mardi 10 septembre 2024

Anti-tract


Lionel Meney publie ce mois-ci ses critiques du tract des « linguistes atterré·e·s » :

 


Quatrième de couverture :

Une réponse aux linguistes atterrées

La sociolinguistique est-elle une science exacte ou la caution d’une idéologie ? C’est la question qui se pose à la lecture du manifeste des linguistes atterré·e·s, Le français va très bien, merci (Gallimard, collection «Tracts», 2023, 64 pages).

Dans sa réponse, Lionel Meney passe au crible le traitement d’un certain nombre de sujets – norme linguistique, concurrence de l’anglais, langage SMS, féminisation des noms de profession, écriture inclusive… Il démonte la prétention à l’objectivité scientifique affichée par ce collectif d’enseignants-chercheurs. Les nombreuses inexactitudes commises et les non moins nombreux glissements des faits vers les jugements de valeur montrent la nature idéologique de leur point de vue. Ce qu’eux-mêmes finissent par reconnaître, en fin de compte.

 

Dico resté en rade

Je suis en train de lire le dernier opus de l’historien Gaston Deschênes :

 


Je lis à la page 100 : « devenue veuve, sa mère […] va rester à Québec ». Au sens de « demeurer » le verbe rester est un québécisme ou un provincialisme. Il fait partie du français le plus courant au Québec et pour la majorité, comme l’historien cité, il n’aucune connotation particulière. Pour le Québécois moyen, c’est tout simplement du français ordinaire. Mais pas pour le dictionnaire en ligne Usito :

V. tr. indir.   Q/C fam. (avec l’auxil. avoir) rester à, dans, en, etc. ou rester (+ adv. de lieu). Habiter, demeurer (quelque part).

D’où peut bien venir la marque « familier » dont Usito affuble le verbe ? La réponse est simple quand on sait à quel point Usito dépend du Trésor de la langue française de Nancy (voir les analyses de Claude Poirier et Lionel Meney dont on trouvera les titres en cliquant ici).

Dans le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), on lit : « Fam. Habiter, demeurer ». Comme pour bien d’autres mots, Usito a copié le TLFi sans adaptation au contexte québécois. Comme l’a déclaré à La Croix une des responsables d’Usito, « Dans les dictionnaires provenant de France, la mise en contexte est européenne. […] C'est acculturant » (5 juillet 2008).

Usito est acculturant. CQFD.

 

lundi 9 septembre 2024

Anglicismes et lutte des classes


« Au Québec, les anglicismes font leur entrée avec les paysans, peu instruits, qui gagnent les villes et sont mis en contact avec l’anglais dans les usines, les manufactures et sur les chantiers de construction. Les anglicismes sont dès le départ associés ‘ à l’ignorance et à la pauvreté du prolétariat urbain ’. »


La citation mise en exergue provient d’une chronique publiée dans Le Devoir le 3 août 2024 et que j’ai brièvement critiquée le 5 août (cliquer ici).

Je trouve abusif qu’on impute aux classes populaires l’anglicisation du Québec. Historiquement, le peuple francisait (ou québécisait) les mots anglais : bécosse < back house, ouaguine < wagon, mitaine < meeting hall. C’était la façon de faire traditionnelle en français : paquebot < packet boat, boulingrin < bowling green, redingote < riding coat, etc. Et une célèbre chanteuse américaine voulait qu’on l’appelât Joséphine Baquère (ce dont n’a pas tenu compte Emmanuel Macron quand il l’a panthéonisée).

Et si la part la plus importante de l’anglicisation n’était pas venue plutôt de l’élite ? Et, pour reprendre un mot de la chroniqueuse, de l’« ignorance » de l’élite ?

Pour appuyer ce point de vue, voici quelques exemples tirés de l’étude de Wallace Schwab Les anglicismes dans le droit positif québécois (Conseil de la langue française, 1984). Certains de ces anglicismes sont disparus, d’autres sont encore courants : agir comme, allouance, application, assemblée spéciale, en autant que, aviseur légal, bureau chef, canceller, cédule, changement de venue, erreur cléricale, compléter une formule, corporation, à date, déductible (nom), département légal, en devoir, à l’effet que, à l’emploi de, item, occupation (emploi, profession), opérer (un commerce, etc.), opinion légale, payeur de taxes, rencontrer ses obligations, sur le comité, etc. Sans compter les latinismes passés par l’anglais comme sub poena ou affidavit.

On pourrait ajouter d’autres exemples à la liste de Schwab et qui ne proviennent clairement pas des milieux populaires : originer, dépendamment, payer une visite, etc. Ni les anglicismes qu’on trouve dans les conventions collectives et que le juge Robert Auclair n’a cessé de corriger : certification (accréditation syndicale), assignation (affectation), augmentation statutaire (avancement d’échelon), etc.

Tous ces anglicismes ont percolé dans les classes populaires, ils n’en montent pas.

Il faut en terminer avec « les paysans peu instruits » et « l’ignorance et la pauvreté du prolétariat urbain » comme source historique de l’anglicisation du Québec.

 

dimanche 1 septembre 2024

Des chiffres et des lettres : les résultats de 5e secondaire


Je salue la publication, dans Le Devoir du 31 août, des résultats aux examens de français de 5e secondaire de 2014 à 2024 (« Des résultats à la baisse aux examens ministériels de français »). Auparavant, ces données n’étaient pas faciles d’accès et je ne serais pas surpris que leur publication résulte d’une décision du ministre lui-même.

Le journaliste résume ainsi les données du tableau suivant : « le taux de réussite à l’épreuve ministérielle d’écriture de 5e secondaire se chiffre à 70,7 % dans l’ensemble de la province, une diminution de quatre points de pourcentage [< percentage point, point, tout court, en français] par rapport à 2023 (74,8 %). »

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La nouvelle transparence du Ministère a toutefois des limites : on ne remonte pas plus haut que 2014. On peut améliorer le tableau en se servant des données publiées dans le Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec publié par l’Office québécois de la langue française en 2008. J’en extrais ce graphique présentant les résultats à ce même examen de 1990 à 2004 (il faut regarder la courbe du centre) :


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En 2000, le taux de réussite était de 90 % (sans doute le plus haut de l’histoire, mais je n’ai pas les données de toutes les années). En 2024, il est tombé à 71 % (j’arrondis). Il faut ajouter qu’en 2001, on a assoupli les normes de correction en syntaxe et en ponctuation. Et la pondération entre le fond (qualité de la communication) et la forme (conformité au code linguistique) a varié au fil des ans. Je ne sais pas s’il n’y a pas eu d’autres assouplissements depuis 2001.

Ce que le journaliste ne dit pas, c’est que la note à l’examen de française de la 5e secondaire est établie selon un schéma où le poids de l’élément vraiment discriminant (l’orthographe) est contrebalancé par celui de tous les autres critères et sous-critères comme l’illustre la figure suivante :

 



Comme je ne sais pas s’il y a eu depuis 2008 des modifications dans la façon de corriger les copies de l’examen, je décrirai le mode de correction en reprenant les critères de la grille de 2001 (cf. rapport de l’OQLF, pp. 159-164). Il me semble raisonnable de supposer que, s’il y a eu des changements, ils ont dû consister dans des assouplissements.

La notation comporte deux volets, le fond et la forme. La pondération entre le fond (qualité de la communication) et la forme (conformité au code linguistique) a varié au fil des ans. Ne sachant pas ce qu’il en est aujourd’hui, je décrirai la pondération des critères de la grille de 2001 où fond et forme comptaient chacun pour 50 %.

Le pourcentage de réussite à l’ensemble des critères concernant le fond (qualité de la communication) était à un niveau très élevé de 1990 à 2004. À partir de 1995, il dépassait les 95 %. Il atteignait 98,3 % en 2004. On ne peut donc pas dire qu’il s’agit d’un critère vraiment discriminant.

Venons-en maintenant à la forme (le respect du code linguistique). Le critère le plus discriminant, l’orthographe, compte pour 20 % de la note totale. La syntaxe (incluant la ponctuation) est aussi un critère discriminant mais moins que l’orthographe ; elle compte pour 25 % dans la note finale. Le troisième critère de qualité de la langue, le vocabulaire, n’a pas de valeur discriminatoire : le taux de réussite était de 97,4 % en 1998 et de 95,9 % en 2004.

Voici les résultats globaux de 2004 dans une figure qui permet de voir le jeu des contre-poids:



Il faut relativiser les données pessimistes publiées par le Devoir : un échec à l’examen du Ministère ne signifie pas automatiquement un échec en français. Car la note globale à l’épreuve de 5e secondaire ne compte (ne comptait ?) que pour 25 % de la note finale en français. Les 75 % restants se composent du résultat en écriture donné par l’école (25 %), ainsi que des notes en lecture (40 %) et en communication orale (10 %) attribuées, elles aussi, par l’établissement. En résumé :

50 % = note en écriture (à parts égales, note de l’école « modérée » (processus statistique) + résultat à l’épreuve unique du Ministère);

40 % = note de l’école en lecture;

10 % = note de l’école en communication orale.

En conclusion, pour échouer en français, il faut vraiment se lever de bonne heure.