lundi 25 août 2025

La langue de par chez nous


Il y a de cela plusieurs années je me promenais rue Saint-Jean à Québec. Il y avait trois religieuses devant moi et j’entends l’une dire : « chez eux à elle sont venus en fin de semaine ». Peut-être avais-je déjà entendu l’expression mais je ne l’avais jamais remarquée.

Ne cherchez pas d’explication dans Usito, vous ne la trouverez pas. Non plus dans le Dictionnaire historique du français québécois. Il n’y a pas de quoi s’étonner, ce dernier est en cours de publication.

En revanche, Le Glossaire du parler français au Canada (1930) avait noté que « chez nous vont venir » signifiait « mes parents vont venir » :

 


On peut discuter de l’analyse faite par les rédacteurs du Glossaire : il est curieux de définir ce qu’ils considèrent comme une préposition par des syntagmes nominaux.

Je n’ai pas trouvé d’exemples de chez utilisé pour former un syntagme nominal sujet dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec.

Du point de vue étymologique, cet usage dérive du sens « dans la maison de » de la préposition chez. On trouve en français standard des exemples où « le groupe prép[ositionnel] peut être lui-même précédé d'une autre prép[osition] à valeur locale, le concept ‘dans’ étant alors neutralisé et chez signifiant ‘la maison où habite..., séjourne habituellement...’ » (Trésor de la langue française informatisé) :

Alors je songeai, puisque j'avais la clef de chez elle, à aller la voir comme de coutume. A. Dumas Fils, La Dame aux Camélias,1848, p. 146.

Les avenues avant chez la tante c'était plein de marrons. Je pouvais pas m'en ramasser, on n'avait pas une minute... Céline, Mort à crédit,1936, p. 51.

 

vendredi 22 août 2025

Une ancienne formule de politesse québécoise

 

Le 11 août, j’ai publié un billet où je citais les propos d’une chroniqueuse du Devoir sur le vouvoiement : « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. ».

Cela m’a rappelé une forme d’interpellation qui me semble aujourd’hui disparue : l’emploi du pronom possessif à la 3e personne du singulier pour s’adresser à ses parents. Les plus anciennes attestations de cette formule datent de 1916 dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) : « Je sais, son père; je sais bien », « C'est-il vrai, sa mère, demanda-t-elle […] » (Maria Chapdelaine).

On trouve des dizaines d’exemples de cette forme d’adresse dans Trente arpents de Ringuet (p.ex., « [é]coutez, son père, ça fait betôt trois mois que vous êtes cheu nous »). On la trouve aussi chez Gabrielle Roy, Germaine Guèvremont, Jacques Ferron, etc. L’exemple le plus récent semble être de Janette Bertrand : « Arrive au XXIe siècle, sa mère ! » (Le bien des miens, 2007).

Dans les exemples du TLFQ, l’interpellation des parents au moyen du pronom de 3e personne du singulier s’accompagne (presque) toujours du vouvoiement. Mais la formule peut aussi s’utiliser entre conjoints et s’accompagner alors du tutoiement, comme dans cet exemple tiré de Bonheur d’occasion :

Elle [Rose-Anna] pencha la tête et hasarda timidement:
- Son père, as-tu pensé à la dépense?
- Oui, sa mère, c'est tout arrangé. Le truck me coûte rien.
- Lachance te le laisse?
La physionomie d'Azarius se rembrunit.

Cet usage n’a pas été enregistré dans le Trésor de la langue française (TLFi) de Nancy (TLFi), où on ne trouve s.v. son que :

A. − [Dans l'interpellation]

1. [Précédant les titres honorifiques de certains personnages importants, pour s'adresser à eux avec révérence ou parler d'eux à la 3epers. du sing.; s'écrit dans ce cas avec une majuscule] Sa (Gracieuse) Majesté la Reine de […]

2. [Précédé de monsieur, madame, et suivi de père, mère, tante..., pour s'adresser à une pers. à la 3epers. du sing. ou parler d'elle par déférence] Monsieur son père, Madame sa mère. […].

Cet usage a complétement échappé à l’attention des rédacteurs d’Usito (pourtant censé décrire le français standard en usage bla bla bla). À l’entrée son, adjectif possessif, Usito s’est contenté d’une variation sur la définition du TLFi :

(devant un titre honorifique) (avec une majusc.) Sert à désigner à la 3e personne un personnage de haut rang.

Aucune référence à l’usage québécois pourtant attesté des dizaines de fois dans le fichier lexical du TLFQ. Et qui avait été enregistré dans le Glossaire du parler français au Canada (1930):



dimanche 17 août 2025

Une ode qui fait désordre


La dernière « « bien-aimée rubrique Point de langue » du quotidien Le Devoir, « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique », est une « ode à la variation linguistique » et mériterait plus que les quelques critiques que je vais ici formuler. Car je ne veux pas être victime de la loi dite de Brandolini, selon laquelle la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire, selon la définition de Wilipedia.

Première affirmation contestable : « la seule communauté francophone à avoir produit son propre dictionnaire général complet est le Québec, et encore, il a fallu attendre 2013, avec Usito (il y a eu d’autres ouvrages québécois au cours de la riche histoire lexicographique du Québec, mais il s’agissait plutôt d’ouvrages correctifs ou se concentrant sur les particularismes). »

Réfutation : Claude Poirier et Lionel Meney ont déjà montré que l’architecture des articles du dictionnaire Usito reprend souvent celle du Trésor de la langue française (TLF), dictionnaire en 16 volumes (plus supplément) produit à Nancy et depuis plusieurs années disponible gratuitement en ligne. Lionel Meney va même plus loin lorsqu’il affirme : « Usito, prétendument « dictionnaire général et complet » du français québécois, a en réalité repris massivement les termes, les sens et les définitions du dictionnaire du Centre national de la recherche scientifique de France le Trésor de la langue française en 16 volumes. » Pour plus de détails, cliquer ici.

Seconde affirmation : « lors de la Révolution française, la diversité des dialectes est perçue comme un frein à l’idéal d’unité et d’égalité […] La diabolisation des dialectes n’a eu d’autres conséquences qu’une perte de richesse linguistique et la honte dont on garde le souvenir jusqu’à aujourd’hui, comme en témoigne ce message qui aurait été affiché dans les classes de Bretagne : « Il est interdit de parler breton et de cracher par terre ».

Réfutation : à l’époque de la Révolution française, on ne parlait pas de dialectes mais de patois. Et, cerise sur le gâteau, la chroniqueuse considère que le breton est un dialecte. Pour tout linguiste un peu sérieux, le breton est une langue à part entière. Et dans la France contemporaine on le considère comme une langue régionale au même titre que le basque, l’alsacien et nombre de langues des territoires d’Outre-mer.

 

 

 

lundi 11 août 2025

Garde à vous!


Une fois de plus je ne peux m’empêcher de commenter la « bien-aimée rubrique Point de langue » du Devoir, « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Celle de samedi dernier n’était pas piquée des hannetons. Elle portait sur le vouvoiement à la suite de la décision du ministre de l’Éducation Bernard Drainville de rendre obligatoire le vouvoiement dans les écoles.

La bien-aimée chroniqueuse s’interroge sur la fréquence du tutoiement au Québec qu’on ne peut expliquer, précise-t-elle, par une influence de l’anglais. Elle propose une explication sociologique qu’elle emprunte à Sapir :

Dans un entretien que le linguiste et anthropologue américain Edward Sapir accorde à Philippe Barbaud dans le cadre de sa chronique de langue « Parler d’ici », en 1984, ce dernier faisait ce rapprochement avec l’anglais. Sapir répond que « c’est loin d’être évident » et propose l’explication suivante : « Je crois plutôt que votre société, pour des raisons historiques évidentes, est nettement plus égalitaire qu’ailleurs. Vos origines rurales ont nivelé les différences hiérarchiques engendrées par les classes sociales du Vieux Continent. Dès lors, que devient l’utilité du “vous” dans l’échange linguistique entre interlocuteurs qui se perçoivent comme égaux, culturellement parlant ? Le vouvoiement s’avère en fin de compte peu représentatif d’une société qui se perçoit plus égalitaire. »

Philippe Barbaud, aujourd’hui à la retraite, a été professeur de linguistique à l’UQAM. Dans un commentaire laissé sur le site web du Devoir, il répond du tac au tac : « J'aurais bien aimé avoir une conversation avec l'ethnolinguiste réputé Edward Sapir... Mais quand il est mort en 1939, je n'étais pas encore né ! »

Donc, selon la chroniqueuse, le vouvoiement est une manifestation d’une société plus égalitaire. Pourtant, elle rappelle « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. » À cela j’ajoute que j’ai eu tout un choc quand, lors ma première classe au cours classique, le titulaire m’a appelé Monsieur et il n’était évidemment pas question que les élèves le tutoyassent. À cette époque (et bien avant d’ailleurs), à l’école primaire, au secondaire, à l’Université, on vouvoyait les enseignants. C’était pourtant après la déclaration de Sapir (mort en 1939 !) sur notre société plus égalitaire qui favorise le recours au tutoiement.

Un autre commentateur a publié sur le site web la remarque suivante : « Quel salmigondis qui tourne en rond sans grande utilité, pour finir en queue de poisson ! Que n'écrirait-on pas pour mettre en doute une décision ministérielle pourtant bien raisonnable ? »

Vous pourrez lire les autres commentaires, au fond plus instructifs que la chronique elle-même, en cliquant ici.