vendredi 22 août 2025

Une ancienne formule de politesse québécoise

 

Le 11 août, j’ai publié un billet où je citais les propos d’une chroniqueuse du Devoir sur le vouvoiement : « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. ».

Cela m’a rappelé une forme d’interpellation qui me semble aujourd’hui disparue : l’emploi du pronom possessif à la 3e personne du singulier pour s’adresser à ses parents. Les plus anciennes attestations de cette formule datent de 1916 dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) : « Je sais, son père; je sais bien », « C'est-il vrai, sa mère, demanda-t-elle […] » (Maria Chapdelaine).

On trouve des dizaines d’exemples de cette forme d’adresse dans Trente arpents de Ringuet (p.ex., « [é]coutez, son père, ça fait betôt trois mois que vous êtes cheu nous »). On la trouve aussi chez Gabrielle Roy, Germaine Guèvremont, Jacques Ferron, etc. L’exemple le plus récent semble être de Janette Bertrand : « Arrive au XXIe siècle, sa mère ! » (Le bien des miens, 2007).

Dans les exemples du TLFQ, l’interpellation des parents au moyen du pronom de 3e personne du singulier s’accompagne (presque) toujours du vouvoiement. Mais la formule peut aussi s’utiliser entre conjoints et s’accompagner alors du tutoiement, comme dans cet exemple tiré de Bonheur d’occasion :

Elle [Rose-Anna] pencha la tête et hasarda timidement:
- Son père, as-tu pensé à la dépense?
- Oui, sa mère, c'est tout arrangé. Le truck me coûte rien.
- Lachance te le laisse?
La physionomie d'Azarius se rembrunit.

Cet usage n’a pas été enregistré dans le Trésor de la langue française (TLFi) de Nancy (TLFi), où on ne trouve s.v. son que :

A. − [Dans l'interpellation]

1. [Précédant les titres honorifiques de certains personnages importants, pour s'adresser à eux avec révérence ou parler d'eux à la 3epers. du sing.; s'écrit dans ce cas avec une majuscule] Sa (Gracieuse) Majesté la Reine de […]

2. [Précédé de monsieur, madame, et suivi de père, mère, tante..., pour s'adresser à une pers. à la 3epers. du sing. ou parler d'elle par déférence] Monsieur son père, Madame sa mère. […].

Cet usage a complétement échappé à l’attention des rédacteurs d’Usito (pourtant censé décrire le français standard en usage bla bla bla). À l’entrée son, adjectif possessif, Usito s’est contenté d’une variation sur la définition du TLFi :

(devant un titre honorifique) (avec une majusc.) Sert à désigner à la 3e personne un personnage de haut rang.

Aucune référence à l’usage québécois pourtant attesté des dizaines de fois dans le fichier lexical du TLFQ. Et qui avait été enregistré dans le Glossaire du parler français au Canada (1930):



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