Mon ancien
collègue, le démographe Michel Paillé, a fait paraître ce matin une tribune
dans Le Devoir dans laquelle il dénonce la façon dont Statistique Canada
traite les données linguistiques du recensement. En voici un extrait :
« 85,5 %
de la population québécoise a déclaré parler français à la maison au moins
régulièrement » et que « [p] rès de 1 personne sur 5 au Québec
(19,2 %) parlait anglais à la maison au moins régulièrement ». Ainsi,
avant même de considérer les Québécois parlant au moins régulièrement une
langue tierce, nous en sommes déjà à 104,7 % ! L’ajout des langues tierces,
soit 15,6 %, porte le total à 120,3 % !
Face à cet
étonnant total nettement au-dessus de 100 %, la question qu’il faut se
poser s’énonce ainsi : d’abord, d’où vient ce 1,7 million de
personnes qui pousse le total au-delà des 8,4 millions dénombrées au
Québec en 2021 ; ensuite, que signifient les résultats obtenus ?
[…]
On chercherait
en vain dans les manuels de statistiques sociales un justificatif de cette
manière de procéder. Rien de mieux qu’un tout petit exemple pour montrer
l’inadmissibilité de ces deux façons de faire. Si parmi 1000 propriétaires
d’une résidence principale on en trouvait 100 possédant aussi une résidence
secondaire, l’addition de ces deux nombres nous ferait passer de 1000 propriétaires
à 1100 propriétés. De plus, si la plupart de ces propriétés étaient faites de
bois ou de briques, nul ne proposerait de compter deux fois celles dont le
revêtement est de bois ET de briques.
À la
défense de StatCan on peut faire valoir que le nombre de locuteurs bilingues
dans une population donnée ne diminue en rien la force numérique de chaque
langue en présence. La connaissance des langues n’est pas un jeu à somme nulle.
Cela est particulièrement vrai du point de vue synchronique, c’est-à-dire
à un instant T de l’histoire.
Mais
le rôle de StatCan est d’aider à évaluer les effets des politiques publiques, ce
que donne une politique linguistique, une démarche qui s’inscrit nécessairement
dans le temps, dans la diachronie. Il y aura nécessairement des pertes
et des profits. Au fil du temps, l’usage de certaines langues diminuera, l’usage
d’autres langues s’accroîtra. C’est alors que la connaissance des langues tend
à devenir un jeu à somme nulle. Les enfants et les petits-enfants d’un couple
bilingue ou trilingue se poseront la question de savoir s’il faut faire l’effort
de maintenir l’usage de deux ou trois langues. Le traitement des données
linguistiques par StatCan ne rend pas compte de la dynamique des langues sur le
marché linguistique.
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