objectif ultime de voir s’implanter les termes qu’il propose, la stratégie terminolinguistique la plus sensée en matière de traitement de l’emprunt est certainement de s’adapter à la réalité sociolinguistique actuelle ». Comme l’œuf de Colomb, il suffisait d’y penser : enregistrons l’usage, nous pourrons dire que les termes sont de plus en plus implantés et que le travail de l’Office est de plus en plus efficace. En anglais, on dit tout cela beaucoup plus simplement : if you can’t beat them, join them.


Le critère du double emploi (entre anglicisme et mot français) éliminé, « l’Office accorde désormais une plus grande importance aux critères d’analyse que sont la légitimité sociolinguistique des emprunts et l’intégrabilité de ceux-ci au système du français » (p. 280). J’ai battu en brèche ces deux prétendus critères dans des billets précédents, je me contenterai donc de remarques sommaires.


La légitimité sociolinguistique des emprunts. Comment la déterminer ? Fera-t-on un sondage sur chaque anglicisme que les rédacteurs du GDT voudront intégrer à la nomenclature ? On peut raisonnablement penser que l’on continuera la pratique actuelle, on jugera au pif selon l’humeur du terminologue ou bien, pour déterminer cette légitimité, on tiendra compte du traitement que réservent à l’anglicisme d’autres ouvrages lexicographiques. Cette dernière solution n’est qu’un cercle vicieux comme l’a très bien vu Nadine Vincent (Université de Sherbrooke) :

[…] la nouvelle politique de l’emprunt de l’OQLF étonne. Elle prétend qu’elle opte maintenant pour une « stratégie d’intervention réaliste », qu’elle va tenir compte de la « légitimité » des usages et de leur traitement dans des « ouvrages normatifs ». Or, sur qui se basent les ouvrages normatifs pour accepter ou critiquer un emploi : bien souvent sur l’OQLF ! (Le Devoir, 29 septembre 2017).

L’intégrabilité au système du français. Un critère qui ne tient pas la route. À qui peut-on faire croire que hockey sur étang et selfie, mot utilisé tous les jours par des millions de francophones, ne sont pas intégrables au système linguistique du français? C’est pourtant ce qu’affirme l’Office dans sa Politique de l’emprunt linguistique. Encore une fois, je citerai la sociolinguiste Shana Poplack (Université d’Ottawa):

… presque chaque fois, l’emprunt est francisé immédiatement sur le plan grammatical et syntaxique. On dira : « J’ai “dealé”», « Une grosse beach », « Payer les bills » (sans prononciation du s). Ce processus se fait spontanément chez tous les locuteurs, peu importe leur niveau d’instruction (Le Devoir, 30 avril 2018).




[1] Les citations sont tirées de : Les anglicismes : des emprunts à intérêt variable ? Recueil des actes, OQLF, 2017.

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