L’Office
québécois de la langue française (OQLF) vient de publier son bilan de la
situation linguistique. Le précédent bilan « quinquennal » était
paru… il y a onze ans. Les médias ont beaucoup insisté sur l’augmentation de
l’accueil bilingue (Bonjour! Hi!) ou
en anglais seulement dans les commerces de Montréal ou encore sur la diminution
de l’usage du français comme langue unique de travail. Mais je voudrais plutôt
attirer l’attention sur des éléments que l’OQLF a préféré minimiser dans son
rapport.
Ainsi,
dans la conclusion (p. 109), on affirme que « depuis 2010, on
constate une augmentation du taux de conformité de l’affichage public des
entreprises sur l’île de Montréal » : en particulier le taux de conformité
de l’affichage des entreprises situées
dans un centre commercial est passé de 64 %en 2010 à 78,3 % en 2017
(p. 64). L’OQLF reconnaît bien (p. 65) que des modifications ont été
apportées en novembre 2016 à la réglementation sur l’affichage mais omet de
dire que les nouvelles règles sont beaucoup plus souples que les précédentes et
que, par conséquent, il n’est pas légitime de comparer la conformité à la
réglementation plus sévère de 2010 à celle plus laxiste de 2017. En revanche,
l’Office a un scrupule méthodologique qui l’empêche de comparer les données sur
la présence des langues dans l’affichage en 2017 avec les données de ses
enquêtes de 1997, de 1999 et de 2010. À l’affirmation de l’OQLF qu’en 2017
« sur l’île de Montréal, 65,0 % des messages présents dans
l’affichage des entreprises observées étaient écrits uniquement en
français », nous pouvons ajouter que ce pourcentage était de 73,3 %
en 1997 et de 69 % en 1999 (méthodologie strictement la même pour ces deux
dernières enquêtes). On pourra peut-être chipoter sur la comparabilité des
résultats de 2017 (il ne tenait qu’à
l’OQLF de s’assurer que son enquête de 2017 serait comparable aux précédentes)
mais la tendance à la diminution de la présence du français, attestée depuis
1999, est nette compte tenu de l’ampleur de l’écart. En voici d’ailleurs une
preuve indubitable que l’on trouve, à condition de bien chercher, dans les
études publiées par l’OQLF ces dernières années : la proportion des
commerces ayant pignon sur rue affichant uniquement en français est passée de
52 % en 1997 à 30 % en 2010. La baisse de 22 points est incontestable
du point de vue méthodologique. En 2017, cette proportion est de 22,8 %. Cette
baisse de 29,2 points sur vingt ans est trop importante pour s’expliquer
simplement par l’absence de pondération, prétexte dont se sert l’OQLF pour
éviter de faire la comparaison. Il y a eu recul du français, il faut
l’admettre. L’OQLF se refuse à le faire.
Le
dernier bilan de l’OQLF a trois pages sur les compétences en français. Dans le
rapport de 2008, le chapitre sur la maîtrise du française comptait 18 pages. En
2019, l’OQLF se contente de présenter les taux de réussite à l’épreuve de
français de cinquième du secondaire et à celle du collégial sans ventiler les
résultats selon les critères de la grille de correction, en particulier selon
les sous-critères (orthographe, grammaire, vocabulaire) du critère général de
maîtrise de la langue : des éléments pourtant non négligeables quand on
parle de compétences en français. Le bilan de l’OQLF ne nous dit donc pas qu’à
l’épreuve du collégial, le taux de réussite au critère de maîtrise de la langue
est passé de 88,9 % en 1998 à 84,8 % en 2016. La proportion des
élèves qui reçoivent la cote C ou une cote supérieure (c’est-à-dire ceux qui
font 15 fautes ou moins) au sous-critère d’orthographe est passée de
76,1 % en 1998 à 73,3 % en 2016.Alors que nous disposons de données
depuis 1998, l’OQLF ne produit aucun tableau, aucun graphique présentant
l’évolution des résultats du collégial au fil des ans. Aucune donnée non plus
qui jetterait le moindre éclairage sur les résultats de la réforme de
l’éducation entreprise en 2000. Pourtant, dès 2009, un article de Daphnée
Dion-Viens dans Le Soleil nous
alertait : « le taux de réussite des élèves de sixième année à
l'épreuve uniforme de français est passé de 90 % en 2000 à 83 % en
2005. » Des analyses de ce type sont nécessaires quand on veut faire le
point sur la situation du français au Québec. Force est donc de constater que,
de ce point de vue, l’OQLF n’a pas rempli complètement son mandat.
Le
communiqué de presse émis par l’OQLF, en dressant une liste d’éléments positifs
(huit) et une autre d’éléments négatifs (huit), crée l’impression que les uns
contrebalancent les autres. Je crois plutôt que dans ce bilan, décennal parce
qu’il n’a pu être quinquennal, le passif l’emporte sur l’actif dans ce qu’il
révèle et dans ce qu’il occulte. La présidente-directrice générale de l’OQLF,
qui n’est en poste que depuis février, a eu raison de publier dès son arrivée et
le bilan et les études préparés sous l’égide de ses prédécesseurs. Maintenant
qu’elle a fait place nette, elle pourra s’atteler à la préparation d’un rapport
quinquennal plus satisfaisant.
(Texte paru dans Le Droit du mardi 16 avril)
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