mardi 13 février 2018

De l’andragogie et du genre


On m’a consulté récemment sur le mot andragogie qui désigne la « science fondant les techniques d’enseignement adaptées aux adultes » (fiche de Radio-Canada de 1985). On voulait savoir si c’était un québécisme. Je résume ma réponse.


Le mot apparaît pour la première fois en Allemagne au xixe siècle sous la forme Andragogik. Puis on le trouve, avec des adaptations, en Russie, en Pologne, en Yougoslavie. De là le terme parvient en Amérique puis au Canada. L’Université de Montréal adopte ce terme en 1968-1969. L’Office (pas encore québécois) de la langue française recommande ce terme en 1987 (sans le normaliser). Andragogie n'apparaît pas dans le Trésor de la langue française mais figure dans le Larousse en ligne (« science et pratique de l'éducation des adultes »).


Certains trouvent que le mot est trop « genré », trop masculin, puisqu’« il renvoie à une racine grecque où l’homme sexué est seul présent et peut-être le seul éducable ». En effet, le mot νήρ, génitif νδρός, désigne l’homme en tant que mâle. On a donc proposé de remplacer andragogie par anthropagogie, ce qui n’est guère meilleur du point de vue étymologique puisque νθρωπος désigne l’être humain en général, autant l’homme que la femme, l’adulte que l’enfant. Je crois qu’on ne trouvera guère de solution de remplacement du côté de l’étymologie. J’ai consulté les deux dictionnaires grec-français que j’ai sous la main : l’un traduit adulte par φηϐος (éphèbe), l’autre par φήλιξ (que le Bailly retraduit par « qui est dans l’adolescence »). Si l’on cherche à tout prix une racine grecque, il faudrait aller du côté du verbe κμάζω, « être dans toute sa force, sa fraîcheur, sa maturité » ou de l’adverbe κμαίως, « dans toute la force de l’âge ». Mais est-ce bien la peine ? Personne ne sent le caractère sexiste du mot andragogie à moins d’être un maniaque de l’étymologie.


Ces recherches m’ont conduit, de fil en aiguille, sur la page de la Banque de dépannage linguistique (BDL) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) intitulée « Rédaction bigenrée et non genrée ». L’Office admet qu’il est trop tôt pour se prononcer sur ces questions. Ouf ! Il a mieux à faire (corriger sa dernière Politique de l’emprunt linguistique par exemple) que de se lancer dans ce qui promet d’être une aventure rocambolesque à en juger par cet extrait de la fiche de la BDL :

La rédaction bigenrée consiste en l’utilisation de termes hybrides comme frœur ou freure en remplacement de frère/sœur, ou tancle en remplacement de tante/oncle. Elle consiste également en l’utilisation de déterminants ou de pronoms issus de la contraction des formes masculine et féminine d’un mot, comme iel, yel ou ille (issus de il et elle), illes (issu de ils et elles), ceuses ou ceulles (issus de ceux et celles), toustes (issu de tous et toutes) ou maon (issu de mon et ma). Finalement, certaines propositions qui relèvent de la rédaction bigenrée portent sur l’accord des adjectifs et des participes passés, accord qui se fait alors au moyen de formes contractées comme amoureuxe (au lieu de amoureux ou de amoureuse) ou de doublets abrégés (arrivé(e) au lieu de arrivé ou arrivée).

La rédaction non genrée ou agenrée, quant à elle, fait disparaître les genres grammaticaux masculin et féminin en ce qui concerne les personnes. Elle fait appel à des pronoms neutres où ni le masculin ni le féminin ne sont visibles, comme ul ou ol (au lieu de il ou de elle), ou mo (au lieu de mon ou de ma). Certaines propositions non genrées portent sur les accords, remplaçant la marque du genre par une lettre (T ou z) ou par deux lettres (ae) : ul est aimeT au lieu de il est aimé ou de elle est aimée; ou ol est bien entourae au lieu de il est bien entouré ou de elle est bien entourée. La rédaction non genrée est à l’origine de la formation de nouvelles appellations de personnes, comme professionnèles, au lieu de professionnels ou de professionnelles. Elle est aussi à l’origine, en anglais, de la création du titre de civilité Mx au lieu de Mr. ou de Mrs.


Dire qu’en 1990 on parlait de simplifier l’orthographe ! Simplifions d’un côté, compliquons de l’autre !


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