lundi 24 février 2020

Regietheater

Version texane de L'Or du Rhin, festival de Bayreuth 2013
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Quelques notes de lecture sur le Regietheater, littéralement théâtre de metteur en scène. Aux États-Unis, on va jusqu’à traduire par Euro trash mais certains Allemands vont plus loin en parlant carrément de Scheißregietheater. Il y a deux jours Le Soleil nous apprenait que la star du Regietheater Dmitri Tcherniakov retournait au Bolchoï. Ce qui m'a donné l'idée de publier ces notes sur un terme difficile à traduire (le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française ne s'y est d'ailleurs pas risqué).

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Lohengrin de Wagner, Bayreuth 2010

Ce qu'on appelle le Regietheater (traduction libre: « relecture théâtrale ») a engendré son propre conformisme, beaucoup plus pernicieux que le conservatisme: la volonté gratuite de choquer. Cela a déplacé nombre d'ouvrages dans des asiles psychiatriques ou suscité des scènes de viol sous la douche dans L'Enlèvement au sérail de Mozart. À Paris, on a vu des Noces de Figaro dans un bureau des mariages d'une bureaucratie est-européenne des années 50. Les récitatifs étant accompagnés au synthétiseur ou à l'accordéon! Honte.


‑ Christophe Huss, « Un Mozart tout autre », Le Devoir, 30 octobre 2010

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Rossini si sarebbe stupito ma forse anche divertito. Che il suo Mosè, quasi 200 anni dopo il debutto al San Carlo di Napoli, suscitasse tanto scandalo e polemica, certo non se lo sarebbe immaginato.
[…]
E così Mosè ha preso le sembianze di un Bin Laden che alza il mitra al cielo, invoca Dio per maledire, spinge alla guerra santa. E così Dio gli risponde, aizzando contro i nemici Egizi kamikaze pronti a farsi esplodere e sterminando con il gas i primogeniti.

‑ Giuseppina Manin, «Applausi e tensioni per il Mosè-Bin Laden. E arriva la polizia », Corriere della sera, 12 août 2011


Moïse en Égypte, Festival Rossini de Pesaro 2011
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Platée de Rameau à l'Opéra Comique en 2014


Deux scènes parisiennes, le Palais Garnier et la salle Favart, ou Opéra-Comique, affichaient au début du mois [d’avril 2014] des opéras de Rossini et de Rameau dans ce qu’on appelle des actualisations, ou relectures scéniques. Avec Platée de Rameau, transposé dans l’univers de la mode, le metteur en scène canadien Robert Carsen crée un spectacle renversant.

Le terme technique désignant, dans le milieu de l’art lyrique, les mises en scène s’écartant des didascalies des compositeurs pour jeter un regard neuf sur des ouvrages ancrés dans d’autres époques est emprunté à la langue de Goethe : on parle de Regietheater. Sous l’égide du Regietheater, on a vu Lohengrin de Wagner dans une salle de classe, L’or du Rhin dans un lieu thermal, Les Troyens de Berlioz dans un vaisseau spatial, des curés fouettant des nonnes (peut-être l’inverse, je ne sais plus) dans La chauve-souris de Johann Strauss ou Iphigénie en Tauride de Gluck dans un hôpital psychiatrique.

Très souvent, notamment en Allemagne dans les années 2000, la provocation scénique fut un palliatif à une inculture musicale des metteurs en scène.



‑ Christophe Huss, « Robert Carsen à l’âge d’or de la relecture scénique », Le Devoir, 12 avril 2014



Platée de Rameau à Nuremberg en 2013

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Eugène Onéguine à l'Opéra de Bavière en 2007

La différence dans la manière de voir l’opéra entre l’Europe, aventureuse, et l’Amérique du Nord, plutôt conservatrice, a largement été décrite. Elle est exacerbée, en Europe, par ce qu’on appelle le Regietheater, terme désormais consacré qualifiant les mises en scène conceptuelles, où l’ego du metteur en scène prend souvent le pas sur le talent des compositeurs et librettistes.

‑ Christophe Huss, « De Patrice Chéreau à Patrice Carsen, le Festival d’Aix repense l’opéra », Le Devoir, 20 juillet 2013

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Le DVD de Dialogues des carmélites de Poulenc, dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, enregistré à Munich en 2010 sous la direction de Kent Nagano, devra être retiré des rayons par décision de la Cour d’appel de Paris.
 
La condamnation de la société BelAir Média, éditrice du DVD, à « prendre toute mesure pour que cesse immédiatement et en tous pays la publication dans le commerce ou plus généralement l’édition, y compris sur les réseaux de communication au public en ligne, du vidéogramme litigieux » fait suite à plainte des ayants droit de Georges Bernanos et de Francis Poulenc. Ceux-ci avaient intenté une poursuite arguant d’une trahison du metteur en scène, qui a enlevé toute référence religieuse de son spectacle.
 
Comme le résume bien Christian Merlin dans l’édition de mardi du Figaro, le casus belli semble être que « Tcherniakov a changé la fin de l’opéra, puisque l’on y voit Blanche sauver les carmélites et se sacrifier, la guillotine étant remplacée par des bouteilles de gaz, au lieu de les voir aller vers la mort comme dans l’original ».
 
Les plaignants avaient perdu leur cause en première instance, le tribunal ayant alors considéré qu’il n’y avait pas dénaturation de l’œuvre.
 
Un précédent dangereux
 
La décision de la Cour d’appel de Paris va-t-elle faire jurisprudence ? La question de la liberté de création est posée, assurément, si les périmètres sont délimités juridiquement par la vision artistique d’ayants droit.
 
Christian Merlin rappelle à juste titre que « le Festival de Bayreuth a sombré dans la médiocrité quand Cosima Wagner, la veuve du compositeur, y a interdit toute évolution, du chant comme des mises en scène » et qu’« Yvonne Loriod a voulu faire interdire la mise en scène par Peter Sellars de Saint François d’Assise », somptueuse production, à Salzbourg en 1992, de l’opéra de son mari, Olivier Messiaen.
 
Certes, le spectre des œuvres touchées n’est pas si large. Une grande majorité des œuvres du répertoire lyrique sont dans le domaine public. Lorsque le même Tcherniakov trafique le Don Giovanni de Mozart (à Aix-en-Provence), personne ne peut aller se plaindre. Encore que, selon les pays, il ne faille jurer de rien. En Sibérie, en 2014, la production de Tannhäuser de Wagner par Timofeï Kouliabine a été contestée en cour par l’Église, car accusée d’« offenser les sentiments religieux et l’Église orthodoxe ». Kouliabine fut attaqué pour « profanation publique et intentionnelle de littérature religieuse, théologique et d’objets saints », et le ministre de la Culture limogea sur-le-champ le directeur de l’opéra, qui refusait de s’excuser publiquement.
 
Libre opinion
 
Si un carcan judiciarisé devait geler l’art dans un conservatisme stérilisant, le concept visionnaire de Patrice Chéreau pour le Ring à Bayreuth en 1976 n’aurait jamais vu le jour.
 
Il faut pouvoir proposer des visions d’une œuvre. Pourquoi les spectateurs ne pourraient-ils se faire leurs libres opinions ?
 
Une chose est sûre : avec l’interdiction de diffusion sur DVD, Internet et télévision, le vidéogramme maudit et censuré de Dialogues des Carmélites mis en scène par Tcherniakov et dirigé par Nagano vient de devenir un sacré « collector ».
Christophe Huss, Le Devoir, 21 octobre 2015



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