On m’a consulté récemment sur le mot
andragogie qui désigne la « science fondant les techniques d’enseignement
adaptées aux adultes » (fiche de Radio-Canada de 1985). On voulait savoir
si c’était un québécisme. Je résume ma réponse.
Le mot apparaît pour la première fois en
Allemagne au xixe siècle
sous la forme Andragogik. Puis on le
trouve, avec des adaptations, en Russie, en Pologne, en Yougoslavie. De là le
terme parvient en Amérique puis au Canada. L’Université de Montréal adopte ce
terme en 1968-1969. L’Office (pas encore québécois) de la langue française
recommande ce terme en 1987 (sans le normaliser). Andragogie
n'apparaît pas dans le Trésor de la langue française mais figure dans le Larousse
en ligne (« science et pratique de l'éducation des adultes »).
Certains trouvent que le mot est trop
« genré », trop masculin, puisqu’« il renvoie à une racine grecque où l’homme sexué est seul présent et peut-être le seul éducable ».
En effet, le mot ἀνήρ, génitif ἀνδρός, désigne l’homme en tant que mâle. On
a donc proposé de remplacer andragogie par anthropagogie, ce qui n’est guère
meilleur du point de vue étymologique puisque ἄνθρωπος désigne l’être humain en général,
autant l’homme que la femme, l’adulte que l’enfant. Je crois qu’on ne trouvera
guère de solution de remplacement du côté de l’étymologie. J’ai consulté les
deux dictionnaires grec-français que j’ai sous la main : l’un traduit
adulte par ἔφηϐος (éphèbe), l’autre par ἐφήλιξ (que le Bailly retraduit par « qui
est dans l’adolescence »). Si l’on cherche à tout prix une racine grecque,
il faudrait aller du côté du verbe ἀκμάζω, « être dans toute sa force, sa
fraîcheur, sa maturité » ou de l’adverbe ἀκμαίως, « dans toute la force de
l’âge ». Mais est-ce bien la peine ? Personne ne sent le caractère
sexiste du mot andragogie à moins d’être un maniaque de l’étymologie.
Ces recherches m’ont conduit, de fil en aiguille, sur la page
de la Banque de dépannage linguistique (BDL) de l’Office québécois de la langue
française (OQLF) intitulée « Rédaction bigenrée et non genrée ». L’Office admet qu’il est trop tôt pour se prononcer sur ces
questions. Ouf ! Il a mieux à faire (corriger sa dernière Politique de l’emprunt linguistique par exemple) que de se lancer dans ce qui
promet d’être une aventure rocambolesque à en juger par cet extrait de la fiche
de la BDL :
La rédaction bigenrée consiste en
l’utilisation de termes hybrides comme frœur ou freure en
remplacement de frère/sœur, ou tancle en remplacement de tante/oncle.
Elle consiste également en l’utilisation de déterminants ou de pronoms issus de la contraction des formes masculine
et féminine d’un mot, comme iel, yel ou ille (issus de il
et elle), illes (issu de ils et elles), ceuses
ou ceulles (issus de ceux et celles), toustes (issu
de tous et toutes) ou maon (issu de mon et ma).
Finalement, certaines propositions qui relèvent de la rédaction bigenrée
portent sur l’accord des adjectifs et des participes passés, accord qui se fait
alors au moyen de formes contractées comme amoureuxe (au lieu de amoureux
ou de amoureuse) ou de doublets abrégés (arrivé(e)
au lieu de arrivé ou arrivée).
La rédaction non genrée ou agenrée, quant à elle, fait disparaître les
genres grammaticaux masculin et féminin en ce qui concerne les personnes. Elle
fait appel à des pronoms neutres où ni le masculin ni le féminin ne sont
visibles, comme ul ou ol (au lieu de il ou
de elle), ou mo (au lieu de mon ou de ma).
Certaines propositions non genrées portent sur les accords,
remplaçant la marque du genre par une lettre (T ou z) ou par deux
lettres (ae) : ul est aimeT au lieu de il est aimé ou
de elle est aimée; ou ol est bien entourae au lieu de il est
bien entouré ou de elle est bien entourée. La rédaction non genrée
est à l’origine de la formation de nouvelles appellations de personnes, comme professionnèles, au lieu de professionnels ou
de professionnelles. Elle est aussi à l’origine, en anglais, de
la création du titre de civilité Mx au lieu de Mr. ou de Mrs.
Dire qu’en 1990 on parlait de simplifier
l’orthographe ! Simplifions d’un côté, compliquons de l’autre !
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