mardi 8 décembre 2015

Un match dans un(e) aréna


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’aime pas tellement le mot match. Tout au plus l’admet-il « dans certains contextes » dans deux fiches, l’une rédigée en 2013, l’autre en 2014.


Les deux fiches, qui privilégient l’emploi de partie plutôt que de match, ont la particularité de ne pas présenter exactement la même définition :

Compétition sportive entre deux joueurs ou deux équipes de deux joueurs, constituée d'un nombre déterminé de manches à remporter (2013).

Compétition, le plus souvent de nature sportive, qui se déroule selon des règles précises, habituellement entre deux concurrents ou deux équipes, et qui est mesurée par un nombre de coups à jouer, de points à obtenir pour l'emporter (2014).


Pourquoi n’avoir pas fait une seule fiche en uniformisant la définition ?


La fiche de 2013 contient une note bizarre : « Une partie est divisée en manches, en jeux et en points. » Une partie divisée en points ? Étonnant, n’est-ce pas ?

Mais plus étonnante encore est la remarque suivante : « L'emprunt à l'anglais match est attesté dans les sports depuis le XIXe siècle. » Soyons plus précis que le GDT qui aime bien laisser des zones d’ombre quand cela fait son affaire : depuis 1819 selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi). Soit depuis près de deux siècles.

Les utilisateurs du GDT savent que la cohérence est loin d’être la qualité principale de l’ouvrage. Ainsi le GDT admet-il le mot score entré plus tardivement en français (1896). Il admet aussi aréna au prétexte qu’il est « un emprunt ancien à l’anglais ». Pourtant le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) date de 1898 son apparition. Et il est particulièrement intéressant de relire les premières attestations de ce mot :

L'Arena, une construction spécialement consacrée aux joueurs de hockey, est l'un des plus beaux édifices du genre (La Presse, 1898).

Quinze cents personnes se sont rendues à l'Arena, samedi, ce qui semble indiquer clairement que la vogue du jeu de hockey est plus que jamais croissante (La Patrie, 1900).

Les clubs Victoria et Mc Gill sont sortis victorieux des deux parties de la ligue intermédiaire jouées hier après-midi, à l'Arena (Les Débats, 1903).

[...] le leader du mouvement nationaliste dans le Québec, M. Henri Bourassa [...] avait loué l'«Arena» pour y faire une manifestation en l'honneur du Sacré-Cœur [...] (Le Devoir, 1910).


Première constatation : dans ses plus anciennes attestations, le mot est écrit sans accent aigu, avec une majuscule et, dans un cas, avec des guillemets. Preuve de son origine anglaise (ou peut-être à l’époque lui prête-t-on une origine latine).


Seconde constatation : le mot n’est pas accompagné d’un complément déterminatif (ce n’est pas l’aréna Maurice-Richard ou l’aréna du centre-ville), on le considère comme un nom propre, avec une majuscule. Tout comme plus tard le Forum (à Montréal) et le Colisée (à Québec).


Bref, l’utilisation d’aréna comme nom commun générique pour désigner des patinoires couvertes est plus récente, de 1913 au plus tôt à en juger par la documentation du TLFQ.


Aréna, vieux d’à peine un siècle en français québécois, est accepté par le GDT alors que match, entré en français depuis deux siècles, est considéré avec suspicion. Allez chercher la logique là-dedans.


Le mot aréna, au féminin, commence à s’introduire en français européen pour désigner un stade couvert multifonctionnel. Mais il ne s’agit pas encore d’un nom générique courant. Exactement le même phénomène qu’en français québécois à la fin du xixe siècle.


lundi 7 décembre 2015

La logique du Grand Dictionnaire terminologique


Le gouvernement québécois vient de présenter un projet de loi sur la réforme des commissions scolaires. C’est pour nous l’occasion de reparler de la fiche commission scolaire du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Elle contient toujours cette perle :


Même si la désignation commission est moins bien adaptée à la réalité actuelle, le terme commission scolaire est, au Québec, fortement lexicalisé. En effet, le sens de chacun des termes cède le pas au signifié unique.

Pour certains terminologues de l’Office, apparemment peu portés sur la logique, le terme commission scolaire serait donc composé de deux termes…


J’avais déjà analysé la fiche commission scolaire dans le billet « Faire de la terminologie à Babel » publié le 11 juin 2014. La fiche n’a toujours pas été corrigée.


vendredi 13 novembre 2015

Quand l’anglicisation fait bon ménage avec la novlangue


Ce matin dans Le Devoir, texte  très intéressant du président-fondateur de l’Association pour le soutien et l’usage de la langue française (Asulf), le juge à la retraite Robert Auclair :

À bien y penser, qu’est-ce que l’appellation étrange « clause orphelin » peut bien vouloir dire à un francophone ? La réponse est claire : rien ! Pour le savoir, mieux vaut pour lui s’informer de l’appellation employée par les anglophones dans ce cas. Il apprendra qu’ils parlent d’une orphan clause. S’il consulte ensuite un dictionnaire anglais, il va découvrir que le mot « orphan », au figuré, se dit d’une personne ou d’une chose privée d’un avantage ou d’une protection, contrairement au mot français « orphelin », qui n’a nullement ce sens. Voilà la source de l’anglicisme.

La clause en question dans une convention collective prévoit habituellement un salaire différent en fonction de la date d’embauchage d’un salarié. Ainsi, un nouveau salarié touche un salaire inférieur à celui qui est établi pour un emploi donné. Il en résulte une différence de traitement entre salariés pour un même emploi, soit une disparité. Quoi de plus normal alors que de parler d’une « clause de disparité de traitement » ?

Dans le contexte des négociations pour le renouvellement des conventions collectives, on comprend pourquoi le gouvernement ne veut pas appeler un chat un chat et qu’il préfère utiliser la langue de bois, ou la novlangue façon Orwell, pour occulter une mesure discriminatoire à l’égard des jeunes.


jeudi 12 novembre 2015

Peut encore s’améliorer !


Dans mon billet du 1er mai 2014, « Plus fort que Malherbe et Vaugelas ! », je critiquais une formule utilisée par l’équipe d’Usito pour faire la réclame de son dictionnaire :

Usito est bonifié continuellement par l'usage ainsi que par les commentaires et requêtes de ses utilisateurs.
Infolettre Usito, avril 2014

J’ajoutais : Malherbe et Vaugelas, qui ont cherché à définir le bon usage, n’auraient jamais pu concevoir un dictionnaire « bonifié continuellement par l’usage ». Tant il est vrai qu’on n’arrête pas le progrès. J’imagine que les auteurs de la phrase que je cite, s’ils avaient su écrire, l’auraient formulée à peu près comme suit : notre dictionnaire est constamment amélioré grâce aux commentaires de ses usagers.

Mon commentaire ne semble pas avoir été inutile. Dans la dernière Infolettre (11 novembre), le dictionnaire est désormais présenté comme « un outil de référence vivant, continuellement enrichi par l’actualité et par les besoins exprimés par ses usagers. » Bonifié a été remplacé par enrichi, ce qui est déjà un progrès. Mais je tique sur le complément d’agent : comment peut-on enrichir un outil par des besoins ?


mardi 3 novembre 2015

Les mots qui nous différencient


Ces dernières années, le débat sur la norme du français a été particulièrement vif au Québec et s'est déroulé avec comme toile de fond l'entreprise de produire un dictionnaire national normatif du québécois. Dans ce contexte, il est important de faire le point sur les mots utilisés dans le registre soutenu et qui nous différencient vraiment des autres francophones pour rompre avec la démagogie des aménageux. Selon Marie-Éva de Villers, qui n'étudie que la langue journalistique, 85 % des mots employés seraient les mêmes qu'en France – évaluation qui, déjà, relativise les différences.

Il est simplificateur et dangereusement réducteur de classer les québécismes (les mots ou sens propres au Québec) dans les trois catégories suivantes : les archaïsmes, c'est-à-dire les mots vieillis dans le reste de la Francophonie mais vivaces au Québec ; les créations québécoises et les anglicismes.

Essayons d'y voir plus clair. Et précisons que la typologie que je propose, puisqu’elle a pour objet de rendre compte du registre soutenu, omet les mots familiers et vulgaires.

Il y a d'abord une première catégorie de mots qui n'ont de québécois que l'apparence. Ce sont en fait des mots du français universel qui désignent des réalités (souvent botaniques ou fauniques) qui n'existent principalement qu'au Québec : pimbina n'est pas plus un québécisme que boabab n'est un africanisme. Ce sont des mots du français général nécessaires pour parler de réalités propres à des régions particulières. Il ne viendrait à personne l'idée de classer isba et datcha comme russismes, yourte comme mongolisme, iglou comme inuktitisme : ce sont tous là des mots pour désigner des habitations dans des contextes particuliers. On aura compris que c’est dans cette catégorie que se trouvent principalement les mots, peu nombreux, empruntés aux langues amérindiennes (carcajou, babiche, etc.): ce sont des mots disponibles dans le français universel.

Une deuxième catégorie de mots est constituée par ce qu'un linguiste belge a appelé des statalismes, c'est-à-dire des mots propres aux réalités administratives des divers territoires : ainsi, au Québec il y a des cégeps et en France des lycées. Un Français voulant parler du système scolaire du Québec devra utiliser le mot cégep tout comme un Québécois parlant du système scolaire français n'aura d'autre choix que de recourir au mot lycée. Et si l'on doit écrire sur l'Université d'Antananarivo, on utilisera le mot cathédrale pour désigner un bâtiment qui sert d'amphithéâtre et qui est caractérisé par de larges ouvertures dans les murs pour permettre la circulation de l'air, type de bâtiment évidemment inimaginable dans les universités du Nord mais tout à fait adapté au climat tropical. Parmi les statalismes propres au Québec, on peut encore citer carte-soleil ou sous-ministre, sans oublier de nombreux sigles, acronymes ou gentilés (noms désignant les habitants d’un lieu). Ce sont ces mots que les aménageux citent volontiers pour appuyer l’existence d’une langue québécoise standard autonome. Mais à ce compte, il y aurait autant de français qu’il y a non seulement de pays mais de régions administratives francophones. Et c’est ce qu’a fait le Conseil supérieur de la langue française en parlant de français acadien standard, de français ontarien standard (dans son bulletin de juin 2007). C’est pourtant donner beaucoup d’importance à quelques centaines de mots – peut-être deux mille dans le cas du Québec – qui peuvent facilement être réunis dans un dictionnaire de particularismes.

Parmi les statalismes figurent un certain nombre d’emprunts à l’anglais : coroner, whip, etc. Toutefois, même si beaucoup d’anglicismes du domaine judiciaire et parlementaire ont progressivement été remplacés (qu’on songe à l’Orateur, maintenant appelé le président de l’Assemblée), on peut se demander si le mouvement ne devrait pas se poursuivre : c’est ainsi que caucus, même s’il est entériné par une longue tradition (comme l’était Orateur, d’ailleurs), pourrait être remplacé par groupe parlementaire. Le statut normatif de certains statalismes pourrait donc évoluer.

Les deux premières catégories se ressemblent en ce qu’elles sont constituées de mots relatifs à des faits de société ou de culture propres au Québec.

Dans une troisième catégorie, il y a des mots créés au Québec pour combler des lacunes de vocabulaire communes à tous les francophones : par exemple, courriel et baladodiffusion. Ces cas doivent être rangés à part parce ces créations québécoises ont vocation à devenir des internationalismes – des mots qui sont mis à la disposition de tous les francophones du monde. D'ailleurs, courriel se répand, sûrement quoique lentement, dans les autres pays francophones.

Une quatrième catégorie est constituée de mots encore courants au Québec mais considérés comme des mots ou vieillis ou archaïques ou dialectaux en France (bas pour désigner une chaussette). On peut aussi mettre dans cette catégorie des innovations québécoises qui doublent des mots utilisés ailleurs dans la Francophonie (par exemple, vivoir, aujourd'hui vieilli, pour séjour ou crémage pour glaçage). C’est dans cette catégorie que nous trouvons l’immense majorité des québécismes qui font double emploi avec les mots aujourd’hui standard ailleurs dans le monde francophone. La vitalité de ces québécismes est liée à la question de la modernisation de la langue (voir le billet intitulé « Le marteau de Fishman »). La connaissance des équivalents « français » de ces mots québécois a beaucoup progressé depuis un quart de siècle ; ainsi, selon une étude de l'Office québécois de la langue française, en 1983 46 % d'un échantillon représentatif d'habitants des régions métropolitaines de Montréal et de Québec répondaient champlure quand on leur demandant comment ils appelaient habituellement l'objet représenté par un dessin qu'on leur présentait ; en 2006, 72 % donnaient plutôt le mot robinet.

Compte tenu de l’histoire politique, économique et sociolinguistique du Québec, il faut classer à part les nombreux emprunts de mots ou de sens (traductions littérales) faits à l'anglais.

Les mots anglais utilisés tels quels lorsque l'on parle français au Québec sont, selon toute vraisemblance, en voie de régression : dans l'étude précédemment citée de l'OQLF, 53,6 % des Montréalais et des Québécois avaient répondu fan en 1983 mais, en 2006, ils étaient 74,6 % à donner ventilateur comme réponse lorsqu’on leur présentait une illustration de cet objet.

Mais ce qui domine vraiment dans cette dernière catégorie, ce sont les traductions littérales de l'anglais (emprunts sémantiques et calques), ainsi « à l'intérieur des murs » (within the walls) pour dire « derrière les barreaux », expression que l'on peut entendre quotidiennement à la radio et à la télévision. Comme l'ont constaté Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière, « La fréquence des emprunts de sens dans la Banque de données textuelles de Sherbrooke est nettement supérieure à celle des emprunts de forme » (c'est-à-dire les mots anglais tels quels). Les emprunts sémantiques et les calques dominent d’ailleurs dans les répertoires d’anglicismes. Et une étude de l'OQLF portant sur la langue des bulletins d'information à la radio a montré que la proportion des anglicismes de sens et des calques était quatre fois supérieure à celle des emprunts lexicaux.

Les anglicismes lexicaux, c’est-à-dire les mots anglais utilisés comme tels en français, sont beaucoup plus faciles à reconnaître que les emprunts sémantiques et les calques. Des mots anglais qui étaient courants au xixe siècle sont aujourd’hui disparus. Mais la chasse aux anglicismes lexicaux a paradoxalement (mais logiquement du point de vue du linguiste parce qu’on les a remplacés par des traductions littérales) accru le nombre des calques et des emprunts sémantiques. Il y a une relation statistique entre l’accroissement des derniers et la diminution des premiers comme je l’ai démontré dans une étude portant sur la langue de la publicité des chaines d’alimentation.

Il faut se rendre à l'évidence : plus que tout, ce sont les interférences causées par l'influence de l'anglais qui caractérisent le français utilisé au Québec « dans les situations de communication formelle », dans les communications publiques et officielles. Ainsi que l'a constaté un observateur aussi perspicace que le linguiste français Louis-Jean Calvet : « les Québécois ont tendance, lorsqu'ils suivent les instructions officielles, à parler anglais en français. »

Les promoteurs d'une « langue québécoise standard orale et écrite » font l'impasse sur cette évidence criante : s'il existe une langue québécoise différente du français de France, elle doit son existence avant tout au grand nombre d'interférences introduites sous l'influence de la langue anglaise. La question est donc de savoir si l'on veut adopter comme modèle de référence une forme de langue qui est en bonne part un hybride.


jeudi 15 octobre 2015

Sans voile


La proposition du Parti conservateur dans la présente campagne électorale d’interdire le port du niqab a eu des répercussions inattendues à Québec : le site de l’Office québécois de la langue française nous apprend en effet que le Conseil supérieur de la langue française a décidé de dévoiler les récipiendaires lors de la cérémonie de remise des insignes de l’Ordre des francophones d’Amérique. Enfin une cérémonie qui se déroule à visage découvert !
 
Extrait du site de l'OQLF, 15 octobre 2015

On notera que la formulation utilisée par l’OQLF est un nouvel exemple de brachylogie : « les récipiendaires sont dévoilés » au lieu de « les noms des récipiendaires sont dévoilés ». Le communiqué du CSLF lui-même disait de façon plus idiomatique : « Le Conseil supérieur de la langue française remet les insignes de l’Ordre des francophones d’Amérique ».


lundi 12 octobre 2015

Les anglaises de Chopin





Dear Commentators please switch on English.
[...]
Dear Users please comment in English.
[...]
The commentaries in Polish are not understandable to the wider circle of users. Due to the fact that Chopin Competition is the international event, you are kindly requested to post your comments in English.
– Chopin Institute


Ce mois-ci a lieu le 17e concours international Chopin à Varsovie. Sur le fil de discussion, l’Institut Chopin demande que les commentaires soient rédigés uniquement en anglais. À ce compte, Chopin ne pourrait pas composer aujourd’hui des polonaises, mais uniquement des écossaises (à défaut d’anglaises). Bel exemple de servitude volontaire.


L’Institut Chopin demandant à jimmy3 d’écrire en anglais plutôt qu’en polonais :

Protestation d’un Polonais : nous sommes dans notre pays, nous pouvons bien utiliser notre langue, surtout lorsqu’il s’agit d’établissements financés entièrement par l’État :




Charles Richard-Hamelin est le seul Québécois en compétition cette année :