jeudi 27 octobre 2011

La tarte à la crème


Dans le billet précédent, j’ai parlé de tarte à la crème à propos de l’habitude prise par des rédacteurs (et non les rédacteurs) du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française de faire intervenir, le plus souvent à contretemps, des considérations de nature phonétique pour justifier le rejet de certains mots anglais. Je reviens sur le sujet aujourd’hui en comparant le traitement qui est réservé de ce point de vue à deux emprunts, best-seller et smoked meat. Je précise que je n’ai rien contre le fait que l’Office entérine l’emploi d’un terme comme smoked meat et que je me moque comme de l’an quarante que l’on dise best-seller, succès de librairie ou meilleure vente. En revanche, je ne peux tolérer que l’on croie parler un meilleur français en disant meilleur vendeur plutôt que best-seller, le premier n’étant qu’une traduction bébête du second.


Je rappelle que, pour rejeter le terme anglais best-seller, on invoque la raison suivante : « L'emprunt intégral à l'anglais best-seller est à éviter, puisqu'il est mal adapté au français sur les plans graphique et phonétique. » J’ai montré, dans le billet précédent, que l’argument était nul et non avenu.


Pour smoked meat, terme que l’Office entérine, il n’y a aucune mention de l’adaptation, ou de l’inadaptation, « sur les plans graphique et phonétique ». Pourtant, il est facile de démontrer que le mot présente des problèmes d’adaptation tant au plan graphique qu’au plan phonétique.


D’abord, la séquence graphique ed ne correspond à rien dans la prononciation québécoise qui est plutôt [smokmi:t]. Ces deux lettres, que l’on doit écrire, ne sont pas prononcées.


Ensuite, on sait que, dans le français parlé au Québec, une voyelle comme /i/ est normalement abrégée devant une consonne finale : vide se prononce [vId]. Les phonéticiens ajouteront : sauf lorsque la voyelle est suivie d’une consonne allongeante comme /v/ : vive se prononce [vi:v] et la prononciation brève [vIv], caractéristique du parler populaire de Québec, est dépréciée socialement. Si smoked meat était vraiment adapté phonétiquement, les Québécois prononceraient [smokmIt] – ou, à la française, [smokmi:t] mais avec un /i/ qui n’est pas aussi long que celui de l’anglais. Dans les faits, smoked meat n’est qu’à demi intégré phonétiquement en français du Québec.


Il aurait fallu que le rédacteur de la fiche ajoutât au moins que, dans le cas de smoked meat, l’inadaptation graphique et phonétique n’était pas considérée comme suffisante pour rejeter le mot anglais. Mais on comprend le problème que cela aurait entraîné : car comment justifier alors le rejet d’un terme comme best-seller, beaucoup plus intégré phonétiquement ?


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire