mercredi 29 juin 2011

Maringouin


Je viens de trouver, dans le site de l’Office québécois de la langue française, une capsule sur le mot maringouin, dont on explique l’origine par un mot « du tupi-guarani, une famille de langues qui étaient en usage sur les côtes du Brésil au début du XVIsiècle. C'est par l'entremise de marins normands participant à l'époque à des expéditions commerciales dans cette région que le mot mbarigui, devenu maringouin en français, s'est répandu dans les colonies françaises, dont la Nouvelle-France, la Louisiane, les Antilles et l'île de la Réunion. »


Jean Marcel, l’auteur du célèbre Joual de Troie (bon, je sais, je ne devrais plus parler des Equi caballi, mais cela me laisse tout de même la nombreuse famille des Equi asini, qui et pedunt et faenum edunt – comme à l’époque des lettres de cachet, je dois recourir au latin pour m’exprimer librement), Jean Marcel qui, tel un nouvel Ulysse, a fait la seconde guerre de Troie sur son canasson (la mémoire me fait défaut, c'était peut-être une rosse rétive), Jean Marcel, donc, a proposé une autre hypothèse que je reproduis avec son autorisation :


Maringouin


Tous les dictionnaires français contemporains s’entendent pour définir ce mot comme désignant un moustique de l’Asie du Sud-Est et du Canada.  Et tous ceux qui en donnent l’origine étymologique évoquent invariablement une provenance guarani (parfois tupi) du Brésil; on va parfois jusqu’à en donner l’appellation : marui, maruim ou mbarigui.  Comment donc un moustique des régions susnommées serait-il allé chercher son appellation dans un pays où il n’y en a pas – du moins si l’on s’en tient à la définition que l’on en donne?  Il faut savoir qu’en guarani le mot mbarigui désigne aussi la langue même des Guarani et que cette acception est aussi enregistrée par certains dictionnaires sous la rubrique maringoin. 

Et pourtant, expérience entomologique faite, les moustiques (ou cousins) de l’Asie du Sud-Est et du Canada n’ont, semble-t-il, rien à voir l’un avec l’autre; celui de l’Asie est beaucoup plus petit et ressemblerait davantage à un moucheron noir, alors que celui des régions septentrionales est plus gros et d’une couleur moins uniforme tirant sur le gris teinté de roux.  Raison de plus donc pour ne pas les confondre!  Mais comment les a-t-on confondus dans une même appellation?  C’est le mystère des mots qui voyagent. 

Toujours est-il que les textes sont là pour nous montrer la route.  Chronologiquement, la première attestation en français est de 1566 : Le Challeux, dans son Discours et histoire de ce qui est advenu en la Floride, en l’an 1565, où le mot est cité sous sa forme soi-disant indigène de marigon.  On peut à la rigueur l’ignorer.  Car en la Floride, nous voilà encore bien loin du Canada, du Brésil et plus encore de l’Asie du Sud-Est!  La première apparition, pour le Canada même, est de 1609 (édition, alors que l’auteur était en Acadie dès 1604), Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France, sous la forme de marigoin; puis à foison dans les célèbres Relations (1632  - 1678) des jésuites missionnaires en Nouvelle-France.

Pour l’Asie du Sud-Est, la première (et unique?) attestation est de 1687 (édition) : François Timoléon, abbé de Choisy, Journal du voyage de Siam, où pour la première fois le mot apparaît sous son orthographe moderne qui lui est restée : maringouin.  Choisy fut du groupe des deux ambassades françaises de 1684 et de 1687, rehaussées de la présence de force pères jésuites - précisons tout de suite pour les retrouver plus tard.  Qu’est-ce à dire sinon que ces deux derniers textes ont peut-être servi aux lexicographes à fixer en Asie du Sud-Est et au Canada l’aire d’un moustique dont l’appellation est maringouin, et auquel on aurait peut-être pu ajouter la Floride ?  Et dont l’origine est toujours dite guarani ou tupi du Brésil dans les dictionnaires.  Les Portugais auraient-ils donc importé le mot du Brésil en Siam ?  Mais, alors, le Canada, où ils ne sont jamais venus ?  Et puis, le mot est inconnu en portugais, ancien ou moderne.  De même qu’en espagnol d’autrefois ou d’aujourd’hui.  Il ne faut donc pas chercher de ce côté une hypothèse trop plausible. 

La langue thaïe possède un mot dont le rapprochement avec notre maringouin ne laisse pas d’être assez troublant.  Il s’agit de malengwan ; or il advient assez souvent dans la langue parlée des Thaïs que la prononciation du l et du r soit interchangeable; nous aurions alors maringwan.  L’ennui est que l’insecte que désigne ce mot en thaï (littéralement : maleng + wan : insecte du jour) n’est pas du tout le moustique (qui se dit young) mais le moucheron noir.  On a vu cependant que sa ressemblance avec le moustique était entomologiquement vérifiable.  Possible donc que les voyageurs aient confondu en demandant le nom en thaï.  Il est exclu en tout cas que les Portugais aient refilé le mot guarani aux Siamois, car ce mot existait déjà, semble-t-il, dans le lexique thaï avant l’arrivée de ces premiers Européens; et le mot a trop de signification en thaï même pour devoir être un emprunt si étranger dont ils n’auraient pas entendu le sens.  Et on a vu de plus que le mot n’existe pas dans la langue portugaise.  Alors ?  Cherchez le jésuite !

On a vu que c’est dans les fameuses Relations des jésuites français que le mot, en Nouvelle-France, se trouvait employé avec une fréquence indiquant qu’il était devenu d’usage assez courant; il l’est resté d’ailleurs jusqu’à nos jours dans le vocabulaire des Québécois, qui ne connaissent pas d’autres mots de la langue courante pour désigner le moustique ou cousin.  On sait d’autre part que les jésuites étaient nombreux dans la suite qui accompagnait les ambassadeurs de Siam en 1684 et en 1687 (six dans la première; six à la suite de la seconde, dont un mourra en mer); mais des jésuites portugais se trouvaient à Ayuthaya depuis 1607 avec l’arrivé du P. Baltasar Sequeira, qui avait fait des séjours à la maison des jésuites de Paris.  De plus, un jésuite belge francophone, Jean-Baptiste Maldonado, était à Ayuthaya, dans la mission des jésuites portugais, depuis 1673.  D’autre part, une société de prêtres de Paris, les Bons amis (qui deviendra la Société des Missions étrangères) préparait tout spécialement des évêques pour les missions d’Asie, notamment le Siam (trois y passèrent effectivement), et François de Montmorency Laval, qui sera finalement nommé par Louis XIV au premier siège apostolique de Québec en 1663, était l’un d’eux !  On voit donc que des réseaux souterrains étaient fort bien tissés entre Siam et Nouvelle-France.  Les missionnaires jésuites au Siam, s’il n’est pas prouvé que certains d’entre eux soient aussi allés un jour l’autre en Nouvelle-France, ont du moins frayé, dans leur maison de Paris, avec ceux qui allaient et venaient entre Paris et le Siam. 

C’est donc avec prudence, mais avec plus de probabilité que l’hypothèse guarani, que nous pouvons imaginer le passage de malengwan de Siam à Paris, et de là en Nouvelle-France par les jésuites (qui se faisaient forts d’ailleurs, de toutes les expéditions de l’époque, d’apprendre les langues indigènes – le P. Gabriel Lallemand en Nouvelle-France, qui finira martyr, y fut l’auteur d’une grammaire huronienne).  Quant à l’inquiétante présence de marigouin chez Lescarbot dès 1609, celui-ci fort intéressé par tout ce qui était colonies lointaines, il faut probablement la mettre au compte de ses lectures de relations de voyage perdues, de correspondances, ou plus simplement de rencontres avec les jésuites portugais (connaissant le français) en séjour à leur maison de Paris.

Quoi qu’il en soit, la lexicographie devra désormais prendre en compte cette nouvelle possibilité à la lumière du malengwan thaï.
(Extrait des Mélanges offerts à Lothar Wolf, Université d'Augsbourg)

1 commentaire:

  1. Au Canada, il y a un Lac du Marin-à-Gouin (Anciennement Lac des Maringouins). Le gouin est un mot normand désignant un matelot de mauvaise tenue. Un marin...gouin. La piste normande ne serait-elle pas plus probable que le guarani au vu des inconsistances que vous pointées dans l'article ? Je me pose sincèrement la question. Merci d'avance.

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