En
faisant quelques recherches cet été pour préparer les billets que j’ai
consacrés à la disparition de Jean Marcel, j’ai découvert qu’il y aurait 20 ans
ce mois-ci qu’était décédé un autre essayiste, Gilles Leclerc. La dernière fois
que nous nous sommes vus, c’était justement à l’occasion d’un repas avec Jean
Marcel.
Plusieurs
croient que c’est Maurice Lecavalier qui a francisé le vocabulaire du hockey.
Et ils n’ont pas complètement tort. Mais comme me l’a révélé Jean Marcel, c’est
Gilles Leclerc qui est à l’origine des traductions françaises qui ont été
lancées par Maurice Lecavalier sur les ondes de Radio-Canada. Le Québec doit beaucoup à un artisan obscur.
Gilles
Leclerc a donc travaillé à Radio-Canada pendant les années 1950. Il a refusé de
franchir les piquets lors de la grève des réalisateurs (29 décembre
1958 au 7 mars 1959). On lui reverra cette attitude courageuse lors de
la grève des occasionnels de l’Office (alors la Régie) de la langue française
(mars 1975) : il sera l’un des deux seuls employés permanents à refuser de
franchir sous escorte policière les piquets. Car, entretemps, Gilles Leclerc
était devenu le premier employé de l’Office de la langue française.
Gilles
Leclerc a publié en 1960 un essai, le Journal
d’un inquisiteur, que Gilles Labelle résume ainsi (dans Mens, revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique
française, 3/2, 2003) :
La pensée de
Gilles Leclerc (1928-1999) n’a jamais été véritablement reçue dans les milieux
intellectuels et littéraires québécois. Pourtant, le Journal
d’un inquisiteur, publié
en 1960 (et réédité en 1974 et 2003), constitue un ouvrage qui a certainement sa
place dans l’histoire des idées au Québec. Gilles Leclerc y expose une
conception du passage de la société québécoise à une forme de modernité
radicale qui accorde une grande place aux effets imprévus engendrés par ce
qu’il nomme le « système ethno-théologico-politique ». Pour lui, la
liberté nouvelle qu’il sent poindre à l’aube de la Révolution tranquille se
confond avec la « licence » et ne pourra ainsi conduire qu’à une
société fondée sur l’utilitarisme et l’hédonisme. Au bout du « système
ethno-théologico-politique », en somme, se profile l’« intégration
pan-américaine », assortie d’une tentation « nihiliste »
(première partie). Cette conception s’appuie sur une anthropologie et une
philosophie de l’histoire cohérentes et très élaborées, qui reposent sur une
analyse des rapports qui doivent s’établir entre l’« Esprit » et
l’« Histoire » (deuxième partie).
Je
trouve, dans un texte du Devoir (12 décembre
2009) dont je ne parviens pas à identifier l’auteur, ce jugement qui me paraît
bien résumer l’homme que j’ai connu :
Son énergie de révolté péremptoire « né en
pays maudit » paraît inépuisable pour dénoncer tout ce qui l'irrite. Sa
misanthropie, sa haine de soi (« J'écris pour moi — et contre moi »),
ses couplets bilieux déclinés sur l'air du « Québec me tue », sa
détestation quasi obsessive de la politique, des politiciens, et même de la
démocratie, semblent ici sans limites et se mêlent à sa « honte » de
devoir gagner sa vie comme rédacteur sportif à Radio-Canada. Des pages lourdes
et tendues où la lucidité s'oppose au malheur personnel.
Gilles
Leclerc a eu comme ami le chanteur Georges Dor (je me rappelle qu’il était
présent à ses funérailles) et il a longtemps eu comme compagnon de travail à l’OLF
l’auteur-compositeur-interprète Stéphane Golmann, personnalité emblématique du
Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre, surtout connu pour sa chanson La Marie-Joseph.
Gilles
Leclerc avait des convictions syndicales, on l’a vu, et c’était un indépendantiste
profondément pessimiste et allergique à l’à-plat-ventrisme de nos élites bilingual-bilingues. Je n’ai jamais
parlé avec lui de Pierre Falardeau, du moins je ne me le rappelle pas, mais je
crois qu’il aurait partagé la vision du Québec que le cinéaste présente dans Le temps des bouffons (même si Leclerc n’aurait
jamais eu recours aux mots vulgaires que l’on peut entendre dans le film, son
juron le plus fort étant bordel de merde) :
Pour
moi, cet éditorial de Micheline Lanctôt a des accents qui me rappellent Gilles
Leclerc :
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