lundi 21 juillet 2025

Gloubi-boulga

Je n’ai pu m’empêcher de laisser un commentaire samedi dernier sur le site Internet du Devoir à la suite de la dernière « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Cette fois la chroniqueuse, sans doute en panne d’inspiration car elle avait abordé le sujet l’été dernier, s’en prend aux difficultés de l’orthographe française. Elle commence par les consonnes étymologiques parasites (comme le g dans doigt) et les consonnes doubles pour, passant du coq à l’âne, décrier les règes d’accord du participe passé. La remarque fort brève que j’ai envoyée à la rédaction du Devoir attirait l’attention sur le fait que la chroniqueuse mêlait deux thèmes : « Il est quand même curieux que notre spécialiste ne fasse pas la distinction élémentaire entre orthographe lexicale (les mots dans le dictionnaire) et orthographe grammaticale (les accords). »

La chroniqueuse a reçu l’appui d’un linguiste dont le commentaire était titré : « Voilà qui devrait confondre de nombreux septiques... » On n’aurait pu rêver meilleur exemple pour appuyer l’orthographe traditionnelle. Ma question « des vrais sceptiques ou des fausses sceptiques ? » n’a pas été publiée…

 


mardi 15 juillet 2025

L’art de tourner en rond sur un pont

 


Le 14 juillet, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a mis en ligne, sur la page d’accueil de son site, le communiqué suivant: 

L’Office québécois de la langue française est fier de dévoiler les particularités du français d’ici qu’il a proposées à l’éditeur du Petit Larousse illustré 2026, et qui viennent enrichir l’ouvrage paru en juin : circulaire (document publicitaire), motard, motarde (motocycliste que l’on associe généralement au milieu criminel), procédurier (document qui présente des procédures) et pont (prothèse dentaire). Enfin, à l’initiative de l’équipe éditoriale du dictionnaire, le mot réduflation (réduction de la quantité d’un produit vendu au même prix) a été ajouté sous l’entrée shrinkflation.

Deux remarques.

Circulaire est non seulement considéré comme une impropriété par le Multidictionnaire et un anglicisme par Lionel Meney (cliquer ici) mais il est condamné dans une fiche du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) du même OQLF : « Au Canada, sous l'influence de l'anglais, on emploie souvent le mot circulaire en ce sens [= document publicitaire]. En français, une circulaire est une lettre reproduite à plusieurs exemplaires et adressée à plusieurs personnes à la fois. »

Une fiche de 2022 est venue contredire la première : « Le terme circulaire est acceptable en français. Les réserves déjà émises sur l'usage de ce terme n'ont plus lieu d'être. Dans son sens premier, le nom circulaire désigne une lettre de nature administrative reproduite à plusieurs exemplaires et envoyée à un grand nombre de personnes à la fois. Par extension de sens [nullement influencée par l’anglais !], il désigne un document publicitaire destiné à un vaste public. Son emploi, qui est attesté sporadiquement au début du XXsiècle, est très fréquent depuis les années 1970-1980. Aujourd'hui, le terme circulaire est bien implanté en français au Québec et est utilisé en contexte neutre, à l'écrit comme à l'oral. »

L’usager, ou plutôt la personne usagère, n’a que l’embarras du choix.

Seconde remarque : pont pour désigner une prothèse dentaire. Non seulement le GDT ne donne même pas bridge comme synonyme, il le déconseille carrément : « Bridge, surtout en usage en Europe francophone, est déconseillé en français au Québec. En effet, bridge est uniquement implanté et légitimé dans le domaine des loisirs. » Contrairement à la banque terminologique Termium du gouvernement fédéral canadien, le GDT ne fait même pas mention du terme normalisé par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) : prothèse partielle fixe.

 

lundi 14 juillet 2025

Martel en tête

 

Une jeune femme acadienne m’a confié être désemparée quant à la langue à transmettre à ses enfants. Elle se sentait tiraillée entre la volonté de leur léguer la langue de ses ancêtres, avec la fierté d’avoir su la conserver malgré l’adversité, et l’envie de plutôt leur parler dans un français plus normé, afin de leur éviter de se faire juger.

Le Devoir, 12 juillet 2025

 

Voilà ce qu’on a pu lire samedi dernier dans une « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. »

C’est vite oublier que les langues changent sans arrêt, sinon elles disparaissent. On ne peut s’attendre à ce que ses enfants et petits-enfants continuent de parler comme leurs ancêtres. Le sociologue américain Joshua Fisman illustre ainsi l’évolution d’une langue : « Pensons au marteau qui appartient à la famille depuis quatre générations : est-il vieux ou neuf ? On en a remplacé la tête trois fois et le manche cinq fois, mais on en parle toujours comme du marteau de l'arrière-grand-père. » À ce sujet, voir mon billet « Le marteau de Fishman » et les exemples que j’y donne.

La chroniqueuse ne peut s’empêcher de faire référence à « la variété de français longtemps vue comme la plus prestigieuse, celle de Paris ». Dans le marché linguistique de l’est du Canada, puis-je lui faire remarquer que la variété de langue qui influence probablement le plus le français parlé en Acadie est celle des médias de Montréal ? Lors de mon dernier séjour à Moncton (j’admets que cela remonte à un certain temps), j’avais été frappé par le fait qu’on entendait peu l’accent acadien à la radio mais surtout l’accent québécois.

 


lundi 7 juillet 2025

Les endogénistes et le syndrome du fax


Cet été encore, Le Devoir nous sert sa « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » L’année dernière, j’avais exprimé des réserves sur ces chroniques (voir mes billets des 5 août 2024, 12 août 2024 et 19 août 2024).

La chronique du week-end dernier portait sur les mots job, fun et week-end. Je me contenterai de citer ce passage où l’autrice critique l’utilisation de l’expression c’est fun par des Québécois au lieu de c’est l’fun, d’usage courant depuis bien longtemps au Québec : « Pourquoi calquer notre usage d’une expression séculaire sur l’usage somme toute assez récent en France ? » (Le Devoir, 5 juillet 2025). On dirait que la chroniqueuse oublie que les locuteurs, même québécois, ne vivent pas en vase clos, ils ont facilement accès à des médias étrangers, ils voyagent et trimbalent des mots avec eux, des étrangers s’établissent chez eux et on parle même du Plateau Mont-Royal à Montréal comme étant le 21e arrondissement de Paris.

Les endogénistes (partisans d’une norme proprement québécoise) sont profondément ringards : voir mon billet « Le purisme pure-laine ou le Grand Bond en arrière ». Le purisme pure-laine cherche à maintenir en vie des mots ou des expressions qui tendent à disparaître en arguant du fait qu’ils étaient anciennement en usage au Québec. Ces puristes ont fréquemment recours à des citations de textes antérieurs au xxe siècle pour justifier leur conservatisme.

On trouve un parallèle de cette attitude dans le mode de communication des pharmaciens avec les médecins : pour le renouvellement des ordonnances ils continuent de recourir au fax, technologie dépassée depuis des lustres partout ailleurs qu’au Québec. J’utilise sciemment l’anglicisme fax car il n’y a plus lieu de se battre pour imposer un terme français pour désigner un appareil qui aurait dû disparaître depuis longtemps.

Certains commentateurs sont victimes du syndrome du fax, ils se refusent à la modernité.