samedi 9 juin 2012

La langue de la rue

Manifestation du 19 mai 2012, rue Saint-Denis à Montréal (CUTV)



J’ai déjà fait la remarque dans les billets précédents que la crise sociale actuelle contient des enseignements sur la situation sociolinguistique du Québec, en particulier sur la place du français comme « langue commune » (cf. Commission Gendron) ou langue de la cohésion sociale. Dans Le Devoir du week-end, une juriste, Cathy Wong, apporte des arguments qui vont dans ce sens, même si elle n’aborde pas spécifiquement la question linguistique :

On reproche souvent aux personnes issues des minorités ethnoculturelles de briller par leur absence dans les débats sociaux et politiques au Québec et de ne s’intéresser qu’à la promotion des intérêts de leur propre communauté. Or, à travers le conflit étudiant, plusieurs jeunes issus des minorités se mouillent, quelques-uns pour la première fois, au sujet de décisions politiques québécoises. Rouges ou verts, ils s’impliquent dans des enjeux qui touchent non seulement leur communauté d’origine, mais l’ensemble de la société québécoise.

Il y a d’intéressantes leçons à tirer du conflit social actuel sur les rapports entre majorité et minorités. L’engagement des nouvelles générations issues des minorités démontre qu’elles ne s’intéressent pas qu’aux seuls enjeux de leurs communautés respectives. Plutôt, leur mobilisation contribue au renforcement de notre démocratie et illustre leur attachement profond au Québec.


Rappelons ce qu’Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil écrivaient, dès 1982, de l’intégration :

On parle beaucoup, surtout ces dernières années, de l'intégration culturelle des anglophones et des allophones à la société québécoise, par opposition à l'assimilation, qui n'est pas jugée un objectif souhaitable ou adéquat. L'intégration, dans l'esprit de beaucoup, est le moyen de concilier l'intérêt pour le Québec et la sauvegarde d'une certaine identité culturelle. La connaissance du français, donc son enseignement, joue un rôle dans ce processus […].
Le terme « intégration » implique à la fois un processus et un état en résultant. Le processus est constitué par la démarche psychologique qu'effectue le sujet vers la communauté québécoise et par les moyens qu'il prend ou que l'on met à sa disposition pour la faciliter ou l'exécuter. L'état qui en résulte est une certaine manière de se sentir membre de la communauté et une certaine aptitude à y vivre.
Face à un phénomène aussi global, nous croyons nécessaire et utile de distinguer des degrés d'intégration, de la minimale à la plus complète. Nous en proposons trois. Au premier degré, la personne est capable de communiquer en français, elle cornait les principales institutions québécoises, dont elle sait comment utiliser les services et les ressources; elle peut gagner sa vie en français et vaquer aux diverses occupations de la vie en société. Elle est autonome et indépendante d'un sous-groupe culturel de soutien ou de refuge. C'est l'intégration de fonctionnement. Au deuxième degré, la personne ajoute à ce qui précède l'intention de jouer un rôle dans la société québécoise, dans une sphère quelconque : la politique, le syndicalisme, les divers mouvements sociaux ou associations de toute nature. De ce fait, elle est active dans la société à la manière et avec les mêmes possibilités qu'un Québécois d'origine et peut y exercer une influence à la mesure de son action. Nous dirions qu'il s'agit alors d'intégration de participation. Au troisième degré, la personne conçoit son avenir et celui de ses enfants comme membre de la société québécoise, pour le meilleur et pour le pire : c'est l'intégration d'aspiration, celle où l'on se sent et on se sait lié aux projets d'avenir du groupe, d'où souvent une implication réelle dans les débats de l'heure, non pour s'y opposer lorsqu'ils menacent un isolement, antérieur à l'intégration de fonctionnement, mais pour y faire valoir ses points de vue et sa propre conception de l'avenir comme membre à part entière de la société.
La connaissance du français est la condition de départ du processus d'intégration de fonctionnement. Son influence ne va pas au-delà en ce sens que rien ne garantit que celui qui connaît le français évoluera vers l'intégration de participation, encore moins d'aspiration. On peut fort bien en demeurer au stade premier.*


Si l’on applique le schéma d’intégration proposé par Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil, les événements récents tendraient à montrer que plusieurs anglophones et beaucoup d’enfants d’immigrants en seraient au troisième degré de l’intégration.

Et si la crise sociale actuelle était la plus importante, même la seule véritable mesure de francisation du régime Charest ?


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* Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil, L’enseignement du français, langue seconde, aux adultes, Conseil de la langue française 1982.

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